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C'est en langue arabe, dans le dialecte même de la cité natale du Prophète Muhammad (Dieu le bénisse et le sauve!), que le Coran fut graduellement révélé (S. XIII,37) à l'intention de tous les hommes doués de raison (S. XII, 27), "en une Nuit bénie" (S. XLIV,3) appelée "Nuit de la Prédestination" (S. XCII, 1).
II fut communiqué par l'entremise de l'Archange Gabriel à un messager choisi par Dieu, pour servir d'avertissement, de bonne nouvelle et de bonne direction "à ceux qui adorent Dieu, font le bien, croient au mystère du monde et sont convaincus de la vie future" (S. II, 34). C'est une révélation faite indirectement par Dieu dans Son unicité et Sa transcendance absolues, Son omnipotence et Son omniscience infinies, Créateur de l'univers, connaissant le connaissable et l'inconnaissable (5. VI, 59, 73), les secrets des curs et au-delà de leurs secrets (S. IV, 63, XX,7).
Et cette révélation s'inscrit dans l'ordre des Ecritures transmises par Abraham, Moïse et Jésus pour "confirmer leur enseignement et leur restituer leur authenticité originelle". (S. II, 130-132, S.V, 44,46). Transmise aux hommes pour leur apprendre ce qui échappe à leur raison, ce qui est utile à leur condition humaine, à leur vocation sur terre, à leur retour à Dieu (S. III, 84) servir de guide à ceux qui exècrent le mal et le vice, glorifient le bien et la vertu, et s'efforcent de discerner la vérité de l'erreur. Comment ceux qui ont reçu les premiers ce Message monothéiste l'ont-ils compris et appliqué ? Le Coran contient 114 sourates, 6235 versets. Comment les ont-ils perçus et vécus ? Sa compréhension a-t-elle été stable au cours des siècles ? Les générations musulmanes qui se sont succédées ont-elles compris et expliqué cette Ecriture sacrée littéralement, suivant le strict sens littéral des versets ou interprété suivant leurs opinions personnelles et leurs tendances spirituelles ?
C'est à ces questions dont l'importance est évidente que le présent exposé essaie de répondre. Exposé forcément sommaire, eu égard à l'ampleur d'un problème aux données complexes et dont la solution impose une information aussi vaste que précise et une parfaite probité intellectuelle, au-dessus de tout soupçon.
La question est d'autant plus justifiée que le Coran lui-même s'affirme explicitement une Ecriture révélée contenant des versets clairs et des versets ambigus, un sens littéral et un sens profond, un sens apparent (dhâhir) et un sens caché (bâtin) ou allégorique (ishâri) que seuls peuvent saisir ceux qui ont approfondi la science (râsikhûnu fî-I-' Ilmi) (S. III,7 ; IV, 162).
Cette affirmation coranique de l'existence dans son Texte de verset ambigus (mutashâbihât) est exprimée dans le verset (S. III,7) "C'est lui [Dieu] qui t'a révélé l'Ecriture (Kitâb) contenant des versets parfaitement compréhensibles qui lui servent de base et des versets ambigus. Les sceptiques s'attacheront à ce qui est équivoque par esprit de contradiction ou en vue d'interprétations tendancieuses, alors que son interprétation (ta'wiluhû) relève seulement de Dieu et des savantissimes.
Aux ambiguïtés qui appellent une interprétation à bon escient, annoncées dans ce verset, s'ajoute une autre source de difficultés formelles. Le Coran fut révélé en langue arabe, mais qui dit langue arabe dit en réalité deux groupes linguistiques synthétiques, l'un en usage dans l'Arabie du Sud ou groupe qahtanide, l'autre parlé en Arabie centrale et au Nord de l'Arabie, ou groupe muzarite. De chaque groupe, au reste, dérivaient des dizaines de dialectes ayant chacun sa propre sémantique, ses propres structures morphologiques, ses mots rares (shawâz), ses formes de pluriel, ses règles d'accord verbal et de déclinaison. Mais la précellence au point de vue pureté, était et sera plus tard, pour les philologues, la langue des bédouins de l'Arabie centrale, en particulier le parler des Hawâzin qui nomadisaient ordinairement dans le voisinage de Tâ'if.
Par ailleurs, en cas de doute sur la prononciation, la syntaxe, le sens ou le bon usage d'un mot, on avait une référence stable, la poésie. Si le Coran tient les poètes pour des menteurs " qui errent " et tirent gloire d'exploits qu'ils n'ont jamais accomplis, (XXVI, 224-225) le hadîth l'a réhabilité comme source de sagesse et reflet de la sensibilité humaine. On peut donc s'en rapporter à elle, en cas de difficulté linguistique. La poésie, dit-on est "la source référentielle" (dîwân) des Arabes. On a, de nos jours, récusé l'authenticité de cette littérature poétique. Il n'en demeure pas moins vrai qu'elle est indispensable, sur le plan documentaire, à la connaissance de la vie, des us et coutumes, de la culture et des émotions des Arabes de l'époque païenne (Jâhiliyya).
Quoi qu'il en fût, il fallait se mettre d'accord sur un critère linguistique pour éliminer toute équivoque de sémantique. C'est dans le parler de La Mekke que le Coran fut révélé. Or, le parler des Qurayshites avait, pour des raisons géographiques, historiques, culturelles et commerciales, fait non seulement des emprunts aux dialectes des autres tribus et qu'on retrouve dans le Texte coranique, mais encore à l'hébreu, au nabatéen, au persan, au byzantin, à l'amharique (langue de l'Ethiopie) et même au berbère et au zanzibarien.
Le savant polygraphe As Suyûti (m. 9111/1505) a dressé une longue liste des vocables coraniques d'origine étrangère à la langue arabe dans son "'Itqân" bien connu (ed. du Caire .1967, t. II, 108 et suivantes).
Or, lorsqu'on procéda à la première recension du Coran, sous le califat d'Abû-Bakr, deux ans à peine après la mort du Prophète (juin 10/632) et à la recension définitive sous 'Uthman (m. 35/656), il fut décidé que le parler des Qurayshites, c'est-à-dire de La Mekke, aurait pour l'établissement officiel du Coran, une priorité exclusive, en cas d'amphibologie.
Mais le consensus sur la sémantique n'était pas le seul préalable à définir pour lever le voile (Tafsîr) sur certains vocables et certaines allusions historiques du Coran. II y est question de prophètes bibliques, de personnages historiques comme Alexandre le Grand, de peuplades antiques anéanties comme 'Ad et Thamûd, de persécutions subies par les Chrétiens de l'Arabie du Sud, des royaumes yéménites, des Pharaons, des tribulations des Israélites, sans compter les mentions de concepts religieux étrangers à la mentalité des idolâtres et sur lesquels seuls les doctes personnages versés dans les Ecritures judéo-chrétiennes pouvaient renseigner, à défaut du Prophète lui-même auquel il avait été prescrit d'expliquer le Message aux hommes (S. II,221 ; S. XVI, 64 ; etc.)
Ses compagnons, son entourage, les nouveaux convertis l'interrogeaient avec d'autant plus d'empressement qu'ils ne pouvaient se fier à leurs connaissances personnelles, ni à leurs seules aptitudes. Le Coran met lui-même en garde les fidèles contre les suppositions infondées, les conjectures qui faussent bien souvent la vérité (S. X, 36) et constituent par là même une source de péchés ('ithm) (S. XLI, 12).
