Le point de vue « modéré »

Source : http://madeinconnexion.free.fr/pensees/La%20musique%20en%20Islam.pdf

La musique et la chanson sont-elles vraiment interdites en Islam ?

Par : Saoussen Sadfi, chercheur à la Sorbonne sur :
"La démocratie et les libertés publiques dans le Mouvement islamique contemporain"
et conseillère culturelle chez "Connexion".

Chanter ou utiliser des instruments de musique est, depuis la nuit des temps, un moyen de divertissement et un besoin humain, outre son utilité, de plus en plus confirmée, dans les domaines : médiatique, éducatif, artistique, psychomédical et autres...

Mais, croire que l'Islam les interdit, c'est simplement se référer a une catégorie d'opinion juridique (Ra'ï fiqhi) n'ayant perçu dans l'activité musicale et artistique que certains risques et inconvénients; sans adopter pour autant la vraie valeur de cette activité humaine, pour pouvoir par la suite dépasser ses inconvénients et les surmonter.

Quand aux inconvénients supposés, il s'agit la du comportement d'une certaine catégorie de gens qui travaillent dans le domaine musical, mais qui ne sont pas suffisamment imprégnés par les normes de la morale islamique, s'ils sont de culture musulmane, ni par une attitude correcte et saine dans les relations sociales, notamment entre hommes et femmes.

Pour nous, musulmans européens du 21eme siècle, la problématique est située la, entre deux courants de pression, a savoir : une mentalité socio-juridique non contemporaine et donc non actuelle ni actualisée ; et un autre courant culturel ne se basant pas sur la morale islamique. Que doit-on donc faire ?!

Dans le monde arabo-musulman, la problématique était soulevée depuis quelques décennies. Certains savants et spécialistes musulmans l'ont traitée en approfondissant les recherches et en réévaluant un bon nombre de versets coraniques et hadiths prophétiques, quant a leurs sens et a leur authenticité et valeur scientifique.

Nous résumerons ici les conclusions de certaines recherches et opinions juridiques, notamment celles de Youssef Kardaoui, de Hichem Larafa et de bien d'autres, qui se rencontrent tous autour des principes de base suivants :

1) Ce que l'Islam nous interdit de faire dans l'activité musicale, en particulier, ne concerne pas forcément l'utilisation des instruments, ni même le fait de chanter ou de jouir de cet art, mais bel et bien tout acte incitant a séduire ou a être séduit (sentimentalement notamment, et non artistiquement ou techniquement). C'est en effet les mêmes limites et conditions que l'on rencontre dans la gestion des relations sociales (entre hommes et femmes) au quotidien. Or, ce qui est illicite de faire sur une scène (de théâtre, de cinéma

ou de concert), est autant illicite que dans le reste de notre comportement social.

C'est d'ailleurs la même conception qu'adopte R. Gannuchi pour expliquer le verset suivant : {wa la yakhda'na bil qawli fa yatma'a allathi fi qalbihi maradh} verset 32, sourate 33, les Coalisés.

Traduction : "... Ne soyez pas complaisantes dans vos propos, de peur d'éveiller des désirs troubles en certains coeurs malsains"

Ici ce n'est pas la voix même de la femme (dans la chanson ou les paroles ordinaires) qu'il est interdit d'exprimer, mais plutôt l'intention de séduire par la voix ou les manières... etc.

Cette thèse est surtout présentée par Hichem Larafa dans son livre (en arabe): "Chanter et jouer des instruments de musique : interdits ou tolérés (en Islam) ?". Il a procédé a une recherche scientifique plus approfondie en matière de concepts généraux, de critique et de réévaluation du sens d'un certain nombre de versets coraniques, et de l'authenticité de la transmission de certains hadiths prophétiques ; et ce dans le but de repartir sur des bases plus solides en matière de déduction d'opinion juridique islamique régissant les activités artistiques modernes d'une manière plus générale. Parmi ces versets coraniques : {Wa mina annasi mane yachtari lahwa al hadithi liyoudilla âne sabili allahi bi ghaïri 'ilm}. Traduction : "d'aucuns parmi les hommes, s'emploient a colporter des histoires frivoles. Ils s'en servent, au mépris de toute science..."

