Histoire universelle des chiffres

"Histoire universelle des chiffres" a été publié par Georges IFRAH en 1981 (et réédité en 1994) aux éditions Robert Laffont
ISBN 2-221-07837-3

Extraits du tome II:

(page 199)
Chapitre 25
LES CHIFFRES ET LE CALCUL INDIENS EN TERRE D'ISLAM
C'est donc bien à la civilisation indienne que nous devons l'invention de notre numération décimale de position et de notre zéro mathématique, ainsi que l'élaboration des bases mêmes du calcul écrit tel que nous le pratiquons de nos jours.
Cet événement historique considérable, on l'a vu, s'est produit avant le milieu du Ve siècle de notre ère (voir chapitre 24).
Mais il aura fallu plus de cinq siècles pour que les neuf chiffres significatifs correspondants fussent transmis à l'Europe chrétienne.
Il aura fallu ensuite deux ou trois siècles de plus pour que le zéro y fît son apparition en même temps que ces méthodes de calcul, et un laps de temps encore plus considérable pour que ces nouveautés révolutionnaires fussent propagées et définitivement acceptées dans le monde occidental (voir chapitre 26).
L'influence indienne ne s'est cependant pas exercée directement sur l'Europe : nous en sommes redevables en réalité à l'oeuvre essentielle des savants arabo-musulmans, qui ont véhiculé la science indienne et ainsi joué, entre plusieurs autres rôles fondamentaux, celui de l'intermédiaire entre les deux mondes.

(page 263)
RÉSISTANCES ARABES AUX CHIFFRES INDIENS
Au premier abord, on serait tenté de penser qu'en se répandant dans les pays d'Islam, le système indien l'avait emporté sur tout autre mode de représentation des nombres et que par leur simplicité et leur ingéniosité, les méthodes de calcul correspondantes avaient été acceptées très tôt et très rapidement par toutes les couches de la population arabo-musulmane.
L'auteur du présent ouvrage reconnaît humblement s'être trompé lors de l'élaboration de la première édition de cette Histoire universelle des chiffres, où il souscrivit à cette idée négligeant, il est vrai, les détails très révélateurs qui suivent.
Certes, plusieurs savants et intellectuels, tels Al Khuwàrizmî, An Nisawî et d'autres, eurent suffisamment d'esprit pour apprécier les avantages et la supériorité de cette notation numérique.
Mais il y eut un nombre tout aussi important de Musulmans qui s'opposèrent, parfois très farouchement, à l'usage de ces chiffres, et à plus forte raison à leur généralisation.
Ce qui veut dire que, contrairement à ce que l'on croit souvent, le système indien s'est en réalité imposé très lentement et très difficilement en pays musulman.
Ainsi, dans un grand nombre de traités d'arithmétique pratique, il n'est pas fait usage d'un seul chiffre indien, ni même de chiffre du tout. puisque les nombres qui se présentent à chaque ligne sont écrits tout au long au moyen des noms de nombre en arabe. Et pourtant de tous les ouvrages imaginables, les traités d'arithmétique sont assurément ceux où l'emploi des chiffres indiens pourrait sembler le plus naturel, paraissant même presque inévitable.
Car en Islam, comme partout ailleurs, [note : l'auteur est particulièrement indulgent, car en fait il aurait du écrire en Islam, bien plus qu'ailleurs] il y eut des « traditionalistes », comme ces comptables et ces calculateurs qui, par leur profond attachement à certaines coutumes et pratiques héritées d'un passé révolu, et par leur hostilité aux innovations scientifiques et techniques, avaient fait obstacle au progrès.
Le conservatisme des scribes et des fonctionnaires arabes
L'une des raisons de cette opposition au système indien a en effet tenu au conservatisme des scribes et des fonctionnaires arabes et musulmans, longtemps restés attachés à des méthodes ancestrales comme les procédés de compte et de calcul sur les doigts (voir chapitre 3).