Aussi, dès le début de l' Islâm, le Tafsîr devint-il un terme technique désignant l'exégèse. Les premiers questionneurs zélés et de plus en plus nombreux, étaient d'abord les proches parents du Prophète, en particulier 'Ali Ibn 'Abi Tâlib, son cousin et futur beau-fils, son autre cousin 'Abd-I-Lâh b. 'Àbbâs, qu'il avait recueillis tous deux. Chez lui. Ils furent témoins de ses moments d'heur et de malheur et reçurent en premier lieu son enseignement. Témoins et questionneurs furent aussi les compagnons de celui-ci (Sahâba) qui avaient partagé son sort, dès le début de la Révélation et qui donnèrent le meilleur d'eux mêmes pour faire triompher l'Islâm sur le polythéisme: 'Abû Bakr, 'Umar, 'Uthmân et tant d'autres. Certains, parmi ces derniers furent, sa vie durant, ses gardes du corps, ses serviteurs ou ses familiers, et c'est le cas de 'Abdallâh b. Mas'ûd, 'Ubayy, 'Abu Hurayra, etc. Non seulement ils étaient au courant de la Révélation, de l'enseignement et des propos du Prophète, à ce sujet, mais encore des moments, des lieux et des circonstances de la Révélation, de l'enseignement et des propos du Prophète, à ce sujet, mats encore des moments, des lieux et des circonstances de la Révélation des versets. Les précisions qu'ils fournirent à ce sujet donnèrent naissance à une discipline qui sera alors et ultérieurement une source d'information pour le Tafsîr, connue sous le titre de "Causes de la Révélation" (A'sâ-b-n-NuzûI).
À la connaissance des causes et des circonstances de la Révélation, devait s'ajouter une autre discipline devenue classique en matière de droit et de théologie l'abrogation de certains versets et leur remplacement par d'autres versets au cours de la transmission du Message divin par le Prophète lui-même.
Cette discipline connue sous le nom de 'Ilm-n-Nâsikh wal-Mansukh, devait contribuer à l'éclairage de l'exégèse comme source d'information.
Mais, si on pouvait à la rigueur résoudre le problème de la forme, au point de vue langue, contexte historique, circonstances et déroulement de la Révélation, une autre difficulté, et non des moindres, restait à aplanir, liée au passage d'un climat et d'un milieu idolâtres à un climat et à l'instauration d'un milieu monothéiste tout nouveau. II fallait gloser et développer certains points ayant une grande importance dogmatique, juridique, rituelle.
Force fut de mettre à contribution le Coran dont beaucoup de versets expliquent ou complètent d'autres versets, et c'est le cas de ceux relatifs à la création de l'univers, à l'origine de la vie, à l'apparition de l'homme sur terre, à sa vocation et à son errance sur terre, à sa nature ingrate, au devenir et à la fin du monde, au paradis, à l'enfer, à la bonne action, au péché ; des versets d'importance prophétologique, surtout ceux concernant les 'Ahl-l-'Azâ'im ou prophètes missionnaires comme Noé, Abraham, Moïse, Jésus ou de ceux qui avaient gravité autour de chacun de ces prophètes comme Aaron, la Mère Virginale, les disciples de Jésus, etc. On fit évidemment appel aux autres sources monothéistes.
Théoriquement, les Ecritures antérieures, la Thora et l'Evangile en la foi desquels le Coran avait fait pour le Musulman une obligation (S. II, 4) pouvaient fournir une information aussi abondante que détaillée. Mais cette source fut, tout au moins au début, récusée. Le Prophète avait dit, selon un hadîth réputé authentique
"Lorsque les Juifs et les Chrétiens vous entretiennent [de leurs Ecritures], ne tenez leurs propos, ni pour vrais, ni pour mensongers"
Tant que le Prophète était vivant, ces difficultés pouvaient être facilement surmontées. Mais, au lendemain de son décès, il fallait de toute urgence combler une telle perte documentaire. Et ce d'autant plus que l'aire de l'Islâm s'étendait de plus en plus, à travers les peuples et les continents.
Sous les quatre premiers califes, l'Islâm connut une expansion politique et religieuse inattendue, non seulement en Arabie, mais aussi en Afrique et en Asie, au détriment des deux plus grands empires du moment, l'empire sassanide et l'empire byzantin. Or, les millions d'adeptes convertis à la religion musulmane n'étaient pas arabophones. C'était des 'A'âdjim auxquels il fallait expliquer le Coran non seulement au point de vue de la langue (lugha), mais encore sur le plan du dogme (Dîn), de la loi (Sharî'a), du rituel (Farâ'id) et du comportement dans la vie quotidienne (Sîra). En outre, il n'était plus question seulement du peuple arabe, mais d'une communauté de peuples ethniquement, linguistiquement et sociologiquement hétérogène, "Ummat Muhammad".
C'est dans de telles conditions philologiques, culturelles, historiques et ethnologiques que l'exégèse coranique prit naissance et qu'on s'efforça de "dévoiler" (fassara) le contenu du Message (Risâla).
C'est ainsi que l'exégèse prit naissance en se basant dès ses prémices, sur la transmission de l'information et le témoignage (Tafsîr mâ'thûr). Ses pionniers qui comptent parmi les parents et des plus intimes compagnons du Prophète furent à la fois des initiateurs et des fondateurs d'Ecoles, à La Mekke, à Médine et à Al Basra.
Chaque École comptait des maîtres, des disciples et disciples de disciples appelés Tâbi'ûn wa Tâbi' û-t-Tâbi'în.
Tout en utilisant comme référence le Coran, les explications données par le Prophète de son vivant, la langue arabe, la poésie ancienne, les circonstances de la révélation, la modification de certains versets, quelques-uns de ces commentateurs ne manquaient point d'user à l'occasion, mais très prudemment, d'un effort spéculatif (ijtihâd) très timide, mais qui servait, néanmoins, de préfiguration à l'exégèse d'après l'opinion personnel ou Ra'y. Ajoutons et c'est très important qu'à ce stade de sa formation le Tafsîr était, en chacune de ces trois Écoles, essentiellement oral... II était enseigné par des maîtres à un auditoire de plus en plus élargi, qui formaient des disciples, lesquels transmettaient oralement l'enseignement reçu de leurs maîtres à leurs propres disciples comme il vient d'être dit.
1) L'École de La Mekke
'Ibn 'Abbâs, son fondateur (m. en 68/688) était le cousin et pupille du Prophète. II compte parmi les maîtres de la dynastie abbasside grâce à laquelle son autorité sera plus tard prépondérante en matière d'exégèse et de Tradition (hadith). L'effort spéculatif est, chez lui, à peine notable, mais son recours aux sources bibliques fut Si fréquent qu'il fut jugé ultérieurement comme excessif. Ses informateurs furent pour le Christianisme ' Abû Jalâb, et pour le Juddaïsme, des docteurs de la loi judaïque convertis ('Ahbâr), comme Ibn Sallâm et Ka'b-I-Ahbâr. Si on peut relever dans leurs commentaires de très rares emprunts à la Halakha, partie casuistique du Talmud et à la Michna, par contre la Hagada, la haphtara, les Methourgamon, les Midrashim, les Sira et les Meguileth Hassidim sont largement mises à contributions. A ceux qui leur reprochaient de faire appel, malgré les réserves du Prophète, aux sources juives et chrétiennes, ils objectaient: " La réserve du Prophète concernait les scripturaires restés juifs et chrétiens. Nous faisons appel à de hautes autorités des Écritures devenues musulmanes. "
'Ibn 'Abbâs sera la référence principale d'Al Bukhârî, Muslim, Nasâ'î, 'Ibn Mâja, etc. Il eut de nombreux disciples parmi lesquels on peut noter le Médinois Mujâhid (m, 104/723), le Yéménite Tamûs (m. 106/725). Le Tafsîr publié sous le nom d'Ibn 'Abbâs (Le Caire) (1393/1972) par AI Qamhawi et Muhammad 'Isa est réputé apocryphe.
