mensuel L'histoire, mars 2003, N°274

mensuel L'histoire, mars 2003, N°274

Le mensuel "L'histoire" (www.histoire.presse.fr) est publié par la société d'éditions scientifiques, 4, rue du texel, 75014 Paris.
Ce numéro 274 contient un dossier de 10 pages sur le Coran et la bible.

Extrait :
Alfred-Louis de Prémare - Professeur émérite de l'université de Provence

La Bible, le Coran et le savant

Qui a vraiment écrit le Coran ? Et quel est son contenu ? A quelle date a été établi le texte définitif ? Dans quelle mesure est-il l'héritier de la Bible hébraïque et chrétienne ? Pour répondre à ces questions, encore taboues dans le monde musulman, Alfred-Louis de Prémare. historien du monde arabo-islamique, remonte aux sources de l'islam.

A RETENIR
le Coran est considéré par les musulmans comme la Parole de Dieu « descendue » sur Mahomet et, finalement, comme le Verbe incréé de Dieu. C'est cette conception de la révélation qui rend quasi impossible aujourd'hui encore dans le monde musulman toute étude critique du texte.

L'HISTOIRE : La Bible* hébraïque est un récit des origines. Les Évangiles retracent la venue de Jésus et sa vie. Qu'est-ce que le Coran* ?

ALFRED-LOUIS DE PREMARC : Tel qu'il se présente aujourd'hui, le Coran est un volume de dimension relativement modeste. Si on le feuillette, on remarque que c'est un assemblage de fragments. Cet assemblage est réparti en 114 unités, que l'on appelle les « sourates* », elles-mêmes très composites, et sans lien logique ou chronologique apparent entre elles. Ce sont des textes plus ou moins longs, dont le style et les contenus sont très variés. Quand une sourate est très courte. elle constitue une unité littéraire. Mais, à mesure que les sourates deviennent longues, elles deviennent plus composites.

Si bien que quelqu'un qui ne connaît pas le Coran se demande souvent de quoi il est question au juste. On passe d'un sujet à un autre, d'une diatribe contre les infidèles à des prescriptions sur les interdits alimentaires, etc. Parfois, c'est le prophète" Mahomet qui parle. mais sous le couvert de Dieu et sur son ordre (« Dis ! ») ; le plus souvent c'est Dieu qui parle, avec le « Nous » de majesté. Et qui est le locuteur lorsqu'il s'agit de Dieu à la troisième personne ? Cela n'est pas précisé.

Prenons des exemples au hasard dans le volume. Dans la sourate 20, relativement unifiée, on trouve un long récit sur Moïse. En arabe, il se déploie avec la même rime à la Fin de chaque verset - tout le Coran est rimé. Puis on passe au récit de la chute d'Adam, et enfin à une diatribe contre les incroyants, mêlée à une exhortation à l'adresse du Prophète.

Mais la sourate 22, qui s'appelle « Le pèlerinage », ne concerne le pèlerinage qu'au milieu, et dans une partie limitée. Les autres thèmes en sont très disparates :
preuve de la Résurrection, allusion à une guerre possible, diatribe contre les incroyants, exhortations, etc. Les rimes sont flottantes d'un morceau à l'autre, ou à l'intérieur d'un même morceau. Cette discontinuité thématique à l'intérieur d'une même sourate déroute le lecteur.

Quant à la sourate 55, « Le Miséricordieux », c'est un poème, avec refrain, une sorte de psaume. Il comporte toutefois un assez long doublet de sept versets.

Si bien que je ne peux pas vous dire : le Coran raconte l'histoire des débuts de l'islam*. Non. Il y fait allusion, cependant, au cours de développements divers. Mais ce n'est pas un récit : c'est un assemblage de morceaux divers sur des sujets différents. L'unité globale vient de son objet général : Dieu, son envoyé, l'islam, et tout ce qui entoure cela.

L'H. : le Coran ne raconte donc ni la naissance d'une nouvelle religion, ni la vie de Mahomet, ni la conquête arabe ?

A.-L. P. : Le lecteur non averti y cherche une sorte de Bible : il ne la trouvera pas. Il croit v trouver la biographie d'un fondateur : il ne la trouvera pas.

Le nom même de Mahomet n'y apparaît que quatre fois. pour affirmer qu'il est l'envoyé de Dieu.