"AL-QA'IDA VAINCRA" a été publié par Guillaume Dasquié aux éditions Flammarion en 2005
ISBN 2-35076-035-9
Une fois ce journal achevé, je ne serai plus d'aucune utilité.
Je ne nourris plus le moindre espoir sur la capacité de nos sociétés à absorber cette onde de choc ; encore moins sur l'efficacité de nos institutions judiciaires dans la lutte contre ce terrorisme islamiste. C'est aussi pour cela qu'ils nous vaincront, par forfait de ce redoutable ennemi que nous devrions être pour eux, incapables d'opposer nos idées aux leurs, effondrés sur nos propres genoux, affaissés avant même le début du combat. Nous sautillons et nos poings gesticulent dans le vide, pour sauver les apparences, sans nous confronter réellement, sans nous battre jusqu'à tomber d'épuisement, dégoulinants de sueur, tapissés de bleus. |
Extrait :
Ce matin-là, j'aurais aimé nous expédier, M. Bruguière et moi, à Sanaa par exemple, au
Yémen. Non pas pour assister à quelque réunion de directeurs de police ou de chefs du Renseignement, mais pour nous promener dans la banlieue Ouest, au-delà des quartiers
résidentiels, quand les premiers paysages à apparaître à l'arrière-plan nous rappellent
l'environnement montagneux de la capitale yéménite. Lorsque, dans cette direction, nous
aurions parcouru environ quinze kilomètres depuis le centre historique, devisant avec
légèreté de choses essentielles, riant même peut-être parfois (je lui aurais raconté une blague
de potache qu'il aurait écoutée d'un sourire poli), nous aurions aperçu sur la droite un vaste
complexe immobilier, massif, rutilant, légèrement en contrebas. Prestement, M. Bruguière
aurait supputé que nous longeassions l'un de ces centres de vie luxueux réservés aux
Occidentaux expatriés, tels qu'on en rencontre dans la région, où les familles des cadres
dépêchés sur place savourent une intensive oisiveté, à l'abri des regards autochtones. Pourtant
non. Ici, point de bronzage intégral derrière palissades.
Ce site regroupe les locaux de l'université islamique al-Iman, du cheikh Mohammed al-Zandani, dont je vous parlerai plus loin. Le docteur Eryani nous expliqua que l'endroit s'est
hélas imposé comme une référence pour la formation des jihadistes. De l'Arabie Saoudite
aux frontières afghanes, de grands noms du terrorisme y ont été formés, dont certains ont été
rendus célèbres par les télévisions occidentales - tel John Walker, le Taliban américain. Dans
d'autres universités et écoles islamiques à travers la péninsule arabique, en particulier
l'université de Médine en Arabie Saoudite, on milite ouvertement pour une défense de l'Islam
par les armes. J'y ai pénétré, avec mes yeux d'artisan, et j'apprécierais d'y introduire le regard
de la justice antiterroriste. Je lui montrerais des bâtiments modernes, mieux équipés que
quantité d'immeubles administratifs de Sanaa, avec des installations privées à peine
croyables, un véritable village renfermant tous les services nécessaires à la formation des
jihadistes : des salles d'apprentissage intensif du Coran jouxtent un bureau faisant office de
banque interne, des salons dédiés aux rencontres avec des cheikhs venus d'Indonésie ou des
Comores (qui vous proposent des stages militaires dans leurs îles) avoisinent un bureau
chargé de la délivrance des visas, un service d'imprimerie publiant certains ouvrages à la
gloire de la guerre sainte fonctionne à côté d'un petit studio de télévision et non loin d'un
bureau chargé d'animer des sites Internet salafistes. Le tout est financé par des organisations
dites « caritatives » installées en Arabie Saoudite ou au Qatar, telles l'URO et la Ligue du
monde musulman, se démenant officiellement pour « la formation et l'éveil des populations
défavorisées » avec des arguments très efficaces. Ici, beaucoup d'étudiants reçoivent une
rémunération comprise entre cent vingt et cent cinquante dollars par mois, une somme très
attractive correspondant au salaire moyen local(1).
1. Ces éléments comptables m'ont été fournis lors d'une rencontre avec le ministre adjoint aux Affaires étrangères, Mustafa
Noman. En outre, au sein de l'université, des étudiants m'ont confirmé recevoir une rémunération de cet ordre-là, au titre de
leur apprentissage du Coran.
C'est un problème épineux, trop souvent mésestimé par les services judiciaires occidentaux
travaillant sur le financement du terrorisme. Ceux-ci se bornent à chiffrer le coût de la
logistique d'une opération terroriste pour évaluer l'ampleur du phénomène économique,
comme si ces actions n'étaient jamais le résultat d'une lente fermentation, comme si des processus combinés, plus profonds, ne les rendaient pas possibles(2).
2. Les diverses études réalisées sur la dimension financière de l'attentat du 11 septembre nous instruisent sur ces schémas de
pensée, très répandus en France. Un rapport de l'administration du Trésor, achevé en 2002, comptabilisait ainsi les seules
sommes dépensées aux États-Unis par les pirates du 11 septembre dans les mois précédant l'attaque, pour déterminer le coût
d'une telle action terroriste.
Les organisations islamistes qui soutiennent l'université al-Iman - ou l'université de Médine
en Arabie Saoudite, ou encore les écoles coraniques de Quetta au Pakistan où des jeunes
garçons épousent le fondamentalisme jusqu'à la lutte armée -, ne portent-elles pas la plus
grande des responsabilités, celle de préparer des esprits à accepter le terrorisme comme
mode d'expression légitime ? Quand ces étudiants se retrouvent sillonnant les routes d'Europe
pour ouvrir des salles de prière officieuses, où ils amènent méthodiquement d'autres jeunes,
souvent en situation d'exclusion, à admettre à leur tour le fondamentalisme religieux à
caractère violent comme la seule issue salutaire pour ce bas monde, n'ont-elles pas déjà
commis le pire ? Qu'elles s'appellent l'URO, la Fondation Muwafaq, al-Harameyn ou Lajnat
al-Da'wa Islamiya(1), elles habillent toutes leur militantisme politique d'un discours
humanitaire au nom de l'obligation de charité, l'un des dogmes de l'islam.
1. Outre l'URO, ces trois autres associations sont désignées dans diverses procédures judiciaires, aux États-Unis et en Europe.
Une trahison. Elles bafouent la confiance de millions de musulmans en rémunérant ces
écoles et ces universités, qui sont, elles, de véritables centres de production de l'islamisme à
caractère violent, puis financent des camps d'entraînement aux techniques terroristes, en
Afghanistan, aux Comores ou en Somalie. C'est à ce stade qu'elles s'imposent comme les
instruments les plus néfastes. La phase consistant ensuite à sélectionner des terroristes, à leur
apprendre à s'intégrer dans une ville pour y placer des bombes ne représente-t-elle pas
finalement qu'une ultime étape technique, rendue possible par ces systèmes d'éducation ?
Mais nos services judiciaires ne s'intéressent presque pas à ces organisations. Ainsi, en
matière de financement du terrorisme, tout se déroule comme si, face à une guérilla, nous ne
nous préoccupions que de l'armurier vendant des fusils aux militants des premiers rangs, et
non pas des entités qui envoient des sergents recruteurs, fixent les orientations, nourrissent la
propagande, veillent sur l'endoctrinement et entretiennent l'indispensable flux d'apprentis
jihadistes. Jean-Louis Bruguière, lui, me déclare que « ça n'existe pas ».