2) L'École de Médine
Son fondateur fut ' Ubay-l-'Ansârî (m. 28/648 ?). Parmi ses disciples notoires on peut citer l'iranien 'Abû-l-'Âlya (m. 90/709) et de nombreux Médinois comme 'Abu Ja'far-r-Râzi, Wâki, Ka'b-l-Qurabi, Zayd b'Aslama, sources dont Ibn Hanbal a usé et parfois abusé avec sa théorie des "traditions" réputées connues (hadîth mashhûr).
3) L'École d' Al Basra, dite École de l'Iraq
Elle se réclame de celui qui fut surnommé le Sadr-t-Tafsîr (Le coeur de l'exégèse), 'Ali b. Abî Tâlib (m. 40/661) et de 'Abdallah 'Ibn Mas'ûd (m. 32/665) qui était un Arabe bédouin de Muzar et qui fut le premier à prêcher l'Islam publiquement à La Mekke, au début de l'apostolat. Injustement exclu par 'Uthman, comme du reste 'Ali et d'autres compagnons du Prophète, de la Commission des experts chargés de la recension (jam') définitive du Coran, (et ce pour des raisons strictement personnelles), 'Abdallah b. Mas'ûd passait pourtant pour le meilleur connaisseur du Coran par coeur et le plus sûr rapporteur de tradition (Hâdith). L'École de Al Basra surnommée aussi École de l'Iraq, sera après 'Ali et 'Ibn Mas'ûd, animée par leurs disciples dont les Tafâssîr étaient essentiellement oraux et dont on peut citer Marzûq 'Abu ' Aysha (m. 63/683), AI Aswad-n-Nakhâ' i (m. 74/693), 'Abu Ismâ' iI-I-Murra-I-Hamadâni (m. 76/695), 'Amir-sh-sha' bi AI-Yamani (m. 109/728), AI Hasan-I-Basrî (m. 110/728), Qatâda 'Abû-I-Ithattâb (m. 117/736), 'Alqama b. Qays-n-Nakhâ' i (m. 162/779), etc. Des événements importants d'ordre politique et religieux d'abord, intellectuel et ethnique ensuite, survenus dans la deuxième moitié du premier siècle de l'Hégire (2e moitié du VII siècle, aprés J. C.) devaient avoir un impact décisif sur les références de l'exégèse et ses perspectives pour ouvrir la voie à de nouvelles orientations, autant dire à une étape.
(Al Marhâla-th-Thâniyya)
Elle est marquée dès ses débuts, vers 39/600 par des événements d'une importance exceptionnelle, aussi bien sur le plan politique que sur le plan intellectuel. L'assassinat de l'Imâm 'Ali en 41/661 brisa dramatiquement l'unité de la communauté musulmane, tant au point de vue politique et doctrinal qu'au point de vue ethnique et intellectuel. Il aggrava les antagonismes entre les sunnites (arabes citadins pour la plupart), les partisans de l'Imâm 'Ali (sh'ites en majorité persane) et les " exclus de la communauté ", les khârijites (bédoins, originaires en majorité de la tribu de Tamîm).
Cette crise ne fut pas non plus sans conséquences pour l'exégèse et la Tradition (hadîth). Elle suscita un foisonnement de faux propos qu'on attribua au Prophète et une incohérence dans l'interprétation donnée à certains versets par les uns et les autres suivant les besoins de leurs causes respectives.
C'est ainsi qu'au fil des événements se subtitua peu à peu à l'explication littérale, au "dévoilement" des mots et des expressions l'explication interprétative (Ta'wîl). Substitution ou plus exactement complémentarité qui devait par voie de conséquence donner naissance à des Ecoles juridico-théologiques (mazzâhib).
L' École hanafite dont le fondateur fut l'Imâm 'Abu Hanîfa (m. 150/767) en Iraq', l'École malikite fondée par Mâlik b. 'Anas, Imam de Médine (m. 97/715) et plus tard l'École shâfi'ite fondée en Égypte par l'Imam Ash-Shâfi' î (m. 204/819) et l'École hanbalite fondée à Baghdâd par 'Ahmed Ibn Hanbal (m. 241/855).
Ces Écoles étaient d'accord sur les références essentielles de la jurisprudence (Usûl-1-Figh) : Coran, hadîth, analogie (Qiyâs), consensus des docteurs de la foi ('Ijmâ), l'intérêt général (Istihsân). Mais, Si chez l'Imam Mâlik une certaine priorité, en matière dogmatique, juridique et de rituel devait être reconnue aux coutumes de Médine ('Adât-l-Madîna) où le Prophète avait vécu, l'Imâm 'Abu Hanîfa qui avait récusé la plupart des "propos" (hadîth) qui lui avaient été attribués, préconise "l'opinion personnelle" (Ra'y), en vertu même de l'effort spéculatif qu'on doit déployer au service de la foi dans tous les domaines.
La prise en considération de l'opinion personnelle était pratiquement une voie largement ouverte au rationalisme dans l'exégèse coranique. Ouverture libérale qui ne. tarda guère à revendiquer une priorité exclusive et contraignante. Assurément les premiers commentateurs avaient usé de l'opinion personnelle, occasionnellement, et avec une extrême prudence, sans aller pourtant jusqu'à invoquer outrancièrement le principe de l'incompatibilité de la raison avec la foi (Lâ Majâla lil Aqli fî-d-Dîn). Mais ils se dressèrent contre ceux qui firent, en matière exégétique, de la raison la chose première et la première des choses, comme le soutinrent les ultra-rationalistes et nous abordons ici la grave controverse autour du Mu'tazilisme.
1) L'exégèse rationaliste ou Mu'tazihsme
C'est ainsi qu'au cours de cette seconde étape de l'histoire de l'exégèse, le recours à la raison ne tarda pas à se généraliser. Les partisans de cette tendance soutinrent que la raison était une faculté appréhensive et interprétative du dogme, lequel devait être examiné en toute liberté, sous ses différentes données.
C'est au début du II/VIIIe siècle, comme on vient de le dire, que cette tendance ou Mu'taziliyya prit naissance autour d'un homme estimé par les exégètes de la précédente génération, par les traditionnistes, par les soufis et considéré comme un croyant bien informé, tolérant et d'une grande piété, Al Hasan-I-Basrî, Médînois d'origine, installé à AI Basra comme professeur, et mort en 110/728. Mais, ce n'est pas à lui que revient l'impulsion de la nouvelle doctrine rationaliste en matière d'exégèse et de théologie. Ce sont deux de ses disciples 'Amr b. 'Ubayd et surtout Wâsil b. 'Atâ (m. 131/749) qui en firent une doctrine pro-alide à la rigueur, mais foncièrement antisunnite, anti-shi'ite, anti-khârijite. Ils récusèrent l'explication et l'interprétation du Coran par transmission traditionnelle, rejetèrent de plano tout hadîth non étayé par une chaîne rigoureuse de transmission (isnâd) dont les shi'ites avaient usé et abusé sous le nom de 'aqwâl. Cette prise de position théorique s'étendit rapidement à la faveur de la dynastie abbasside parmi les croyants tièdes, les élites intellectuelles imbues de philosophie grecque qui vouaient, sous l'influence de l' Organon d'Aristote, un vrai culte à la raison considérée comme faculté spécifique de l'espèce humaine, par rapport au reste de l'animalité. Elle se répandit en Orient musulman et finit par être proclamée officiellement par le calife Al Ma'mûn (m. 201/813) comme doctrine d'État.
