La psychanalyse à l'épreuve de l'islam

La psychanalyse à l'épreuve de l'islam, recto La psychanalyse à l'épreuve de l'islam, verso

"La psychanalyse à l'épreuve de l'islam" a été publié par Fethi Benslama en 1997 aux Aubier.

L'opinion couramment répandue est que les Arabes descendent d'Ismaël et que les Juifs descendent d'Hagar, tous deux fils d'Abraham.
De quand date cette opinion ? Etait-elle partagée à l'époque de Mahomet ou bien ne serait-ce pas plutôt Mahomet qui aurait eu l'idée d'établir cette filiation afin de justifier son titre de prophète et doter les Arabes d'une généalogie prestigieuse dont ils étaient dépourvus ?

Extraits :

ISMAËL et HAGAR

"Quels rapports les Arabes d'avant l'islam entretenaient-ils avec la mémoire que juifs et chrétiens avaient gardée de leur origine agarienne ou ismaélienne ? Que pensaient ils de cette histoire et comment se rapportaient ils à elle ? Jusqu'au livre de René Dagorn - La Geste d'Ismaël René Dagorn, La Geste d'Ismaël, Genève, Librairie Droz, 1981, publié il y a quinze ans, régnait à ce sujet une sorte d'évidence selon laquelle les Arabes connaissaient cette descendance de tout temps, s'y référaient et la revendiquaient comme en témoignent le Coran, la tradition islamique et la littérature arabe du Moyen Age. Or, les résultats de la recherche de René Dagorn ont démontré définitivement la fausseté de cette évidence.

L'enquête que cet auteur a menée à partir des textes arabes, plus exactement de l'onomastique, avait pour but de savoir si la référence à Ismaël et Abraham existait déjà avant l'islam, et si les Arabes préislamiques se considéraient comme leurs descendants, ainsi que le mentionnaient la tradition juive, depuis au moins le IIe millénaire avant notre ère, et par la suite de nombreux auteurs chrétiens.

La transmission d'Ismaël

Le travail de Dagorn est impressionnant par la masse des documents qu'il examine, par la méthode et la rigueur de l'analyse. L'auteur étudie, en effet, les généalogistes arabes les plus importants, recense les noms propres, les compte, établit des tableaux de filiation et des fréquences, qu'il recoupe sans cesse avec d'autres sources. En voici les conclusions : « Cet examen, presque exclusivement basé sur le dépouillement des ouvrages généalogiques arabes et de la tradition musulmane la plus ancienne, nous conduit à conclure de façon formelle à l'inexistence absolue et radicale, dans la tradition arabe préislamique, des personnages d'Ismaël, d'Agar, sa mère, et même d'Abraham. » Et il ajoute un peu plus loin : « [...] aucune souvenance du patriarche biblique et de son fils exilé qui puisse servir de base à une théorie selon laquelle les Arabes auraient conservé le souvenir historique d'un rattachement charnel et même spirituel à Abraham, à travers sa descendance ismaélienne Dagorn, op. cit., p. 377' ».

Question : à partir de quel moment apparaît la référence à Ismaël et à Abraham ? Réponse: « [...] le pourcentage dans l'usage de ces noms s'accroît au fur et à mesure que l'on s'éloigne des débuts de l'Islam. Il y a lieu de croire, en conséquence, que c'est sous l'influence du Coran et de la prédication islamique que l'utilisation de ces appellatifs s'est effectivement développée et même a simplement commencé comme en témoignent les tableaux suivants Dagorn, op. cit., p. 47. »

Ainsi, c'est avec Muhammad que commence la mémoire arabe de leur origine consignée dans la Genèse. Jâhiz avait donc littéralement raison : « [...] Ismaël est devenu arabe après avoir été non arabe uniquement parce que le prophète l'a dit. »

Le contraste est frappant, d'un côté : « [...] il n'existe, dit R. Dagorn, avant l'islam, absolument aucun individu parmi les quraishites [la tribu du prophète] qui y sont nommés, à avoir porté un des appellatifs "Ibrâhîm, Ismâ'îl ou Ishâq" . Dagom, op. cit., p. 49 » ; puis, d'un autre côté, il y a le Coran où ces noms non seulement apparaissent, mais sont revendiqués comme faisant partie de l'inoubliable mémoire qui rattache les Arabes au père du monothéisme. Le prophète a même choisi de donner au seul fils (fils mort) qu'il a eu de Marie, la copte, le nom d'Ibrâhîm qui n'existait pas à l'époque dans la tradition arabe. René Dagorn conclut ainsi : « C'est indubitablement au prophète en personne qu'il faut laisser l'honneur d'avoir perçu le lien qu'il y avait entre ses propres conceptions monothéistes et l'idéal religieux qu'il entendait substituer au paganisme ancestral de ses compatriotes mekkois et la foi du grand patriarche biblique Dagom, op. cit., p. 377. »

Comment expliquer que, pendant des siècles, des tribus proches détenaient un savoir sur l'origine et la filiation des Arabes, savoir qui les apparente à l'ancêtre commun du monothéisme, sans que ce savoir laisse chez eux la moindre empreinte ? On atteint ici les limites de la recherche de R. Dagorn dont Freud aurait pu dire qu'elle concerne la vérité matérielle et non la vérité historique qui s'en tient au constat qu'il n'y a pas de trace de..., sans s'interroger plus avant sur les raisons de cette absence. Est ce un refus délibéré d'adopter ce savoir et cette filiation ? S'agit il plutôt d'un oubli ?

