Amin Dada

Amin Dada, recto Amin Dada, verso

"Amin Dada" a été publié par Eric Wiedemann en 1977 aux éditions Paul Zsolnay Verlag Gesellschaft M.b.H Vienne - Hambourg.
Traduit de l'allemand par Françoise Planiol pour les éditions Charles Denu, 12 rue claude genoux, 73200 albertville.

A l'époque de la parution de ce livre, l'islam était largement inconnu en France, c'est ainsi que la traductrice s'est contenté d'orthographier très approximativement certains termes musulmans directement en fonction de la sonorité allemande : puits Sim-Sim (au lieu de Zem-zem) et guerre sainte du Dschihad (au lieu de Djihad)

pochette du 45 tours Amin dada

Quoiqu'étant l'un des plus grands criminels du XXème siècle, le personnage d'Amin Dada était à ce point ubuesque qu'il inspira un 45 tours.
Cliquer sur la pochette pour en écouter un extrait.

Extraits :
(Deuxième de couverture)
Enorme dans le burlesque, dans la vantardise et dans la cruauté, Idi Amin Dada intrigue, déclenche l'hilarité, irrite, inquiète, terrorise. Lorsqu'il offre au peuple britannique dans le besoin une cargaison de bananes, il met les rieurs de son côté.
Lorsqu'il séquestre un ressortissant anglais et exige que la reine Elisabeth vienne humblement lui mendier la liberté de son sujet, il fait grincer.
Lorsque les corps de ses adversaires politiques jetés aux crocodiles échouent en grappes sur les rives du Nil, il fait frémir.
Idi Amin Dada est un plaisantin avec qui il vaut mieux ne pas trop plaisanter. Il prétend connaître la date de sa mort et. en attendant, il trucide avec truculence quiconque ose lui tenir tête.
Selon la Commission Internationale des Juristes, il a quelque 25 000 cadavres sur ce qui lui tient lieu de conscience.
En expulsant du jour au lendemain les Indous et les Européens, il a plongé dans un chaos inimaginable l'économie florissante de l'Ouganda, que Winston Churchill appelait la « perle de l'Afrique ».
Souverain sans partage d'un Etat devenu « l'Absurdistan », il offre un tremplin à la lutte arabe contre Israël qui l'avait pourtant hissé au pouvoir.
Il fournit une tête de pont à la politique soviétique en Afrique Centrale. Il manifeste pour l'Angleterre, qui lui a appris à manier les armes, tous les excès d'un dépit amoureux et d'une insatiable soif de revanche. Il voue à l'Allemagne une admiration sans bornes parce qu'elle a engendré Adolph Hitler qui voisine avec le Pape dans son étrange Panthéon.
Eric Wiedemann retrace dans ce livre l'irrésistible ascension d'Amin à travers des intrigues rocambolesques, au milieu du bruit et de la fureur, dans le vertige de la magie noire.
Ceux qui ont approché le dictateur de Kampala le disent fort, courageux, sportif, fabuleux en amour, cruel, menteur, sournois et doué d'un entendement très moyen. Mais il est impossible de ne pas rendre justice à la puissance primitive de cette personnalité qui semble échapper à toute définition.
Enfin, ce livre est une clé pour mieux comprendre l'immense et riche Afrique en ébullition, convoitée et déchirée, avec ses monstres et avec ses hommes, avec ses drames et avec ses espoirs.

(Pages 105 à 111)
A la conférence de l'O.U.A. [Organisation de l'Unité Afrocaine] à Mogadishu (Somalie), les Arabes preésentèrent un « programme d'aide immédiate » qui devait épargner aux trente-quatre Etats africains importateurs de pétrole les plus lourdes difficultés liées à la hausse des prix. La conférence était tout entière sous l'effet du choc provoqué par la hausse du pétrole. Et c'est pour cette seule raison que le bloc arabe réussit à faire accepter Kampala comme siège de la prochaine session de la conférence. Par là même, suivant le rituel de l'O.U.A., ils promouvaient Amin Dada au rang de futur Président de la communauté. En effet, ce genre de flatterie était, pour Amin Dada, le meilleur des appâts, supérieur à l'argent et aux armes. Et devenir le porte-parole de tous les Africains, c'était pour lui l'accomplissement de ses plus grands rêves d'homme d'Etat. Grâce à cette tactique, les Arabes lièrent Amin encore plus étroitement à eux. En fait, il leur garantissait un écho comme la cause arabe n'en avait jamais connu en Afrique noire. Il en va de la politique comme du show-business : mieux vaut parfois une publicité négative qu'aucune publicité.

Les millions de pétrodollars investis en Ouganda rappor- taient des intérêts impressionnants dans le domaine politique. Les Arabes doivent à Amin Dada leur victoire décisive sur Israël devant les Nations-Unies. Au discours confus et provocateur qu'Amin avait prononcé le 2 octobre 1975 devant l'assemblée plénière de l'O.N.U., succéda un violent débat qui aboutit finalement, au nom du racisme, à la condamnation d'Israël. Amin qualifia les Etats-Unis de « colonie du sionisme », et demanda rien moins que « l'anéantissement de l'Etat d'Israël ». Le délégué en chef des Etats-Unis, Patrick David Moynihan, contribua au durcissement des fronts en ripostant qu'Amin était un « assassin raciste », et qu'il n'avait pas été choisi par hasard comme porte-parole des Africains.