Elle ne tarda guère à être systématisée et rendue intraitable sur ses thèses, intolérante à l'égard de ceux qui, parmi les théologiens, comme Ibn Hanbal, refusaient d'y souscrire. Ses théories essentielles furent l'affirmation du libre-arbitre (Ikhtiyâr) et donc le rejet de la prédestination (Qadar), le rejet de l'incréation du Coran de la vision de Dieu dans la vie future, de l'explication du Coran par tradition orale (Tafsîr ma'thûr). Elle alla jusqu'à l'adoption dans certains cas d'une lecture du Coran autre que les lectures admises (Qirâ'at).
Elle tint pour inadmissible la croyance aux miracles, à l'existence des djinns, à la sorcellerie, et condamna le soufisme. La raison, à son point de vue, pouvait rendre inopérantes toutes les autres sources exégétiques, la langue arabe elle-même pourtant langue du Coran.
II est clair que ce rationnalisme excessif et intolérant devenu doctrine d'Etat, ne pouvait manquer de provoquer une opposition passionnée. La principale opposition à laquelle il se heurta fut l"Ash 'arisme.
2)L'Ash'arisme
Ce bouleversement à la fois exégétique et en conséquence dogmatique fut assorti d'une persécution impitoyable de ceux qui refusaient d'y souscrire. Et c'est ainsi que le Mu'tazilisme provoqua une réaction non moins intransigeante et implacable, sous le calife suivant, AI Mutawakkil (m. 232/847). Réaction amorcée d'abord par le hanbalisme qui s'évertua de défendre l'exégèse transmise. Elle choisit, ce faisant, le terrain même préconisé par les Mu'tazilistes le rationalisme appliqué à l'exégèse, au Hâdith et à la théologie. Au rationalisme mu'tazilite fut opposé un autre rationalisme plus mesuré, le rationalisme dogmatique connu sous le nom de Kalâm.
L'un de ses parangons, Abû-I-Hasan-l-'Ash-Sh'arî (rn. 324/936) après avoir partagé pendant quarante ans les thèses mu'tazilistes, brûla ce qu'il avait adoré et revint à l'orthodoxie sunnite la plus stricte. II fonda donc une théologie rationaliste. II ouvrit la voie à une nouvelle exégèse fondée à la fois sur la transmission traditionnelle et sur la raison. II restitua à l'orthodoxie sunnite tout ce que le mu'tazilisme avait récusé incréation du Coran, éternité des attributs de Dieu (sifât connaissance, vue, parole, etc.) que la Sunna considère comme distincts de l'Essence divine (zzât).
Sans résoudre pour autant le problème de l'anthropomorphisme (tajsîm) eu égard à la nature mystérieuse de Dieu (main, visage de Dieu) l'Ash'arisme, fidèle à l'orthodoxie, tint les versets où il en est question pour des versets exprimant des attributs dont la nature est inaccessible à la raison. II considéra comme relatif, sinon illusoire, le libre-arbitre, les actes humains selon l'orthodoxie étant liés à la volonté, à la prescience et à la sagesse de Dieu.
Reprenant la question des péchés, l'Ash'arisme considère les péchés les plus graves, pourvu qu'on ait la foi et pourvu que le repentir soit sincère, comme des actes de désobéissance et. non d'impiété et donc pardonnables par Dieu dont la miséricorde est infinie. II n'y a pas, à son point de vue, comme le mu'tazilisme l'avait soutenu, des péchés irrémissibles pour le croyant. L'intercession du Prophète peut jouer en faveur des plus grands pécheurs (Shafâ'atî li Ahli-l-Kabâ'ir). Même alignement sur la Sunna à propos de la conception de l'au-delà : jugement dernier, balance, pont, paradis, enfer, vision de Dieu.
3) Naissance de la science des traditions ('Ilm-l-hadîth)
À la même époque (II/VIIIe siècle) la science des traditions ('Usûl-l-hadîth) reçut une impulsion et une épuration décisives. Ses principes furent formulés, ses critères d'authenticité établis. C'est de cette même époque et au début du siècle suivant que datent les recueils classiques, en particulier l'Authentique (Sahîh) d'AI Bukhârî (m. 270/870) et le Sahîh de Muslim (m. 261/875).
On comprendra aisément que le Texte coranique, en raison même de ces facteurs, du parti-pris, des passions et des controverses acerbes dont certains de ces versets étaient l'objet subira des altérations de lecture, des addenda et des corrigenda de la part des adversaires et des défenseurs de la Sunna. On comprendra aussi aisément, l'impact de ces divergences sur les commentaires littéralistes du Coran et sur son interprétation. A l'analyse des arguments et des objections pour ou contre tel ou tel point de vue, telle ou telle cause, on constate une paradoxale confusion entre exégèse, les traditions et la théologie.
En effet, à la lecture des ouvrages de controverse de cette époque jusqu'au début du III/IXe siècle, on a nettement l'impression que l'exégèse, réduite à une glose littérale ou interprétative est ramenée à un simple chapitre du hadîth (Bâb min il-hadîth).
4) Composition des traités complets d'exégèse coranique
Paradoxalement on n'avait à cette époque et en dépit des controverses que des commentaires fragmentaires du Coran axés sur tel ou tel point du droit, tel ou tel point historique. Autrement dit on n'avait pas une exégèse suivie, complète, écrite, un corpus. Et cela paraît énorme. C'est seulement à compter de la deuxième moitié du III/IXe siècle qu'on songe à faire du Tafsîr un tout, en des traités complets, systématiques, du premier jusqu'au dernier verset. On avait bien, semble-t-il, un traité complet d'analyse grammaticale ('I'râb-I-Qur'ân) d'Ibrâhîm-Az-Zajjâj (m. 311/924), mais pas de Tafsîr lexicologique complet. II n'y avait pas encore d'ouvrage individualisé qui relèvera, dans la suite, de ce qu'on appelle "Tadwîn-t-Tafsîr", la mise par écrit de l'exégèse.
Au surplus, jusqu'à cette époque, le Tafsîr consistait en un enseignement oral dispensé dans les mosquées, en général, ou en des glossaires partiels consacrés à la lecture ou à l'explication de versets obscurs (ghawâmid) à ce qui est licite ou illicite (aI HalâI wa-I-Harâm), aux prescriptions coraniques ('Ahkâm-l-Qur'ân), à son style concis, inimitable, métaphorique (Majâz-I-Qur'ân). D'où la question : qui a donc conçu pour la première fois l'idée de composer un traité complet d'exégèse ?
Selon le Fihrist d'Ibn Nadîm (m. 377/988), c'est le fondateur de l'Ecole grammairienne de Kûfa, le célèbre Yahya-l-Farrâ' (m. 207/823) (Awa/ man dawwana tafsiran jâmi'an likulli 'Ayât-l-Qurân murattaban 'alâ wafqi tartîb-l-Mushaf) qui rédigea un traité complet de Tâfsir. Ce serait lui qui aurait inauguré le genre et donné à son ouvrage le titre de Ma'âni-l-Qur'ân (dont le premier tome a été publié au Caire en 1956).
