La vérité
La vérité, recto La vérité, verso

"La vérité" a été publié par Mouna Ayoub en 2000 aux éditions Michel Lafon.
ISBN 2.7382.1465.7

Extrait :
A mes enfants
J'ai écrit ce livre comme une catharsis. Pour me libérer des années de frustration d'une épouse saoudienne, et montrer comment j'ai pu réussir à briser ce carcan, mais à quel prix.
Le point final mis à ces pages, je me suis interrogée :
fallait-il publier ces souvenirs ? longtemps, jai hésité. Certains jours, il me paraissait évident que je devais livrer au public ce témoignage d'une femme soumise aux lois d'une société machiste, intégriste, rétrograde - dont on ne peut même pas imaginer les interdits en Occident -, et qui a pu néanmoins reconquérir son indépendance. Et puis, le lendemain, je renonçais. Ne valait-il pas mieux me taire, oublier mes douleurs et croquer le présent ?
Car si aujourd'hui les journaux occidentaux parlent parfois de moi, si les plateaux de télévision me reçoivent, ce n'est pas la Mouna de naguère, brimée, opprimée, malheureuse qu'ils recherchent mais la Mouna légère et pétillante, la milliardaire joyeuse échappée de sa prison dorée. Alors, pourquoi ne pas jouer le jeu et laisser le passé sombrer dans l'oubli ? Pourquoi ne pas se contenter de briller dans l'éclat du moment ?
Et puis, j'ai pensé à mes cinq enfants dont je suis séparée, les lois de l'Islam m'ayant retiré leur garde depuis que j'ai arraché mon voile. Vont-ils croire les calomnies colportées sur mon compte dans certains palais de Ryyad ? Vont-ils penser que leur maman n'est qu'une hystérique frivole au comportement douteux, comme le murmurent les médisants ?
Depuis quelques mois, une campagne haineuse se déve­loppe contre moi en Arabie Saoudite et jusqu'au Liban, le pays de mon enfance. Mes apparitions sur le petit écran et les échos dans la presse américaine, italienne ou fran­çaise sont immanquablement ressentis, dans ces contrées, comme l'expression d'un atroce dévergondage qui fait figure de crime aux yeux des pudibonds. Nadine, magazine libanais en langue arabe, ne manque jamais une occasion de me faire passer pour une femme aux mœurs dissolues, une harpie cupide et malhonnête, amie des Juifs de surcroît, ce qui sans doute lui est intolérable. Quelques phrases extraites de ces pages nauséabondes ont été déterminantes pour la parution de ce livre. «Mouna la libanaise» m'appelle-t-on là-bas comme on disait naguère, à Pigalle, « Nini la Rousse » en parlant d'une prostituée, qualificatif que l'on m'attribue aussi bien.
« Elle a maîtrisé le jeu de la piraterie à un degré que ne peuvent atteindre que les enfants de la rue qui souvent échouent et tombent dans les mailles de la police... »
« Mouna Ayoub qui lève ses jambes nues dans les lieux publics, comme le faisait Mistinguett... »
« Vous la voyez se comporter comme l'autruche qui enfonce la tête dans l'ordure de ses mensonges... »
«Dans la boue où elle s'est enfoncée, aucune personne respectable n'osera s'approcher d'elle... »
Quand j'ai lu cette prose immonde - qui continue de me parvenir régulièrement - je me suis dit que je ne pouvais pas laisser en pâture à mes enfants ces inepties venimeuses auxquelles je ne saurais répondre.
En atteignant l'honneur de leur mère, c'est le leur qu'on bafoue. J'ai donc voulu ici rétablir la vérité.
Pour qu'ils sachent vraiment qui je suis, ce que j'ai fait, et que je les aime plus que tout au monde.
Pour qu'ils n'écoutent pas seulement les voix des intégrismes étroits dont je suis la victime.
Pour que, réfléchissant, ils s'ouvrent tous les cinq à plus de tolérance, vis-à-vis des êtres humains en général et des femmes en particulier.
Et pour qu'enfin ils me reviennent.
Je leur dédie ce livre.
Avec tout mon amour de mère brisée.
Mouna ayoub