Tiamiou Abjibade, porte-parole de la délégation du Dahomey, répliqua au nom des Africains. Il soutint l'affirmation d'Amin selon laquelle les U.S.A. se trouvaient sous « l'emprise du sionisme ». Si Moynihan « confond son travail auprès des Nations-Unies avec la défense du sionisme, il ferait mieux de filer en Israël ». Applaudissements sur la gauche. Indignation sur la droite. Allégresse parmi les « représentants du Tiers-Monde ». Le délégué américain Clarence Mitchell rappela à l'assemblée le rapport de là Commission internationale des Juristes de mai 1974, qui accusait Amin de milliers de meurtres. Les Nations-Unies n'avaient pas réagi à l'époque devant ce palmarès de l'horrible. Encore une fois, l'exhortation resta sans écho. Une fois de plus, les Nations-Unies ne donnèrent aucune réponse. Cinq semaines plus tard, elles adoptèrent, à la majorité des voix, une résolution dans laquelle le sionisme était dénoncé comme une forme de racisme. Pour les Arabes c'était la victoire sur toute la ligne.

GUERRE SAINTE POUR AMES NOIRES

Les Arabes et Khadaffi en particulier s'étaient fixé, outre des buts de politique réaliste, des objectifs spirituels. Musulman fanatique, le Libyen voulait, grâce à d'importantes subventions, aider l'Islam à percer en Afrique centrale.

Pour donner « aux Musulmans opprimés par l'impérialisme britannique » la place qui leur revenait dans l'Etat ougandais, Khadaifi créa un fonds de secours destiné à soutenir les sujets d'Amin animés par la foi musulmane. Selon ses propres sources, le pourcentage des Musulmans dans l'ensemble de la population ougandaise s'élevait à plus de soixante-dix pour cent, alors que l'annuaire statistique les évalue à cinq pour cent. L'administrateur du fonds, le cheikh Abdulrazak Matovu, fut bientôt obligé de fermer ses caisses. Les Ougandais, musulmans et non-musulmans, se pressaient par milliers devant une assiette au beurre servie si'libéralement. Pratiquement aucun d'entre eux n'avait de papiers d'identité mentionnant son appartenance religieuse. Il fallait donc, par la force des choses, les prendre tous au sérieux. Avant même qu'on eût l'idée de faire réciter aux requérants des versets du Coran, pour établir leur croyance au Prophète, le fonds était épuisé. On ne peut pas non plus rejeter la présomption selon laquelle le cheikh Abdulrazak ne se serait pas oublié dans la distribution. La campagne d'islamisation fut, dans certaines régions, un franc succès, mais pas pour longtemps. Dans les écoles primaires de Kampala, le nombre des élèves musulmans sextupla temporairement. Mais la plupart abandonnèrent quand la vogue passa avec la fermeture des caisses.

Sous l'influence des pétrodollars, Amin Dada devint non seulement antisioniste, mais également prosélyte acharné de la foi musulmane. Il n'avait jamais été un zélateur religieux. Au contraire : on louait sa tolérance en la matière. Après la prise du pouvoir, il s'exhiba plusieurs fois en public avec les représentants des trois confessions ougandaises pour prouver que l'harmonie religieuse régnait chez lui. Un de ses frères est catholique. Deux de ses fils furent élevés jusqu'à la fin 1972 au séminaire de Katigando. Suivant la volonté de. leur père, ils devaient devenir prêtres catholiques. Jusqu'au moment où il modifia de façon radicale la composition de sa famille, en mars 1974, le musulman Amin était marié avec trois femmes chrétiennes et une seule musulmane.

Le début de la guerre sainte du Dschihad privé d'Amin, coïncide de façon très évidente avec l'arrivée d'importants subsides provenant de Tripoli et de Riad. Le 15 novembre 1972, quand le roi Fayçal d'Arabie Séoudite atterrit en Ouganda, il avait dans ses bagages un gros chèque et un demi-gallon d'eau sainte tirée au puits Sim-Sim près de La Mecque. Le 21 novembre, une semaine à peine après que les deux chefs d'Etat eurent souligné dans un communiqué la nécessité de renforcer la foi islamique, Amin lança son peuple dans une nouvelle chasse à l'homme. Il déclara à la radio que « des commandants et généraux, dont la majorité avaient déjà participé à l'invasion dans l'est du Congo », étaient en train de s'infiltrer dans la nation, déguisés en prêtres et en missionnaires. « Tous les ecclésiastiques étrangers et leurs collaborateurs africains devaient se faire enregistrer pour des raisons de sécurité intérieure. Il était à craindre « que les impérialistes chassés n'essayent, par le biais de la religion, de revenir furtivement dans le pays ».

L'archevêque catholique Emmanuel Nzubuga et deux de ses évêques furent obligés de se rendre dans la villa du Président, à Kololo, pour y entendre un discours sur la subversion des missionnaires blancs. « Certains d'entre eux », déclara Amin, « ne comprennent rien au message de la Bible ; par contre, ils s'y connaissent bien davantage en fusils et en grenades à main ».