Cette affirmation d'Ibn Nadîm, dans son Fihrist, est avalisée par le savant Ahmad Amîn dans son "Duha-I-Islâm" (cf. t. II, 141). Elle est cependant mise en doute par l'ancien recteur d'Al Azhar, le savant Muhammad Husayn-z-Zahabî, dans son "Tafsîr" (t. I, 143). Quoi qu'il en soit, le principal Tafsîr, composé à la fin de cette même étape demeure le Tafsîr d'Ibn Jarîr-t-Tabarî, (m. 310/922) maître d'hier et d'aujourd'hui de l'exégèse classique. On l'a, à juste raison, surnommé l'Imâm des "Mufassirîn". Son commentaire porte à bon escient le titre de "Jâmi'-l-Bayân 'an Ta'wîl-'Âyi-l-Qur'ân" (Somme de l'explication claire du Coran d'après l'interprétation de ses versets) (Plusieurs fois édité en divers pays. La dernière édition du Caire, 30 volumes, date de 1373/1954). C'est réellement un monument. L'auteur est un sunnite indiscutable, marqué par l'enseignement de son Ecole (Shâfi'sme), fidèle aux sources et aux méthodes de l'exégèse traditionnelle enseignée, respectueux du "consensus doctorum" '(Ijmâ') de ses prédécesseurs. II soumet avec une parfaite probité le hadîth à un sévère examen, révise les chaînes de transmission, récuse ou retient la fiabilité de leurs rapporteurs (Ruwwât), se réfère à la langue, à la grammaire, à la poésie ancienne, expose les thèses et anti-thèses, des shi' ites, des mu'tazilites rationalistes, des sectes ; retient ou rejette leurs théories et assertions, avant de donner à propos de tout verset ambigu et avec autant de prudence que de modestie, son opinion personnelle disant: "Wa-s-Sawâbu fi-I-Qawli'inna" (Au vrai, c'est...) ou encore "wa qad yajûzu 'an yakûna-l-Ma'na" (Il est permis de penser que...). Par son neutralisme doctrinal, son immense information, cet ouvrage suscita des disciples et ouvrit la voie à une troisième étape à l'exégèse dans son évolution. Evolution non pas strictement chronologique, mais liée aux sources référentielles, aux méthodes, aux tendances, aux schismes, aux voies et moyens mis en jeu qui marquent toute la pensée islamique dans la richesse de ses développements. II ne sera plus question désormais de l'évolution d'une exégèse, mais de l'évolution des exégèses coraniques. À son titre d'Imâm des Mufassîrin s'ajoute, non moins justifié, celui d'Imâm des historiens musulmans (soit dit en passant).
Le Tafsîr d'At.-Tabari marque donc la fin d'une étape et le commencement d'une autre étape
Dès le début du IV/Xe siècle, l'exégèse suit les courants politiques, orthodoxes ou schismatiques qui agitent le monde musulman. Elle se diversifie, à la faveur du morcellement politique de l'empire, du transformisme communautaire, des controverses intellectuelles, des conflits sociaux, des antagonismes ethniques et des oppositions doctrinales. Elle expose, en les développant, les thèses, révise les méthodes et polarise les tendances.
1) Principaux représentants de l'exégèse sunnite de tendance traditionaliste
o 'Abû-I-Layth-s-Samarqandi (373/984), auteur de Bahr-I-' Ulûm, (hanafite).
o 'Abû 'Ishâq-th-'Thalabi-n-Nisâbûrî (427/1084): Kashf-I-Bayân (hanafite).
o Al Baghâwî 'Abû Muhammad (510/1117) Ma'Alim-l-Bayân, (shafi'ite).
o Ibn 'Atiyya-l-Andalûsî (546/1152) Al Muharrar-l-Wâjîz (mâlikite).
o 'Abû-l-Faraj 'Abd-r-Rahmân b. al-Jawzî (597/1203) ; son Zâd-l-Masîr fû' Ilm-t-Tafsîr) est un commentaire sunnite intraitable.
o 'Abd-l-'Aziz-d-Dîrîni (694/1295) at-Taysîr fû 'Ulûm-t-Tafsîr (malikite), (en vers). Remarquable par sa concision et son enseignement.
o 'Ibn Kathîr 'Imâd-d-Dîn (774/1393) Tafsîr-l-Qur'ân, (shafi'ite).
o 'Abd-r-Rahmân-th-Tha'âlibî-l-Jazâirî (876/1472) AI-Jawâhir-l-Hisân. De tendance soufie, remarquable par sa maîtrise de la langue arabe. Beyrouth (4 vol.) (1978?). Le tome I fut d'abord publié par souscription, par Rodouci., à Alger, 1323/1905.
o 'Abu ' Abdâllah 'Ahmad-l-Qurtubî (671/1271). Son Tafsîr "AI jâmi' li 'Ahkâm-l-Qur'ân" publié en 20 volumes est certainement l'une des plus grandes contributions de l'Occident musulman à l'exégèse.
o 'Abû-I-Khayr-l-Baydâoui (691/1292), An-Nwâr-t-Tanzîl (shafi'ite).
2) Principaux représentants de l'exégèse rationalisante (Kalâm)
Le principal représentant de cette tendance exégétique est sans contredit Al Fakhr-r-Râzî 'Abû `Abdâllah (606/1200). C'est un Shâfi'ite rationaliste. Son Tafsîr-l-Kabîr, très prolixe (la dernière édition du Caire compte 30 volumes),est la somme de toute l'exégèse fondée sur le Kalâm. II servira de base à tous ceux qui, dans cette voie se sont occupés de l'exégèse rationalisante sunnite.
3) Principaux représentants de l'exégèse mu'tazilite
o 'Abû-l-Hasan 'Abd-l Jabbâr (m. 415/1025) Tanzîl-Qur'ân. (shafi'ite) Ash-Sharîf-l-Murtadâ (m. 436/1045) ; Gharar-l-Fawâ'id. (shi'ite)
o 'Abû-l-Qâsim Jâr-l-Lâh z-Zamakhsharî (538/1144), AI Kashshâf. Un des plus sûrs commentaires au point de vue linguistique. Le Caire 1354, 4 vol. Il récuse toutes les Écoles sunnites et shi'ites
4) Principaux représentants de l'exégèse shi'ite. (Tafsir-sh-Shi'a)
o Al Hasan-l-`Askari (m. 254/868) Tafsîr (incomplet)
o Al Kûfi Ibn 'Ayysha (III/Ixe siècle) (Tafsîr)
o Al Qummi 'Ali (fin du III/IXe siècle) (Tafsîr)
o 'Abû Ja'far-t-Tûsi (m. 460/1067): At-Tabyîn
o 'Abu `Ali-t-Tabarsi (m. 538/1143) Majmû'-l-Bayân.
5) Principaux-représentants de l'exégèse Khârijite (Tafsîr al-Khawârij)
Leurs ouvrages de tafsîr sont ou perdus ou. encore, manuscrits dans des bibliothèques privées ou dans celles de leurs mosquées, Exégèse assez marquée par le Mu'tazilisme, anti-soufle, anti -shi'ite, littérale, superficielle, formaliste, étonnante, par ses thèses sur le divorce, l'usure, le rituel de la prière, la cynophagie.
o Ibn Rustum-l-Fârisi `Abd-r-Rahmân (III/IXe siècle) Tafsîr, (Perdu),
o 'Abû Ya 'qûb-l-Warjalânî (VI/XIIe siècle) Tafsîr.
