Au sujet de Mahomet

Voltaire, 1760

Cette Lettre parut en 1760. Voltaire l’avait composée en réponse à la Critique de l’Histoire universelle de M. de Voltaire, au sujet de Mahomet et du mahométisme

LETTRE CIVILE ET HONNÊTE A L’AUTEUR MALHONNÊTE DE
LA CRITIQUE DE L’HISTOIRE UNIVERSELLE
DE M. DE VOLTAIRE
QUI N’A JAMAIS FAIT D’HISTOIRE UNIVERSELLE,
LE TOUT AU SUJET DE Mahomet.

I. Je ne sais s’il importe beaucoup pour la connaissance de la religion mahométane, et de la grande révolution commencée par Mahomet, que ce prophète soit né d’une branche aînée ou d’une branche cadette, et que cette branche ait été pauvre ou riche. Un homme curieux de ces profondes recherches pourrait montrer aisément qu’Achem, bisaïeul de Mahomet, forma deux branches, et que Mahomet descendait de la cadette. Il pourrait encore, s’il voulait ennuyer des Français, montrer savamment qu’Abdalla-Moutaleb, son grand-père, laissa douze fils, selon les auteurs suivis par M. le comte de Boulainvilliers; et que le prophète fut fils du douzième enfant, ainsi très cadet. 

Mais en même temps, en fouillant dans la Bibliothèque orientale(1), on trouverait que Moutaleb n’eut que dix garçons, et partant qu’il est impossible que le prophète fut né du douzième. Mais, en récompense le révérend docteur Prideaux(2) le fait naître de l’aîné; en quoi le révérend docteur s’est trompé, s’étant écarté en ce point de l’opinion authentique du révérend docteur Abulfeda, auteur très canonique chez les Turcs. 

Je pourrais citer M. Sale, moitié Anglais, moitié Arabe(3), qui nous a donné la seule bonne traduction que nous ayons du divin Koran ou Alcoran; mais pour cela je ne voudrais pas accuser mon critique d’un mensonge imprimé; car je me pique d’être poli. Je me bornerai seulement à remarquer qu’il est difficile de faire des généalogies. Ce n’est pas que je conteste à Mahomet sa noblesse; à Dieu ne plaise! Il descendait sans doute d’Ismaël, Ismaël d’Adam, et moi aussi. Mahomet, mon critique, et moi, nous sommes parents, et il faut en user civilement avec sa famille. 

II. C’est une grande question de savoir si Mahomet avait deux mois ou trois mois quand il perdit son père; je suis persuadé dans le fond de l’âme qu’il n’avait que deux mois; mais je ne disputerai avec aucun iman sur cet article. De grands hommes remarquent que son bien et celui de sa mère consistaient en cinq petits chameaux; je ferais peut-être plus de cas d’un historien qui montrerait qu’il porta les armes à l’âge de quatorze ans, comme le disent Codabi et Zabbadi: car c’est quelque chose d’apprendre que le courage de ce prophète conquérant se soit déployé de bonne heure. 

Ni moi; ni l’illustre savant qui me relève si bien, ne savons précisément combien de temps Mahomet fut facteur de la veuve Cadige, qu’il épousa depuis. Je veux croire avec lui que ce mariage se fit, comme il le dit, avec beaucoup de pompe et de magnificence, entre une marchande de chameaux et un homme qui n’avait rien, dans un pays où l’on manque de tout. 

Il est dit dans les auteurs arabes qu’il eut de son oncle douze écus d’or en mariage; apparemment qu’il dépensa tout pour ses noces, si elles furent si pompeuses. 

III. J’avais cru que Mahomet avait mené une vie assez obscure, jusqu’au temps où il jeta les fondements de la révolution d’une grande partie du monde; mais j’avoue que ses historiens n’ont pas manqué de rapporter qu’il donna, depuis son mariage, quarante moutons à sa nourrice: on infère de là, avec raison, qu’il était très riche, et que par conséquent il fit de grandes choses. Si cela est, je me suis grossièrement trompé; et je vois que toute la terre avait les yeux sur Mahomet avant qu’il s’avisât de devenir prophète. 

IV. J’ai dit que Mahomet enseignait aux Arabes, adorateur des étoiles, qu’il ne fallait adorer que le dieu qui les a faites(4). Je suis fâché d’être obligé d’avouer ici que j’ai eu raison: car malheureusement le mot Sabba en arabe signifie l’armée des cieux; et c’est de là que le Sabbisme prit son nom, et que vient chez les Hébreux Je mot Sabbahot, comme je crois l’avoir prouvé ci-dessus(5). Les Arabes adoraient Misam, le Soleil; Mostari, Jupiter; Azad, Mercure. 