Dans la semaine qui suivit la visite de Fayçal, 58 des 1 455 missionnaires étrangers -- dont 1 239 catholiques -- furent expulsés « parce qu'ils se trouvaient illégalement dans le pays ». Les autorités ougandaises avaient fait traîner leurs demandes de renouvellement de visa jusqu'à ce que les précédents fussent périmés.

« Soupçonné d'espionnage », l'évêque de Jinja, Joseph Villigers, fut arrêté et traîné à la prison de Makindiye. Il fut enfermé, nu, dans une cellule et y resta presque deux journées entières, sans manger ni boire. Après sa libération, Villigers fut certes autorisé à retourner dans son diocèse, mais il y vit depuis sous la férule constante de la police. L'archevêque Nzubuga fut également placé sous surveillance. Le journal kenyan Sunday Post, informa en novembre 1972 ses lecteurs d'une « extermination systématique » des catholiques dans les villes de Mbara et Masaka, où se trouvaient concentrées les unités d'Anyanya musulmans recrutés par Amin.

Suivant la méthode qui lui est chère de la douche écossaise, le souverain fit suivre le bain froid d'une chaude bénédiction. Il promit aux écoles catholiques du pays un important soutien financier et remercia les missionnaires « de leur bon travail empreint de responsabilités au service de l'enseignement ».

L'année suivante, Amin dispensa les institutions chrétiennes de l'impôt qu'elles payaient jusque là sur les biens fonciers. Motif : « II n'est pas convenable que l'Etat encaisse des impôts sur des lieux consacrés à Dieu ». Lors d'un banquet offert aux évêques et cardinaux africains à Kampala, Amin porta un toast à la paix religieuse. « Lorsque vous serez rentrés dans vos patries » exhorta-t-il l'assemblée des Princes de l'Eglise, « dites à vos chefs de gouvernement qu'ils soient tous aussi aimables que moi à l'égard de tous les hommes, qu'ils soient musulmans, catholiques ou protestants ». La semaine suivante, Newsweek signala qu'à Jinja, deux capitaines avaient été fusillés, parce qu'ils avaient changé le tableau de service pour permettre aux soldats catholiques d'assister à la messe du dimanche.

Des aspirants chrétiens ont raconté qu'il était plus facile à un aide-cuisinier musulman de devenir officier qu'à un non-musulman d'être nommé porte-drapeau.

En janvier 1973, Amin ordonna la réorganisation des services spirituels dans les armées. Tous les soldats devaient désormais être placés sous l'autorité d'aumôniers ayant rang d'officiers. Dans un ordre du jour, le chef suprême des armées expliqua « la grande importance de la religion pour l'Ouganda ». Les officiers furent puissamment exhortés à suivre avec assiduité les services religieux, « parce que des soldats qui ne prient pas, perdent leur capacité de jugement, tout comme ceux qui s'adonnent à la boisson ». Les ecclésiastiques en uniforme aimaient entendre de telles paroles. Seul un passage de cet ordre du jour ne leur plut guère : ils devaient tous être placés sous la coupe du lieutenant-colonel Cheikh Kahmis Safi, farouche prêcheur de l'Islam, qu'Amin, sous la pression de Khadaffi, avait introduit dans l'armée avec le grade d'officier d'Etat-major.

En septembre 1975, Amin déclencha une nouvelle vague anticléricale, mais de moindre importance. Seize missionnaires catholiques des districts de Gulu, Arna et Lira dans le nord du pays furent arrêtés puis expulsés. L'un d'entre eux rencontra, lors de son escale à Nairobi, un reporter du Daily Nation : « J'ai passé quarante-deux ans en Ouganda », lui raconta-t-il, « et je suis très attristé de devoir partir dans de telles conditions. Mais les policiers qui nous ont arrêtés ne nous étaient pas hostiles. Ils nous ont bien traités ».

Les cercles apostoliques de Rome craignirent une nouvelle persécution des chrétiens, semblable à celle que le roi bougandais Mutesa 1er avait déclenchée à la fin du siècle dernier, au lendemain de sa conversion à l'Islam. A l'époque, les guerriers musulmans avaient utilisé les chrétiens comme cibles pour leurs exercices de tir. On n'en arriva pas là cette fois-ci. En mars 1973, l'agence d'information catholique exprima son étonnement de constater la grande augmentation du nombre de postulants à des fonctions sacerdotales, « au moment où l'Eglise se heurtait à des difficultés importantes créées par le chef de l'Etat, le général Amin Dada ». Aussi les responsables des catholiques ougandais estimèrent-ils que les attaques anti-cléricales d'Amin n'étaient au fond qu'un geste de complaisance à l'égard des bailleurs de fonds musulmans. «En tant que musulman et dictateur», explique un prêtre au correspondant de Newsweek, Andrex Jaffe, « il est incapable de différencier religion et politique. Il n'est pas anticatholique dans le sens philosophique. C'est tout simplement un tyran qui veut régner sur tout en Ouganda, également sur l'Eglise ».