6) Principaux représentants de l'exégèse soufie (Tafsîr-S-sûfiyya)
Axé sur le Bâtin et la Ma'rifa avec leurs nuances théoriques (nadharî) et allégoriques (Ishârî), et en particulier sur l'expérience vécue des exigences de la foi (`Ibâda), une surabondante dévotion, le mépris du monde et les errances du monisme existentiel.
o At-Tustarî 'Abû Mubammad (m. 283/897) Tafsîr (fragmentaire)
o As-Sulâmi 'Abd-r-Rabmân (m. 412/1022) Haqâ'iq-l-Tafsîr
o Ash-Shirâzî 'Abû Muhammad. Rawzubahân (m. 606/1210). 'Arâ'is-l-Bayân
o As-Samnânî et Najm-d-Dîn Daya (m. 654/1257) At-Ta'wilât-n-Najmiyya
o 'Ibn 'Arabî Muhyid-Dîn (638/1240) Tafsîr (exégèse basée sur le monisme).
7) Principaux représentants de l'exégèse philosophique
(Tafsir-l-Falâsifa) ou compromis entre la philosophie rationaliste grecque selon Aristote et Platon et la théologie islamique (Tawfiq'-d-Dîn wal-Falsafa).
o Al Fârâbî (m. 339/950) : Fusûs-l-Hikam (fragmentaire)
o Ikhwân-s-Safâ (IV/Ve - X/Xle siècle), Rasâ'il (ismâ'iliyya). Encyclopédie fragmentaire
o Ibn Sinâ'Abû'Ali-l-Husayn (Avicenne).(m. 428/1034) : quelques versets.
8) Principaux. représentants du Tafsîr ou exégèse des fondateurs d'Écoles
(Tafsir 'A'immat-l-Mazâhib). L'accent est mis surtout sur le rituel et des points de droit. Il s'agit de manuels plutôt que de traités à thèses.
o Al Jassa Ahmad-r-Râzî- (m. 370/980) ; 'Ahkâm-l-Qur'ân ; (hanafite
o Al Kiyâ Al Fârisi (m. 504/1110) ; 'Ahkâm-l-Qur'ân ; (shâfi'ite)
o 'Abu Bakr Ibn Al 'Arabî (m. 533/1138) ; 'Ahkâm-l-Qur'ân ; (mâlikite)
C'est l'étape la plus longue et la moins féconde. Elle débuta au milieu, des, catastrophes, et prit fin sous la menace d'autres catastrophes : le sac de Baghdâd par les Mongols de Hulagû (656/1258) et domination de la majorité de la communauté musulmane et ses longues luttes pour sa libération du joug colonial christiano-européen. Résurgence d'une exégèse polémiste et scientifique. .
Assurément, il y a eu avant cette chute, d'autres menaces Iongues et dangeureuses comme les Croisades (489-669/1096-1270). Mais les Croisades avaient suscité un sursaut islamique marqué par le développement. du soufisme et l'intervention victorieuse des Turcs devenus le fer de lance de l'Islâm en Afrique du Nord, en Orient et surtout en Europe centrale. Sur le plan des études et de l'évolution de l'exégèse, c'est surtout la chute de Baghdâd qüi marqua un tournant décisif. La capitale culturelle et politique de l'Islâm est transférée sous la pression des événements au Caire, et plus, tard à Constantinople, après sa prise par les Turcs en 857/1453.
Durant la même période d'autres événements de portée historique importante devaient influer directement ou indirectement non seulement sur l'exégèse coranique, mais encore sur toute la culture islamique la Renaissance européenne amorcée en Italie dès le VIII/XIVe siècle. À la Renaissance européenne qui doit tant à la culture islamique correspond paradoxalement le début d'un long assoupissement islamique. Les bouleversements qui, sur le plan politique, philosophique, scientifique, religieux et technique devaient secouer l'Europe et l'émanciper graduellement, à compter du XIII/XVIIIe siècle, laissaient le monde musulman plongé dans un profond sommeil, intellectuellement parlant. Il y a bien eu quelques lueurs sporadiques qu'on peut noter sur le plan de la philosophie de l'histoire, à travers 'Ibn Khaldûn (808/1406) et de l'exêgèse comme :
o 'Abu-l-Barakât-n-Nasafî (701/1323): Madârik-t-Tanzîl. (hanafite)
o Al-Khâzin `Alâ-d-Dîn (741/1341): lubab-t-Ta'wil. (shafi'ite)
o 'Abû-Hayyân-l-andalûsî-l-Gharnâtî (745/1345) : Al Bahr-l-Muhit (mâlikite)
o Muhammad al-Kâshî (XI/XVIIe siècle) Tafsîr (imamite)
o Miqdâd-s-Sayûri (VIII/XIVe siècle) Fî Fiqh-l-Qura'ân (imamite)
o Shams-d-Din Yûsuf (IX/XVe siècle) Al 'Ahkâm-l-Wâdiha. (zaydite)
o An-Naysâbûrî-Al Hasan-l-Khurâsânî (m. 727/1327) : Gharâ'ib-l-Qur'ân (shi'ite)
o Jalâl-d-Dîn-s-Suyûtî (shâfi'ite) (m. 911/1505) : Ad-Dur-r-l-Manthûr fit-tafsîr-l-Mâ'thûr, refondu avec un autre Tafsîr de meme facture de Jalâl-d-Dîn Al Muhallie et publié sous le titre de Tafsîr-l-Jalâlayni à Damas, 1 vol. 1398/1978.
Mais ce ne sont là que des exceptions. Exceptions qui ne doivent pas faire illusion sur la torpeur intellectuelle du monde musulman, son engouement pour la magie, le merveilleux, les fables, l'irrationnel, et pour un soufisme combatif, certes, en Afrique du Nord, mais englué de plus en plus dans un maraboutisme aberrant.
L'effort intellectuel de libre recherche semble s'être atrophié, parce que les individus semblent condamnés à vivre dans une communauté figée, prisonniers, en Orient comme en Occident musulmans, du groupe dont ils font partie. Lequel groupe impose aux penseurs ses us et coutumes, ses croyances, ses mirages et leur fait accroire que les progrès réalisés en Europe, dans tous les domaines, les Musulmans les avaient déjà réalisés ; c'était à leur point de vue, du domaine du passé, "du déjà vu" et donc sans intérêt. Ainsi endiguée dans ses possibilités créatrices, la pensée individuelle s'est, durant plus de cinq siècles maintenue, indurée, prolongée par suite des circonstances historiques dans une communauté mécanisée dans ses conceptions et ses superstitions, sans compter une pesée héréditaire non moins forte, en raison même d'une ethnicité hétérogène.
En matière d'exégèse, cette décadence se traduit par des compilations sans grand intérêt, des redites ou des plagiats sans scrupule. L'originalité est abhorrée et dénoncée comme une innovation blâmable (bid'â),
Si, durant toute cette longue période l'instinct inventif semble brisé en milieu musulman, si la pensée rationnelle semble sclérosée, un événement exceptionnel devait constituer pour le Proche-Orient une secousse ébranlante, lourde de conséquences.
Cet événement, c'est comme on l'a dit, redit et bien souligné, la Campagne du général Bonaparte en Égypte et en Syrie, alors sous la. souveraineté, comme il l'affirmait lui-même, d'un "voisin malade" le calife-sultan turc de Constantinople. (1213/1798).
Le monde arabe s'est brusquement rendu compte des réalités, à commencer par son retard historique, ses déficiences intellectuelles et techniques. Il s'est rendu aussi compte et avec inquiétude des menaces qui pesaient sur son indépendance et ses valeurs culturelles.