Je n’ai dit nulle part qu’ils n’avaient point d’autres dieux; je suis même si savant que j’affirme qu’ils avaient des déesses. 

Je sais encore qu’ils adoraient un premier moteur, comme les Égyptiens, les Grecs, et les Romains, en reconnaissaient un, en adorant pourtant mille autres divinités. Mais j’ai dit que Mahomet leur enseigna à ne point rendre à la créature l’hommage qu’ils ne devaient qu’au créateur; j’ai en très grande raison, et j’en suis fort affligé pour l’Arabe savant et poli qui me critique, et que je reconnais pour mon maître. 

V. Non, sans doute, il n’y a point de passage de l’Alcoran qui impose l’obligation de courir au martyre; mais tout l’Alcoran respire la nécessité de combattre pour la croyance musulmane: c’est là l’unique source des victoires de Mahomet; c’est cet enthousiasme qui fit de ses sectateurs un peuple de conquérants. Il était perdu s’il n’avait pas fait à ses musulmans un devoir de verser leur sang pour sa religion. 

Ainsi, dans une bataille contre l’armée d’Héraclius, lorsque les Arabes plièrent sur la nouvelle que leur général Dérar avait été fait prisonnier, Rasi, un de leurs capitaines, courut à eux: « Qu’importe, leur dit-il, que Dérar soit pris ou mort ? Dieu est vivant, et vous regarde(6). » 

Un autre général s’écrie: « Voyez le ciel, combattez pour Dieu, et il vous donnera la terre. » Aujourd’hui même encore, chez les Turcs, on appelle martyrs tous ceux qui meurent en combattant contre les infidèles. Telle est la loi que Mahomet a gravée dans leurs coeurs, beaucoup mieux que s’il l’eût écrite. 

La loi de la circoncision n’est pas moins solennelle, et n’est pas plus écrite. Mahomet fut circoncis; tous les Arabes l’étaient à l’âge de treize ans, comme l’avoue saint Jérôme sur Jérémie, chap. X. On faisait même une petite circoncision aux filles, en leur coupant un peu de la peau des nymphes; elles souffrent encore, dans plusieurs pays mahométans, cette sainte opération, lorsqu’elles atteignent l’âge de puberté. 

Mais la circoncision des mâles est le sceau du mahométisme. Je n’ai point détaillé les autres observances de la loi mahométane. J’aurais pu remarquer qu’elle commande l’aumône, qu’elle défend les jeux de hasard: il y a mille détails dans lesquels je pourrais entrer(7) dans une nouvelle édition d’un certain Essai sur les Moeurs, etc., qui n’est point du tout une histoire universelle, qui n’est qu’un tableau des principales sottises de ce monde; mais il faut toujours craindre de perdre dans ces petits détails l’esprit des nations que j’ai voulu peindre. 

VI. L’illustre savant, mon censeur, prend contre Mahomet le parti du vin. Je lui sais bon gré de vouloir convertir les musulmans sur cet article; mais s’il se fait Turc, comme l’abbé Mac-Carthi(8), je ne lui conseille pas d’en boire, surtout dans le ramadan, si le muphti est dévot et s’il a du crédit. 

Je l’avertis que Mahomet, dès son deuxième chapitre, déclare formellement que c’est un grand péché de boire du vin, et de jouer aux dés; et je lui conseille de relire assidûment ces belles paroles du chapitre V: « Dans les croyants et dans les justes, ce n’était point un péché de s’adonner au vin et au jeu avant qu’ils fussent défendus »; donc ils étaient défendus par Mahomet. Vous ne savez pas votre religion, monsieur le Turc: vous dites que vous vivez parmi les Turcs; instruisez-vous donc, profitez de leurs exemples, et connaissez mieux l’Alcoran avant d’en parler. Des sonnistes vous diront que le jeu signifie ici la chasse. Je soutiens qu’ils ont tort, comme je le prouverai ci-dessous; mais il résulte toujours que Mahomet a défendu le vin. 

VII. Mon savant Turc a lu ismamisme pour Islamisme; mon savant Turc a mal lu. Je lui conseille de recourir au troisième chapitre de son Koran ou de son Alcoran, où il est dit: « En vérité, l’Islam est aux yeux de Dieu la seule religion; dis, si on dispute avec toi: Je me suis résigné à Dieu. » 

Qu’il consulte Albedavi, il verra qu’Islam veut dire se résignant soi-même. Il a beau dire qu’islam signifie salut, parce que salamalech est la salutation des Turcs. Avec quels Turcs a-t-il donc vécu ? Il faut que ce soit avec des Turcs de bien mauvaise compagnie. Quoi! de salutation, révérence, viendrait le salut éternel, l’islamisme! Cette fade équivoque n’est supportable que dans notre langue. L’arabe n’admet point de tels jeux de mots; c’est une langue grave, sérieuse, énergique. Oh! la belle chose que la langue arabe! 

