Le mensuel "L'histoire" (www.histoire.presse.fr) est publié par la société d'éditions scientifiques, 4, rue du texel, 75014 Paris.
Ce numéro 274 contient un dossier de 10 pages sur le Coran et la bible.
Extrait :
Alfred-Louis de Prémare - Professeur émérite de l'université de Provence
La Bible, le Coran
et le savant
Qui a vraiment écrit le Coran ? Et quel est son contenu ? A quelle date a été établi le texte
définitif ? Dans quelle mesure est-il l'héritier de la Bible hébraïque et chrétienne ? Pour
répondre à ces questions, encore taboues dans le monde musulman, Alfred-Louis de Prémare.
historien du monde arabo-islamique, remonte aux sources de l'islam.
A RETENIR
le Coran est considéré par les musulmans
comme la Parole de Dieu « descendue » sur
Mahomet et, finalement, comme le Verbe
incréé de Dieu. C'est cette conception de la
révélation qui rend quasi impossible
aujourd'hui encore dans le monde musulman toute étude critique du texte.
L'HISTOIRE : La Bible* hébraïque
est un récit des origines.
Les Évangiles retracent la venue
de Jésus et sa vie. Qu'est-ce que
le Coran* ?
ALFRED-LOUIS DE PREMARC : Tel
qu'il se présente aujourd'hui, le Coran
est un volume de dimension relativement modeste. Si on le feuillette, on
remarque que c'est un assemblage de
fragments. Cet assemblage est réparti
en 114 unités, que l'on appelle les
« sourates* », elles-mêmes très composites, et sans lien logique ou chronologique apparent entre elles. Ce sont des textes plus ou moins longs, dont
le style et les contenus sont très variés.
Quand une sourate est très courte.
elle constitue une unité littéraire.
Mais, à mesure que les sourates
deviennent longues, elles deviennent
plus composites.
Si bien que quelqu'un qui ne connaît
pas le Coran se demande souvent de quoi
il est question au juste. On passe d'un sujet
à un autre, d'une diatribe contre les infidèles à des prescriptions sur les interdits
alimentaires, etc. Parfois, c'est le prophète"
Mahomet qui parle.
mais sous le couvert de
Dieu et sur son ordre
(« Dis ! ») ; le plus souvent c'est Dieu qui parle, avec le « Nous »
de majesté. Et qui est le locuteur lorsqu'il
s'agit de Dieu à la troisième personne ?
Cela n'est pas précisé.
Prenons des exemples au hasard dans
le volume. Dans la sourate 20, relativement unifiée, on trouve un long récit sur
Moïse. En arabe, il se déploie avec la
même rime à la Fin de chaque verset - tout
le Coran est rimé. Puis on passe au récit de
la chute d'Adam, et enfin à une diatribe
contre les incroyants, mêlée à une exhortation à l'adresse du Prophète.
Mais la sourate 22, qui s'appelle « Le
pèlerinage », ne concerne le pèlerinage
qu'au milieu, et dans une partie limitée.
Les autres thèmes en sont très disparates :
preuve de la Résurrection, allusion à une
guerre possible, diatribe contre les
incroyants, exhortations, etc. Les rimes
sont flottantes d'un morceau à l'autre, ou
à l'intérieur d'un même morceau. Cette
discontinuité thématique à l'intérieur
d'une même sourate déroute le lecteur.
Quant à la sourate 55, « Le Miséricordieux », c'est un poème, avec refrain, une
sorte de psaume. Il comporte toutefois un
assez long doublet de sept versets.
Si bien que je ne peux pas vous dire : le Coran raconte l'histoire des débuts de
l'islam*. Non. Il y fait allusion, cependant,
au cours de développements divers. Mais
ce n'est pas un récit : c'est un assemblage
de morceaux divers sur des sujets différents. L'unité globale vient de son objet
général : Dieu, son envoyé, l'islam, et tout
ce qui entoure cela.
L'H. : le Coran ne raconte donc
ni la naissance d'une nouvelle
religion, ni la vie de Mahomet,
ni la conquête arabe ?
A.-L. P. : Le lecteur non averti y cherche une sorte de Bible : il ne la trouvera
pas. Il croit v trouver la biographie d'un
fondateur : il ne la trouvera pas.
Le nom même de Mahomet n'y apparaît que quatre fois. pour affirmer qu'il est
l'envoyé de Dieu.