L'expansionnisme colonial français et anglais, en Afrique, et en Orient devait accentuer ses alarmes. Il se vit dans la nécessité de faire face aux dangers qu'il courait, de créer de toute urgence les moyens de sa culture, à commencer, par l'imprimerie, de réorganiser ses méthodes et ses programmes d'enseignement, de créer une presse d'information. Il lui fallait se mettre à l'école de l'Europe, s'initier à la science positive, à la philosophie et aux techniques modernes pour se mettre au niveau de la civilisation. Cette dure initiation connue dans les annales de l'Islam contemporain sous le nom de Nahda (levée, essor) se manifesta dès le début du XIII/XIXe dans tous les secteurs de la vie: secteur politique avec Muhammad Ali en Égypte, Midhat Pacha en Syrie; secteur linguistique avec le Libanais Al Bustânî et Al Yâziji ; secteur littéraire avec Muway - lihî, AI Bârûdi, Hâfidh Ibrâhim ; secteur religieux avec des réformistes ardents comme Jamâl-d-Dîn AI `Afghânî. (m. 1315/1877) et son disciple Muhammad 'Abdu (m. 1323/1905); secteur social, avec Qâsim 'Amin (m. 1326/1908), apôtre de l'émancipation de la femme musulmane.
La propagande anti-musulmane prétendit, l'orientalisme aidant, que l'Islam, en tant que religion, était à l'origine de la décadence des pays musulmans. Les colonialistes dénoncèrent le Coran comme une cause du fatalisme, du refus de progresser, de l'inaptitude scientifique et du sous développement intellectuel dans lesquels se complaisaient ses adeptes. Le Prophète de l'Islam fut diffamé, injurié et présenté comme un imposteur.
C'était un comble, une insigne mauvaise foi, car l'Islam a toujours recommandé la science (Coran, S. XXXIX, 9, etc.) et prêché le progrès (S XIII, 2). Ces insultes gratuites devaient toucher les Musulmans au plus profond d'eux-mêmes. Et c'est sous l'étendard de l'Islam que les peuples musulmans se dressèrent pour arracher, les armes à la main, leur indépendance. Le Coran dit bien qu'en tout mal il y a un peu de bien (S II, 216; IV, 19; etc.) et un poète français, Musset (mort en 1857), dans un ordre d'idées différent: "Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur" (Nuit de Mai).
Cette propagande injurieuse fut en effet pour toute la communauté islamique une grande douleur. Elle indigna, exaspéra les Musulmans sans distinction de race et déclencha une réaction d'un bout à l'autre du monde musulman ; réaction qui se traduisit par des polémiques acerbes. Des auteurs comme 'Abd-r-Rabmân Al Kawâkibî (1320/1902) soutint dans son Tabâ'i-l-Istibdâd que l'Islâm était une religion non seulement ouverte en tout temps et en tout pays à toutes les femmes, à tous les hommes, mais qu'il était encore compatible avec toutes les sciences. La même défense de l'Islâm fut reprise par Muhammad 'Abdu dans sa polémique, à Paris, avec Gabriel Hanotaux, et par Al 'Afghani dans sa "Réfutation des matérialistes".
C'est dans ce contexte de menaces, d'auto-défense, de controverses que l'exégèse resurgit, non plus pour soutenir ou combattre telle ou telle thèse exégétique, mais pour assurer la "Défense et l'Illustration" du Coran.
La liberté la plus complète est reconnue à l'opinion personnelle sans pour autant renoncer aux données de la Tradition. Avec comme postulat le libre examen, l'exégèse moderne élargit en le précisant son champ exploratoire et tient pour négligeables les différences de fond et de forme qui séparaient les anciens commentateurs. D'où une tendance à l'unification impliquant le rejet des miracles, des légendes bibliques (Al'Isrâ'iliyyât) et la volonté de trouver dans les sciences positives, en particulier en astronomie, en géologie et en biologie la confirmation des versets coraniques sur l'origine de l'univers et son expansion, l'origine de la vie, l'évolutionnisme, la gravitation universelle, la théorie de la symétrie, etc. Y sont exposées et discutées, des questions de philosophie classique comme l'espace, le temps, la matière; la liberté, le mouvement, l'énergie, l'intuition, la raison, la valeur de la connaissance humaine.
C'est ce qu'on peut noter comme élargissement, approfondissement et tendance dans les principaux ouvrages publiés depuis le début du XIIIe siècle de l'Hégire gui correspond au début de la 2e moitié du XIXe siècle, ap. J.-C.
Durant l'étape précédente, l'exégèse coranique offre l'image d'une diversification outrancière. Dans l'exégèse moderne, et à cause de là critique européenne et de ses insultes, on relève aussi le souci des commentateurs de faire un front commun contre les colonialistes et les détracteurs de la communauté et de la spiritualité islamiques.
La culture européenne est dénoncée comme athée, amorale, dissociante pour la famille et la société. Accusation reprise politiquement par les "Frères musulmans" en 1927 et soutenue actuellement par le mouvement khumayniste et les intégristes.
Les commentateurs de l'Écriture sacrée minimisent les divergences d'École, présentent les différences qui séparent la Sunna, de la Shî'a et du kharijisme, et inversement ils les tiennent pour des différences plus extérieures et apparentes que réelles et profondes.
On se plaît à souligner que les similitudes sont en fait des identités et qu'à l'analyse leur unité dogmatique est profonde, et c'est l'essentiel. La secte shi'ite zaydiyya par exemple, est tenue pour sunnite, entre le kharijisme et le mu'tazilisme les oppositions doctrinales sont considérées comme de simples nuances.
Ainsi la-critique européenne, duels que soient on origine et son but, quel que soit le degré de son objectivité et quelle que soit sa valeur scientifique, a eu comme conséquence inattendue une tendance à l'unification de l'exégèse coranique. On ne doit plus l'envisager sous l'angle de ses ramifications, mais suivant son évolution chronologique, en raison même de la similitude de ses méthodes, de ses références et de ses perspectives.
On peut retenir parmi ces commentaires fragmentaires ou complets :
o Al Askandar'i (début du XIIIe 2e moitié du XIXe siècle.) Égyptien sunnite Kashf-l-'Anwârl-Qur'aniyya
o 'Abdallâh-Fikr Pacha (m. 1315/1898); Turc sunnite : Risâla
o 'Abd-r-Rabmân-l-Kawâkibî (m. 1318/1902), Syrien sunnite : Tabâ'-l-Istibdad, partiel, tafsîr indirect: le Coran contient la plupart des découvertes modernes
o Al 'Alûsi Mahmûd (m. 1270/1854), Iranien sunnite: Ruh-l-Ma'ani, Tafsîr complet. Ancien mufti de Baghdâd. Il présenta, en 1851, son Tafsîr au Sultan 'Abd-ul-Hâmîd. C'est une transition entre l'exégèse traditionnelle et l'exégèse moderne. Favorable au soufisme, anti-mu'tazilite, l'auteur consacre de longs développements à la langue, à la grammaire, à l'histoire, à la philosophie. Très prudent dans l'utilisation du hadîth, il commente le Coran verset par verset. Chaque commentaire reçoit un développement analogue à une Fatwa, c'est-à-dire une réponse à une consultation juridique. II met à contribution le Tafsîr allégorique (Tafsîr ishâri, bâtin) les sciences positives, (astronomie et sciences naturelles), défend âprement la Sunna, rejette les légendes bibliques, fait peu cas des lectures (qirâ'ât). Il se réfère souvent à la poésie ancienne, use de son opinion personnelle et des circonstances de la Révélation (édité au Caire plusieurs fois et à Beyrouth, 30 vol.).
