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"Irano nox" a été publié par Marc Kravetz en 1982 aux éditions Grasset.
ISBN 2.246.024851.5
Extrait :
Nadi
répète ce que j'ai déjà entendu des centaines de fois. La justice
islamique est parfaite dans son essence car elle émane de la loi
de Dieu telle qu'elle a été révélée dans le Saint Coran et pratiquée par le Prophète et les Imams. C'est une loi intemporelle
et de valeur absolue à laquelle tous les musulmans doivent
obéir et qu'il appartient au mojtahed, au docteur de la foi,
d'interpréter dans toute sa rigueur selon la jurisprudence établie une fois pour toutes à l'âge d'or du premier siècle islamique.
- Mais nous ne vivons plus à l'époque de Mohammad et
d'Ali, la société a changé et les hommes avec elle.
- C'est une vision d'Occidentaux qui croient que les lois
doivent obéir aux humeurs de l'époque. La justice de l'Islam
est infiniment supérieure à toutes les vôtres parce que justement elle ne se plie pas aux fantaisies de l'histoire. La révélation de Dieu n'appartient pas à une époque ou à une région
géographique déterminée. Elle est universelle et éternelle. Nul
ne peut la changer et elle s'applique a tous, y compris au
Prophète et aux imams.
- N'empêche que juger est un acte solitaire. Que le juge est
un homme et que l'homme n'est pas infaillible.
- Le juge n'est pas un homme comme les autres. C'est un
savant choisi selon des critères très exigeants qui ne se prononce pas selon des opinions personnelles, mais après un exa-
men approfondi des faits, en appliquant la loi d'essence divine.
- Pourtant, l'erreur est humaine et l'accusé condamné
selon votre jurisprudence n'a aucun recours. Ni avocat pour le
défendre, ni moyen de faire appel de la sentence. Comment
pouvez-vous justifier cela ?
- En vous redisant la même chose. Une justice parfaite se
passe de la procédure interminable et bureaucratique de vos
tribunaux qui jugent selon des lois compliquées et changeantes. L'accusé n'a pas besoin d'un avocat pour lui expliquer la
Loi. Il la connaît car ii est musulman.
- Mais s'il ne sait pas se défendre ?
- Il n'a pas à se défendre. Ou bien il est coupable de ce
dont on l'accuse ou bien il est innocent. S'il est coupable c'est
qu'il a avoué ou que des témoins dignes de foi l'ont dénoncé. A
quoi servirait un avocat dans ce cas ? Le mensonge est un
crime selon la Loi. Si un avocat plaide l'innocence d'un coupable, il ment et commet donc un crime.
- Supposez que les témoins se trompent ou qu'ils trompent
le tribunal.
- Cela est impossible. Selon l'Islam un témoin doit avoir
assisté précisément et en personne aux faits qu'il rapporte et
seules peuvent témoigner des personnes d'une moralité irréprochable. Mais si, chose inconcevable, cela se produisait la
Loi a prévu pour le faux témoin un châtiment au moins égal à
celui qui a frappé l'accusé.
- En attendant, il a été condamné sans appel.
- Tous les juges islamiques sont égaux et appliquent rigoureusement la même loi, il est donc absurde de juger deux fois le même crime. Un coupable ne peut contester son châtiment.
S'il avait été injustement condamne au terme d'un faux témoignage, il pourra lui-même appliquer la sentence à son accusateur.
- Et s'il a été condamné à mort ?
- Les conditions dans lesquelles nous prononçons un verdict de mort sont telles qu'une erreur est exclue. Dans le crime
d'adultère par exemple, le Coran est formel : il ne faut pas
moins de quatre témoins pour confondre un coupable ; quatre
témoins qui ont assisté aux faits. Il ne suffit pas qu'ils aient
surpris le couple dans un lit, il faut qu'ils aient vu l'homme
pénétrer la femme.
- Vous ne me ferez pas croire que, dans les dizaines ou les
centaines de condamnations à mort exécutées en Iran depuis
plus de deux ans pour des délits sexuels, les tribunaux disposaient de témoignages de ce type.
- L'adultère est un crime tellement grave, l'un des plus
graves de tous, que dans la plupart des cas les accusés avouent
d'eux-mêmes pour soulager leur conscience.
Le juge Nadi vient de prononcer, nous dit-il, deux condamnations à mort, dont une la veille. La première contre un père
coupable du viol de sa fille. L'homme avait avoué et avait été
exécuté. Le second condamné était un jeune homme d'Ispahan
accusé de « crime contre la République islamique ». La sentence devait être appliquée aujourd'hui même.
- Comment une loi vieille de quatorze siècles peut-elle s'appliquer à des délits politiques ?
- Il n'y a pas de délits politiques. La justice islamique ne
condamne pas des opinions mais des actes commis contre l'Islam.