VIII. Notre Scaliger turc m’intente un procès bien juste et bien intéressant pour savoir s’il faut dire le Koran, ou l’Alcoran(9); mais il sait que l’article al signifie le, et que ce n’est que l’ignorance de la langue arabe qui a fait confondre ce le avec son substantif. S’il consulte le chapitre xii, intitulé Joseph, il verra ces mots: « Nous te rapportons une excellente histoire dans ce Koran », c’est-à-dire dans cette lecture que Mahomet faisait du chapitre xii. Koran signifiait donc lecture; et c’est ce que dit expressément Albedavi: ce mot vient de karaa, qui signifie lire. Mahomet ne dit pas dans cet Alcoran, il dit dans ce Koran. Je suis honteux d’être si fort en arabe; mais savez-vous l’arabe, vous qui parlez ? 

IX. Voici une grande dispute. Mon maître veut absolument que Mahomet ne sût ni lire ni écrire; je ne l’aurais pas choisi pour mon facteur en Syrie, s’il avait été si ignorant. Je sais bien qu’il s’appelle lui-même le prophète non lettré dans le chapitre VII; mais je prie mon critique d’observer que ce chapitre VII est plein d’érudition: qu’il le lise, il sera obligé de convenir, à sa honte, que Mahomet était un homme savant et modeste. Mais que dira-t-il quand il apprendra que Mahomet était un poète, et que son Koran ou son Alcoran est écrit en vers ? Ne sait-il pas que les poètes de la Mecque affichaient leurs poésies à la porte du temple de la Mecque; et que Labid, fils de Rabia, le meilleur poète sans contredit des Mecquois, ayant vu le second chapitre du Koran ou Alcoran que Mahomet avait affiché, se jeta à ses genoux, et lui dit: « O Mahomet! ou Mohammed, fils d’Abdalla, fils de Moutaleb, fils d’Achem, vous êtes plus grand poète que moi! Vous êtes sans doute le prophète de Dieu. » 

Je ne suis, je l’avoue, ni aussi savant, ni aussi bon poète que Labid, fils de Rabia; mais je me jette aux pieds de mon savant censeur, je lui dis: « Vous êtes plus savant que moi, mais soyez un peu honnête, et ne me traitez pas avec tant de cruauté, parce que j’ai dit qu’un poète savait lire et écrire. » 

Avez-vous oublié que ce poète était astronome, et qu’il réforma le calendrier des Arabes ? Que ne dites-vous que César, qui en fit autant chez les Romains, ne savait ni lire ni écrire ? 

Mahomet aurait-il, je vous prie, demandé une plume et de l’encre dans son agonie, s’il n’avait été accoutumé à s’en servir ? Omar l’en empêcha, de peur qu’il ne fît un testament, ou qu’il n’écrivît des sottises. Mais, monsieur, quand vous avez pris la plume pour écrire contre moi tant d’injures, si quelqu’un vous avait ôté votre plume dans vos accès, aurait-on droit de dire, comme on le dit pourtant à la lecture de votre ouvrage, que vous ne savez point écrire ? 

Vous prétendez que le prophète devait demander un style de fer, et non pas une plume: je conçois, monsieur, qu’un style de fer est de votre goût; mais, en conscience, on écrivait alors sur du parchemin. 

Au reste, je rends toute la justice que je dois, soit à votre style, soit à votre plume. 

X. Maître, vous me dénoncez à l’empereur de Maroc, au Grand Turc, et au Grand Mogol, comme un perturbateur du repos public, qui ose avancer que l’intention de Mahomet était qu’Ali, mari de sa chère fille Fatime, fût en possession du califat. Vous ne voulez point qu’on songe à établir son gendre et son cousin germain. Pourvu que vous ne me défériez pas à l’inquisition, je me tiendrai très heureux. 