1) At-Tantâwî-l-Jawharî (1358/1940) Égyptien sunnite
Son "jawâhir fî-Tafsîr-l-Qur'ân" est une véritable encyclopédie. (Éd. du Caire 1341/1922, 20 vol.) Il consacre de longs développements à la transcendance du Coran, à la conformité de son enseignement à la science moderne. Il utilise comme références les légendes bibliques, la "République" de PIaton, l'Évangile de Barnabé, les 'Ikhwan-s-Safâ. D'où son accueil mitigé (il est interdit par les Wahabites). On compte parmi ses disciples Muh. Farîd Wajdi, auteur de la célèbre encyclopédie du XIV/XXe siècle. (Dâ'irat-l-Ma'àrif (né en 1292).
2) Jamâl-d-Dîn al Afghâni (m. 1314/1897), Afghânî sunnite
C'est un ardent défenseur de l'Islam. II n'a pas laissé à proprement parler de Tafsîr, mais sa "Réfutation des matérialistes" (Ar-radd'alâ dahriyyîn) rédigée en persan en tient lieu. Il s'appuie sur la raison et le Coran, et l'explication qu'il en donne constitue une exégèse fragmentaire. (Trad. en arabe ; l'édition de Beyrouth date de 1303/1886). Son enseignement fut surtout oral. Il forma de nombreux disciples dont les plus illustres furent Muhammad 'Abdu et Qâsim 'Amîn.
3) Cheikh Muhammad 'Abdu (m. 1323/1905), Égyptien sunnite
Ancien mufti du Caire. Réformiste ardent, son commentaire fragmentaire est précédé d'une "Risâlat-t-Tawhid" où il expose la doctrine islamique, affirmant comme son maître Al 'Afghâni, que l'Islam est favorable à la science positive et est valable pour tous les siècles et tous les peuples. Son commentaire du Hizb 'Ammâ (S LXXXIII à S. CXIV) s'ajoute à celui des Sourates (S. IV, 78-79 ; S. III, 12). II explique le Coran à la lumière de la raison. Sa préoccupation de la rénovation de la doctrine islamique, l'amène à accorder beaucoup d'importance aux versets à caractère social (`Ilâj-l-'Amrâd-l-Ijtimâ'iyya) (Traitement des maladies sociales) et aux arts figuratifs. À signaler le développement qu'il a consacré à la sourate de l'"Époque" -(CIII) à Alger. Style clair et agréable. Son Tafsîr qui sera complété par son disciple Muhammed Rachid Ridâ (Tafsîr-l-Qur'ân-l-Karim), Le Caire, 1 vol., plusieurs fois réédité. Il rejette la magie, les légendes bibliques, les hadiths douteux.
4) Hasunama Zayn-l-Abidin (1326/1909)
Al Qur'ân-l-Majîd. Traduction commentée du Coran. Commentaire shi'ite conciliant.
5) 'Itfayyash Mubammad b. Yûsuf (m. 1332/1914)
Algérien khârijite du M'zab, auteur d'un épais Tafsîr 'ibadite (Tafsîr-t-Tafsîr). Savant d'une grande culture islamique. Peu informé de la culture européenne. Fait de larges emprunts à Al Baydâwî (sunnite) et à Zamakhshari (mu`tazilite), aux expéditions militaires du Prophète.
Contrairement aux autres commentateurs modernes, il fait preuve de beaucoup de parti pris -contre les Sunnites, en faveur de son École (Mazhab). II rejette le soufisme et le shi'isme ; reprend les thèses khârijites traditionnelles : pas de rémission à son point de vue de péchés pour les grands transgresseurs impénitents; vanité de la foi sans actes appropriés. Pas de vision de Dieu dans la vie future. Cependant il cite abusivement les légendes bibliques et fait état sans les discuter des lectures (qirâ'ât): Hostile aux innovations. (bida'). Son commentaire est plutôt littéral avec indication des sourates mekkoises et médinoises et le nombre de leurs versets.
6) Jawàd Muhammad-n-Nasafi (m. 1352/1934), Iranien shi'ite
Son Tafsîr 'Alâ-r-Rahmân: Imamite très modéré, dépouillé de polémiqués d'École.
7) Mubammad Rashid Ridâ (m. 1354/ 1935) libanais sunnite
Tafsîr-l-Qur'ân-l'-Karim. Le plus illustre des disciples du Cheikh 'Abdu. Fondateur de la revue AI Manâr. Réformiste comme son maître, partisan du progrès. Son Tafsîr est plus connu sous le titre de "Tafsîr-l-Manâr". Il rejette les miracles, les légendes bibliques ; critiqué autant le mu'tazilisme que le Kalâm. C'est un excellent commentaire malheureusement inachevé (S. I, S. XII). Il se montré un aident apologiste de l'Islâm et un polémiste doublé d'un nationaliste intraitable anti-anglais.
8) Al Marâghi Muhammad Mustafa (m. 1365/1945) Égyptien sunnite, disciple du Cheikh 'Abdu
Rénovateur de la culture islamique et réformiste enthousiaste, condamne le conformisme (taqlîd), entend purger l'Islâm des superstitions, exhorter les détenteurs du pouvoir, en s'appuyant sur l'exégèse classique, à promouvoir un progrès moral, social, à lutter contre la décadence de la communauté islamique. Il s efforce de concilier le Coran et la science positive, et s'insurge contre l'errance philosophique avec ses illusions et ses interprétations. On notera son excellent commentaire sur l'étoile Sirius (Shi'râ, S. LIIl, 49).
9) Hâjj Alimad Bâr Dam As-Sinighâlî : Diyâ 'An-Nîranî. 3 vol
Le Caire 1386/1976. Commentaire sunnite mâlikite, précédé d'une brève note sur l'évolution de l'exégèse et mettant à contribution les sources soufies.
10) Qutb Sayyed : fi Dhilâl-l-Qur'ân, 6 vol., Baghdâd 1398/1978.
Un des meilleurs commentaires de ces dernières années. Un peu prolixe, en raison de ses développements historiques et traditionnistes. Souvent, ce qui est un strict commentaire devient une dissertation diffuse de théologie rationalisante.
Par ailleurs, nous n'avons pas fait état dans ce qui précède de commentaire soufi pour la simple raison qu'il n'y en a aucun qui soit digne d'être mentionné. L'exégèse soufie semble épuisée, vidée peu à peu de sa substance, par un maraboutisme charlatanesque depuis le X/XVIe siècle. La belle doctrine qui avait fondé la foi sur l'ascèse et l'amour, et l'exégèse sur la connaissance intériorisée, semble en son état actuel agonisante. Le poète français Sully Prudhomme (m. 1907) disait bien: "Et la fleur de son amour périt".
D'autres commentaires complets ou partiels, d'autres monographies consacrées à telle ou telle sourate, des glossaires, des dictionnaires de mots rares ont été consacrés au "lever du voile" (Tafsîr) du Coran sous ses multiples aspects, et méritaient d'être mentionnés. Mais il est clair qu'il ne poouvait être question de les citer tous.
Il s'agit ici non d'une bibliographie du Coran, mais des ouvrages originaux ou représentatifs des étapes de son exégèse. Nous pensons que le sommaire que nous venons de donner à cet égard et qui n'a aucune prétention d'être exhaustif, sera utile à ceux qui s'intéressent aux études coraniques. Plaise à Dieu!