«La condition des musulmanes ne s'améliorera qu'après une stricte séparation
de la religion et de la politique», affirme la sociologue Firouzeh Nahavandi
Avec son «Thema» consacré
aux «Filles du prophète»,
Arte part mardi soir sur les
traces des femmes musulmanes.
Dans certains pays, leur sort est
peu enviable. Et les attentats du 11
septembre, l'invasion de
l'Afghanistan puis de l'Irak ne
risquent pas d'améliorer les
choses, estime Firouzeh
Nahavandi, sociologue à l'ULB et
directrice du Centre d'études de la
coopération internationale et du
développement.
Quelles sont les conséquences des
interventions occidentales en
Afghanistan et en Irak sur la
condition des femmes dans ces
pays?
Le recul manque. On ne peut
travailler qu'avec des hypothèses.
Peut-être y aura-t-il des consé-
quences positives à long terme,
mais le scénario le plus plausible à
mes yeux est que certains régimes
se durcissent en réaction à ces
mainmises occidentales. L'Irak de
Saddam Hussein, par exemple,
était un État socialiste et laïc et,
tout dictateur qu'il était, Saddam
avait la poigne pour juguler les
mouvements islamistes. Les
femmes participaient à la vie publique, elles faisaient des études
et étaient parmi les plus éduquées
du monde arabe. Elles pouvaient
conduire et ne portaient pas le
voile. Qui sait ce qu'il adviendra
demain ? En intervenant aussi
radicalement, n'a-t-on pas ouvert
la boîte de Pandore ?
Et en Afghanistan, où les taliban
ont tout de même été chassés du
pouvoir ?
La position de la femme y était très
difficile, tout leur était interdit.
Avant le régime des taliban, elles
avaient davantage de droits
que dans de nombreux pays
arabes. Pour en revenir au
présent, je crains une fois
encore que les belles décla-
rations de PONU et des
Américains restent lettres mortes
faute, pour les uns et pour les
autres, d'avoir les moyens, voire
l'envie, de leurs ambitions. Ce
n'est rien d'exiger que les femmes
reçoivent une éducation digne de
ce nom et participent à la vie
publique, encore faut-il se donner
es moyens d'imposer cette égalité.
Le risque existe donc de voir les
Irakiens et certains de leurs
voisins, ulcérés par cette présence
occidentale, en revenir à la religion et à leurs tradi-
tions... Et n'ou-
blions pas que lors-
qu'un gouverne-
ment se sent obligé
de faire des conces-
sions aux isla-
mistes, ce sont les
femmes qui en
pâtissent !
Elles seraient
toujours en
première ligne ?
Oui. Ma thèse est
qu'elles sont conti-
nuellement instru-
mentalisées.
Lorsqu'un État
musulman veut se
donner une image
de modernité, il se
sert de la femme en lui octroyant
quelques droits. Et lorsque les
choses vont mal et que ce même
État veut se montrer plus confor-
me à la religion et à la tradition,
c'est la femme qui fait les frais de
ces concessions.
N'est-ce pas la même chose en
Occident ?
Non, car les droits des femmes ont
été acquis après de très dures et
très longues luttes. Ils sont ancrés
dans notre histoire, alors que dans
les pays musulmans, ces droits sont
attribués par les dirigeants.
Ils sont rarement le fruit de
revendications.
Point de salut donc pour
les femmes musulmanes ?
Si, mais il faudra du temps. Je ne
crois pas qu'il sera le fait d'une
intervention militaire, l'effet pour-
rait même être inverse. Je ne crois
pas non plus aux mouvements
féministes islamistes, qui essayent
de tirer parti de la religion et des
traditions pour légitimer leurs
revendications. Je crois plutôt à
une laïcisation de ces sociétés,
c'est-à-dire à une stricte séparation
de la religion et de la politique.
Une société laïque ne fait pas de
différences entre les hommes et les femmes, elle ne prend en considé
ration que les individus. Mais c'est
un processus très long...
Entretien :
Joël MATRICHE
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