XI. M’y voilà déféré, maître; j’ai dit qu’on reconnut Mahomet pour un grand homme; rien n’est plus impie, dites-vous. Je vous répondrai que ce n’est pas ma faute Si ce petit homme a changé la face d’une partie du monde, s’il a gagné des batailles contre des armées dix fois plus nombreuses que les siennes, s’il a fait trembler l’empire romain, s’il a donné les premiers coups à ce colosse que ses successeurs ont écrasé, et s’il a été législateur de l’Asie, de l’Afrique, et d’une partie de l’Europe: je vous accorde qu’il est damné; mais César et Alexandre le sont aussi; Cicéron ne l’est-il pas ? Et ne pourriez-vous point l’être, tout éloquent que vous êtes, pour vous être mis si fort en colère ? 

XII. Cette colère pourtant est en quelques endroits bien excusable; irasimini et nolite peccare(10).Vous condamnez comme hérétique, sentant l’hérésie, et malsonnante, cette proposition: « L’amour, qu’un tempérament ardent avait rendu nécessaire à Mahomet, et qui lui donna tant de femmes et de concubines, n’affaiblit ni son courage, ni son application, ni sa santé. » Vous m’avouerez au moins, monsieur, qu’il avait du courage, quoiqu’il fit l’amour, puisqu’il donna tant de combats. A votre avis, le maréchal de Saxe, qui aimait tant les filles, était-il sans courage ? Je connais encore plus d’un maréchal de France(11) qui trouvera votre proposition plus malsonnante que vous ne trouvez la mienne. Vous serez forcé de convenir que Mahomet était appliqué, puisqu’il était législateur; et quand je vous dirai qu’il était médecin, vous ne douterez pas qu’il ne se portât très bien. 

Je ne prétends pas autoriser la pluralité des femmes, à Dieu ne plaise! Je crois qu’une seule suffit à la fois, pour le bonheur d’un galant homme. Mais, monsieur, considérez, de grâce, que Mahomet était Arabe, et qu’on pourrait bien vous montrer dans son voisinage de très grands rois qui avaient un peu plus de femmes que le petit-fils d’Abdalla-Moutaleb. Vous dites ici des injures aux dames. Que je vous suis obligé! Vous me donnez cette moitié du genre humain pour protectrice; et avec cette moitié je suis sûr de l’autre. 

XIII. Vous ne voulez donc pas, monsieur, que raschild soit le plus beau des titres! Cependant, monsieur, raschild signifie juste. Voudriez-vous faire croire, par vos critiques, que l’équité n’est pas votre vertu favorite ? 

Non, en vérité, monsieur, elle ne l’est pas. Comme vous traitez M. le comte de Boulainvilliers! Vous l’appelez, sans façon, mahométan français, déserteur du christianisme(12). Je croyais d’abord que c’était à M. le comte de Bonneval que vous en vouliez: l’expression serait juste, puisqu’en effet M. de Bonneval s’est fait circoncire; mais pour M. de Boulainvilliers, je n’ai point ouï dire qu’il l’ait été; il regardait Mahomet comme un Numa Pompilius, un Thésée. Tout le monde dit du bien de ces gens-là; pourquoi ne voudriez-vous pas qu’on en dît aussi un peu de Mahomet, à quelques égards ? Appelez-vous païens ceux qui louent Thésée ? Non. Pourquoi donc appelez-vous mahométan M. le comte de Boulainvilliers ? Ignorez-vous que sa famille est chrétienne ? Et comptez-vous qu’elle soit assez bonne chrétienne pour vous pardonner un outrage si infâme et si grossier ? Pour moi, monsieur, je vous pardonne, et de si bon coeur que je vous promets de ne vous jamais lire. 

XIV. Vous vous trompez, mon Turc; la religion dominante dans l’Inde est la vôtre. Est-il possible que vous soyez si mal instruit de vos affaires ? Il y a, dites-vous, mille idolâtres pour un musulman. Mais, mon cher Turc, vous savez qu’en Grèce il y a aussi mille pauvres gens de la religion grecque pour un brave osmanli, pour un Turc. On appelle la religion dominante celle qui domine. J’ai dans mes terres plus de domestiques huguenots que de catholiques; cependant ma religion est la dominante. Le calvinisme domine en Hollande, quoiqu’il y ait plus de catholiques que de protestants. Mais ce n’est pas tout; vous n’avez jamais lu le livre de M. Niecamp(13) sur la presqu’île de l’Inde. Je vous avertis que c’est la seule bonne relation qu’on ait de ce pays. Mais vous ne savez peut-être pas l’allemand: n’importe, lisez ce livre; vous y verrez que les musulmans ont converti dans la presqu’île des milliers d’idolâtres; que partout les musulmans sont en crédit dans la presqu’île; mais enfin apprenez que la religion du Grand Mogol est dominante dans le Mogol. 

