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Source : http://certitudes.free.fr/nrc12/nrc12119.htm

Le Coran au risque de la philologie

Louis Grenier
Nouvelle revue CERTITUDES - octobre-novembre-décembre 2002 - n°12

C’est sans doute une bombe que vient d'amorcer le philologue allemand Christoph Luxenberg. Dans sa thèse de doctorat, parue en 2000, mais dont les résultats commencent seulement à atteindre le grand public, ce savant propose en effet de percer le secret des assez nombreux passages obscurs du Coran en partant de l'hypothèse que les passages en question sont peu compréhensibles en arabe parce que leur auteur s'est inspiré de sources écrites en syriaque. Si cette hypothèse est vérifiée — il faut attendre que les savants du monde entier se prononcent, mais les premiers échos sont positifs —, alors c'est sans doute toute notre perception du Coran et des intentions de Mahomet qui va s'en trouver bouleversée.

Les données du problème

Les circonstances de la rédaction du Coran sont mal connues. Les sources musulmanes les plus anciennes qui évoquent les premiers temps de l'islam sont en effet postérieures de deux siècles environ aux événements. Or, entre-temps, pour les Musulmans, tout a changé : la conquête a fait de l'islam la religion d'un immense empire, dont le centre est désormais Bagdad, et non plus Médine, et dont les élites sont persanes, et non plus arabes. Les traditions musulmanes les plus anciennes sont donc souvent anachroniques : les Musulmans ont oublié les débuts de leur propre histoire. Quant aux plus anciens manuscrits du Coran, dont certains remontent au Vile siècle, ils sont d'une lecture très délicate à cause de l'absence des voyelles : seules les consonnes sont écrites, et le système de points diacritiques de l'arabe moderne n'existe pas encore. Par surcroît, leur texte diffère assez souvent de celui qui a fini, plus tard, par devenir officiel dans l'islam. Aussi de nombreux passages du Coran sont-ils ambigus ou franchement inintelligibles. Les docteurs musulmans du Moyen Age ont bien sûr cherché à résoudre ces difficultés, mais leurs interprétations ne répondent pas aux normes de la philologie scientifique. Le problème reste donc entier.

Luxenberg est parti de l'hypothèse selon laquelle les passages incompréhensibles du Coran seraient écrits non en mauvais arabe, mais en un arabe calqué sur du syriaque. Cette langue était en effet influente dans la péninsule arabique depuis plusieurs siècles, quand Mahomet rédigea le Coran ; il n'est donc pas absurde de penser qu'il aurait pu subir des influences de ce côté-là. Le syriaque est une langue araméenne dont le berceau est la Mésopotamie, et dont le principal centre culturel, dans l'Antiquité, a été la ville d'Édesse. Aujourd'hui encore, le syriaque est la langue liturgique des Chrétiens d'Irak, pays (« libéré » depuis peu...) dont il est l'une des trois langues officielles, aux côtés de l'arabe et du kurde. Langue des Chrétiens de l'empire perse entre le IIe et le VIIe siècle de notre ère, le syriaque a donné naissance à une brillante littérature, dont le représentant le plus connu en Occident est saint Éphrem de Nisibe (+ 373). La Bible grecque elle-même a été traduite en syriaque dès la fin du Hé siècle. La méthode suivie par Luxenberg consiste donc à chercher à savoir si les passages obscurs du Coran ne s'éclairciraient pas à condition de les traiter comme une traduction arabe littérale, et donc maladroite, de tournures syriaques correctes. Les résultats sont saisissants.

Un Coran entièrement revisité

Fort technique, la démonstration de Luxenberg ne peut bien sûr être résumée ici en quelques lignes. Par surcroît, ' pour pouvoir l'évaluer, il faudrait connaître à la fois le syriaque et l'arabe, ce qui n'est pas cas de l'auteur de ces lignes. Je vais donc présenter un bref aperçu des résultats les plus significatifs de cette méthode, en m'appuyant sur le compte-rendu détaillé que Rémi Brague, qui est professeur de philosophie à l'Université de Paris I-Sorbonne, vient de faire paraître dans le n° 671 de la revue Critique (avril 2003). Il en ressort que la rétroversion en syriaque opérée par Luxenberg fait disparaître les incohérences du texte arabe, en mettant mieux en relief les sources bibliques dont s'est à maintes reprises inspiré Mahomet, il apparaît même que le Coran contient vraisemblablement des allusions à des prières ou à des hymnes chrétiennes qui ont marqué Mahomet : ainsi, la sourate 108 (« Nous t’avons donné la vertu de constance. Prie donc ton Seigneur et persévère dans la prière ! Ton adversaire [satan] est alors le vaincu » [trad. R. Brague]) procède vraisemblablement d'une stylisation d'un passage de la première épître de saint Pierre : « Votre partie adverse, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer. Résistez-lui, fermes dans la foi... » (1 Petr. V, 8)! Enfin, pour l'anecdote, les fameuses houris, ces vierges du paradis pour qui certains islamistes sont prêts aujourd'hui à périr de mâle mort (en assassinant autrui par la même occasion), passent elles aussi à la trappe dans l'opération : correctement traduit, le Coran ne parle en effet pas de « houris aux grands yeux », mais simplement de « raisins blancs » ! Ainsi, la sourate XV, 54, ne doit pas être traduite par : « nous les Des combattants de l'islam] aurons mariés à des houris aux grands yeux », mais, plus prosaïquement : « nous les installerons confortablement sous des (raisins) blancs, (clairs) comme le cristal » (trad. R. Brague). En d'autres termes, Mahomet promet tout bonnement un paradis de type biblique, lieu d'un banquet eschatologique tout à fait conventionnel. De quoi désespérer Billancourt (ou AZF)...

Une meilleure compréhension de l'islam de Mahomet

Si elles s'avèrent fondées, les conséquences des découvertes de Luxenberg pourraient bouleverser de fond en comble notre compréhension de l'islam véritable, celui qu'a conçu Mahomet. le Coran des califes des VIIIe et IXe siècles n'est en effet déjà plus celui de l'homme de Médine. Mahomet souhaitait semble-t-il non pas fonder une nouvelle religion, destinée à supplanter la Bible, mais simplement mettre au point un lectionnaire liturgique, autrement dit une anthologie de passages bibliques, d'hymnes et de prières (dont certaines sont chrétiennes), à l'attention des Arabes de la péninsule. C'est seulement après les fabuleuses conquêtes des VIIe et VIIIe siècles que les califes ont fait de l'islam une religion à part, centrée sur une nouvelle révélation.

Bien sûr, la parole est maintenant aux savants du monde entier ; mais on peut d'ores et déjà dire que l'ouvrage de Luxenberg va relancer la question de origines et de la nature même de l'islam.