ET S'IL N'Y AVAIT PAS DE FILIATION DU TOUT !

Dans la préface à ce livre, l'une des conclusions tirée du travail de René Dagorn par Maxime Rodinson est troublante et pose beaucoup de problèmes. Il écrit : « Tout ce que nous savons et la masse de documentation si laborieusement amassée et organisée par René Dagorn devrait le prouver aux plus aveugles indique qu'il y eut une rupture de plus d'un millénaire entre les théories développées peut être dans quelques tribus préarabes ou protoarabes du domaine péripalestinien, et en tout cas chez les historiens des Bené Yisrâél, et la reprise de ces théories, incorporées dans des textes devenus sacrés, développés avec l'autorité acquise par des religions devenues d'extension mondiale, le judaïsme et le christianisme, adoptés par Muhammad et imposés par lui, non sans longues réticences, on le verra à la vaste communauté des musulmans Dagorn, op. cit., Préface de Maxime Rodinson, pXVIII . » Si les Arabes n'avaient pas commencé à exister en tant que tels, par rapport à quoi y a t il rupture et reprise ? Que signifient mille ans d'interruption ? Pourquoi tout d'un coup un homme parvient il à transmettre ce qui ne s'est pas transmis au cours de tant de temps ? Il faudrait aller au delà de la comptabilité des noms propres, afin de penser l'appropriation de ce qui n'était pas propre.

Assurément, si nous pouvons dire qu'il y a bien eu une Wiedergewinnung du Père, sans doute en un sens différent de celui auquel pensait Freud, et que c'est un seul homme qui l'entreprend, reste à penser l'opération proprement dite de l'appropriation et du don à son peuple.

Il n'est pas possible d'examiner ici l'opération muhammadienne dans toute son envergure. Ce n'est rien de moins que la fondation de l'islam qu'il faudrait étudier. Je voudrais m'en tenir au noeud agarien de cette opération qui est le lacs, comme on dit dans le langage de la tapisserie, à partir duquel le relais est pris pour constituer le tissage du texte originaire islamique. Néanmoins, j'aimerais rappeler rapidement l'hypothèse que j'avais formulée dans un travail ancien, à savoir que l'intelligibilité de l'opération muhammadienne dépendait de l'analyse de l'injonction de lire qui est à la racine de la prédication de Muhammad. « Lis » est, rappelons le, le commandement de l'ange qui, par la terreur, obligea Muhammad à recevoir la révélation. Il n'est pas indifférent, lorsqu'il s'agit d'archive et de mémoire, que cela commence ainsi, c'est à dire que cela ne commence pas, puisqu'il est supposé que le texte était écrit. Il y avait déjà de l'écrit et il fallait lire. Or, il m'a semblé intéressant, compte tenu d'une posture que j'ai rapprochée de celle de la Vierge Marie recevant le verbe Cf. ici même le sous chapitre intitulé: < Le Voile » (III, 3), de penser ce « lire » (qara'a) du commandement de sa signification dans l'arabe ancien : le fait pour la femme de retenir du mâle, de former le foetus et de le jeter dehors lorsque la geste est finie Je me permets de renvoyer à mon ouvrage La Nuit brisée, op. cit., p. 81 et ss z. Lire c'est concevoir, se laisser pénétrer par la trace ou par l'écriture de l'Autre. Concevoir « la mère du livre » da table gardée dont le Coran est l'une des versions révélées), c'est recevoir l'origine, l'Arkhé ou l'archive comme don de l'Autre pour lui donner jour, un nouveau jour, à travers la langue. Serait ce là la modalité du Père traduisant, par laquelle il s'approprie l'écriture du Père de la genèse et la redonne ? Ce n'est ni du registre de la citation, ni de celui de la reproduction, mais celui de la réception matricielle de la lettre, qui rappelle ce nom de Dieu en islam, nom par lequel débutent toutes les sourates du Coran, et par la profération duquel tout est entrepris : Au Nom de Dieu le matriciel le matriciant (arrahmân arrahîm). Il s'agit donc d'un principe d'insémination par l'écriture du Père, où nous trouvons cette communication de la vie et de la lettre qui vient dès les premières lignes coraniques. « Lis au Nom de ton Seigneur qui a créé. Il a créé l'homme d'un caillot de sang. Lis. Car ton seigneur est le Très Généreux, qui a instruit l'homme au moyen du calame, et lui a enseigné ce qu'il ignorait » (S. XCVI, 1 5).

Lire la lecture muhammadienne de sa Wiedergewinnung du Père, cela suppose d'examiner comment il a affronté certains problèmes cruciaux hérités de l'archive biblique et de sa mémoire."