XV. Que vous êtes ignorant, mon cher Turc! Apprenez que les bramins, ou bramines, ou bramènes d’aujourd’hui, sont les successeurs des brachmanes; qu’ils tiennent d’eux la métempsycose et la belle coutume de faire brûler les veuves dévotes(14); qu’ils se disent, ainsi que les anciens gymnosophistes, disciples du roi Brachman. C’était, comme tout le monde sait un grand philosophe qui vivait il y a cinq ou six mille ans. Il faut que vous n’ayez jamais été à l’université de Jaganat(15), puisque vous ignorez ces choses, que les moindres écoliers de cette savante université vous auraient dites. Ah! je vois bien que vous n’êtes qu’un Turc de Paris. Je vous reconnais, masque. 

XVI. Non, mon ami, vous n’avez jamais été dans l’Inde; non, vous ne vivez point avec les fidèles musulmans, comme vous vous en vantez. Quoi! vous soutenez que la presqu’île deçà le Gange n’appartient pas de droit au Grand Mogol, après les conquêtes d’Aurengzeb ? Vous ignorez qu’il prétend un tribut de tous 

les nababs, de tous les raïas, qui sucent la presqu’île! Pauvre homme! vous ne savez pas que le souba de Décan prend l’investiture de sa Majesté impériale mogole; qu’il est maître, à la vérité, du gouvernement d’Arcate, qu’il donne ce gouvernement à son favori; mais que ce souba n’en dépend pas moins de l’empereur ? Oui, monsieur, toute la presqu’île, toutes les Indes, à compter depuis Candahar jusqu’à Calicut, tout appartient de droit divin à Sa Majesté, attendu le droit de conquête et le droit de bienséance. Allez vous informer de tout cela au portier de M. Dupleix(16), qui a rendu pour peu de temps le nom français respectable et terrible dans l’Inde: il vous en dira cent fois plus que moi; il vous apprendra à parler. 

C’est moi qui vous déférerai au Grand Mogol. Vous abusez de sa faiblesse présente, vous prenez le parti des rebelles que vous appelez rois; sachez qu’ils ne sont que naïques. 

Avez-vous jamais entendu parler du royaume Tondeumandalam, que possédait le roi Tonden, vaincu par Aurengzeb ? Savez-vous que Visapour et Golconde sont regardés comme des provinces de l’empire ? Savez-vous ?... Mais, vraiment, je suis bien bon de vous parler. Adieu; je n’aime pas à perdre mon temps. 

Voltaire, 1760voltaire

Concernant Mahomet et l'opinon de Voltaire à son sujet, voir à ce propos dans sa biographie.


Note 1 Par d’Herbelot. 
Note 2 Humphrey Prideaux a écrit en anglais la Vie de Mahomet, imprimée en 1697, et traduite en français dès 1698. La première édition de la Vie de Mahomet, par Boulainvilliers est de 1730. 
Note 3 Voltaire l’appelle ainsi parce que, né en Angleterre, il avait demeuré vingt cinq ans en Arabie. 
Note 4 Dans les premières éditions, Voltaire disait de Mahomet: « Il enseignait aux Arabes, adorateurs des étoiles, qu’il ne fallait adorer que le dieu qui les a faites. Voltaire a, depuis, entièrement refondu le chapitre où il parlait du mahométisme; voyez ce qu’il dit du culte des astres en Arabie, tome XI, page 204. 
Note 5 Voltaire n’en a pas parlé. 
Note 6 Voyez tome XI. 
Note 7 C’est ce qu’il a fait; voyez, tome XI les chapitres VI et VII de l’Essai sur les Moeurs.
Note 8 Sur ce personnage, voyez, tome VIII, une des notes de l’Ode sur l’Ingratitude, 1736. 
Note 9 Voyez, tome XVII, l’article Alcoran; et l’article Arot et Marot. 
Note 10 Psaume IV, verset 5; et Épître aux Éphésiens, chap. iv, verset 26. 
Note 11 Entre autres le maréchal de Richelieu. (B.) 
Note 12 Pages 38 et 39 de la Critique.
Note 13 Histoire de la mission danoise dans les Indes orientales, traduite de l’allemand, de Jean-Lucas Niecamp, 1745, trois parties in-8°. 
Note 14 Cette coutume a été abolie, par ordonnance du 4 décembre 1829, dans la partie de l’Inde soumise à la domination anglaise. (B.) 
Note 15 Jaganat on Jagrenat, sur le golfe de Bengale, est célèbre par sa pagode, où réside le grand prêtre des brames. 
Note 16 Sur Dupleix, voyez, tome XV, le chapitre xxix du Précis du Siècle de Louis XV.