H. Larafa conçoit qu'il est clair que l'expression coranique "lahw al hadith" (des histoires frivoles) ne peut concerner, restrictivement, n'importe quelles paroles de chanson, mais ici, le verset critique toutes les paroles mal intentionnées et mal présentées voulant éloigner les croyants du "droit chemin". D'autres penseurs et savants musulmans contemporains ont également mis l'accent sur l'une des conditions élémentaires a cette activité musicale ; il s'agit de bonnes valeurs universelles que doivent transmettre les paroles des chansons, loin des absurdités que l'on y entend au quotidien, et de la volonté de séduire, a tous prix, les sentiments d'un grand nombre de consommateurs...

Quant aux hadiths prophétiques qui interdisent, manifestement, l'utilisation d'instruments de musique, H. Larafa dans son livre pré-cité, a déduit (en se référant a d'autres textes religieux et opinions juridiques), que ces hadiths nous interdisent en fait certains actes qui, de toute façon, sont interdits en Islam, tels que : la consommation d'alcool, la danse de femmes ou d'hommes quasiment dénudés, dans le cadre d'une ambiance générale incitant au libertinage et a une mixité sans limites morales... Outre l'utilisation de rythmes musicaux qui viennent encore "embellir" toute l'ambiance. C'est d'ailleurs ce que nous pouvons facilement voir dans les boites de nuit, les "booms", dans certaines fêtes de mariage, etc.

D autres hadiths interdisent aussi 1 utilisation de certains instruments de musique, tels que : la flûte et les instruments a vent, considérée comme instrument du diable, les instruments a corde, qui témoigneront contre leurs utilisateurs le Jour du Jugement Dernier, les cuivres, etc. Néanmoins, H. Larafa, et après sa longue recherche sur l'authenticité de la transmission de ces "hadiths" a remarqué une certaine "faiblesse" au niveau de l'enchaînement des noms des rapporteurs de ces hadiths, ce qui par conséquent ne peut confirmer leur authenticité et donc l'interdiction de l'utilisation des instruments de musique, selon les normes de la "Science du hadith".

Quant au professeur Youssef Qardaoui, il a été interrogé plus d'une fois sur la chaîne Al Jazira, concernant l'utilisation d'instruments de musique et sur la participation de la femme dans la chanson notamment. Il a alors présenté les quatre conditions suivantes, a accomplir par l'homme ou la femme, pour que cette activité ne soit pas illicite :

1 ) Eviter la séduction malsaine, dans les paroles, les habits et l'attitude.

2) Les paroles des chansons doivent respecter ou contenir des valeurs universelles et des thèmes correctes.

3) Ne pas délaisser ses responsabilités sociales et religieuses (prières, travail, études, vie familiale,...)

4) Que cette activité ne soit pas accompagnée d'actes pervers et illicites (consommation d'alcool ou de drogue, port d'habits indécents, danses ou mouvements corporels provocateurs, insultes et blasphèmes, et même dérangement des voisins,...)

En définitive, si l'on sait que selon la science des "Fondements de la jurisprudence islamique" (Oussoul al fiqh) "en principe, tout est permis, a l'exception de certains actes", pourquoi donc interdire une si belle activité humaine dont les avantages psychologiques, culturels, ludiques, économiques... sont incontestables. La musique, n'adoucit-elle pas les moeurs ? Surtout dans une société moderne, pleine de stress, d'angoisse sur le présent et l'avenir, de maux psychologiques...

Pourquoi certains musulmans préfèrent reculer et se renfermer sur eux-mêmes, plutôt que d'oser affronter la situation, présenter des alternatives, rénover les concepts et les méthodes, servir de bon exemple aux autres, dépasser leurs faiblesses, être présents où il faut et quand il faut... bref s'investir dans les réformes de grande envergure, pour le large public et les décennies a venir?!