Le coran et l'islam, Etude historique et géo-politique > Sectes

chapitre 4

Schismes et sectes

 

De leur côté, les musulmans chiites se mirent à prédire qu’un « sauveur » viendrait venger les vrais disciples de Mahomet, balayer l’ordre social établi par les renégats, détruire le mal et rétablir le bien. Il en est résulté que l’islam chiite est devenue la « religion des opprimés de l’islam » et que presque toutes les grandes révoltes du monde musulman se sont confondues avec celle du chiisme. Jusqu’à ce qu’un certain ayatollah Khomeyni ne vienne bouleverser les données du problème en faisant du chiisme iranien une religion opprimante, à l’instar des autres branches de l’islam.

Les rivalités qui préexistaient dans le monde arabe – et qui trouvèrent un exutoire dans l’islam – furent à l’origine des nombres sectes islamiques qui virent le jour dès le VIIe siècle. Le Chiisme fut lui-même sujet à des fractionnements et des dissidences qui reflétaient le caractère tribal de la société musulmane. Pas plus que le christianisme, l’islam n’a jamais été monolithique. C’est un conglomérat de communautés qui se réclament du coran mais qui en font des interprétations parfois très différentes les unes des autres.

En 683, après l’écrasement de la révolte de Mokhtar en faveur de Muhammad ibn al-Hanafiya – fils d’Ali – les chiites se divisèrent en plusieurs groupes sans avoir su se mettre d’accord sur la personnalité de leur khalife. Une faction prit pour chef Abou Hâchim – fils de Muhammad ibn al-Hanafiya – mais éclata en une infinité de groupuscules après la mort de cet arrière-petit-fils de Mahomet. L’une de ces sectes se structura autour d’un descendant d’Al-Abbâs qui était l’un des oncles du « prophète ». Elle sera au cœur de la révolte abbasside qui mettra fin à la suprématie des khalifes omayyades. Cependant, la révolution abbasside – après avoir rétabli un semblant d’égalité entre les musulmans – ne parvint pas à imposer aux croyants les principes qui avaient été à la base de la dissidence chiite. Les chefs Abbassides eurent tôt fait de retomber dans les mêmes errements que leurs prédécesseurs.

Les autres factions chiites se replièrent sur elles-mêmes pour s’ériger à nouveau en « parti des opprimés ». Il en résulta, de leur part, une vision pessimiste du monde avec, pour conséquence, l’élévation de la souffrance en tant que valeur libératrice. Le culte du martyr islamique allait se développer autour de ce concept. Les musulmans chiites se mirent à vénérer les tombes de leurs premiers martyrs, Ali et ses fils. Le gendre devint pour eux une sorte de christ cependant que son épouse Fatima – fille de Mahomet – se muait en une sorte de « sainte vierge » à la mode islamique. La mort d’Ali fut présentée aux fidèles comme une sorte de « passion » visant à libérer le monde (arabe).

Sous le règne des khalifes abbassides, le chiisme se divisa en différentes branches, les unes modérées, les autres carrément extrémistes. Les Duodécimains, qui acceptèrent l’autorité d’une douzaine imâms, finirent par disparaître vers l’an 850. Les Ismaïliens, pour leur part, s’arrêtèrent au septième imâm, à savoir Ismaïl (fils de Ja’far), qui fut écarté pour ses tendances par trop révolutionnaires. Quand aux Zaïdites, ils remplaçaient le cinquième imâm par Zaïd (mort en 743), petit-fils d’Al-Hossaïn. On notera que les Ismaïliens dénoncèrent, avec une virulence inconnue jusqu’alors, le mode de vie des classes dominantes. C’est ce qui leur permit de cristalliser le mécontentement des petites gens et des opprimés.

Considérée par certains historiens comme une « minorité idéologique créatrice », la secte des Ismaïliens s’appuyait sur une grande cohésion mais aussi sur les aspects indéniablement ésotériques de sa doctrine religieuse. C'est ainsi qu'ils adoptèrent le « principe de l’émanation du monde, produit par un intellect et une âme universels, eux-mêmes créés par dieu ». Pour eux, la « révélation » a suivi un processus ascensionnel avec sept « parleurs » (Adam, Noé, Abraham, Moïse, Jésus, Mahomet et le madhî) et sept « silencieux » ou « interprètes des parleurs ». Il en résulte que pour ces musulmans, Mahomet – dont Ali fut le « silencieux » - n’est plus le « sceau des prophètes ».

C’est sous le khalîfat des Fatimides que l’on verra apparaître un régime politico-religieux découlant de la doctrine des Ismaïliens. A partir de cette époque, on verra apparaître toutes sortes de sectes musulmanes se rattachant à l’Ismaïlisme, comme les Druzes de Syrie et du Liban, les Nizaris ou « Haschîchiya » (amateurs de hachisch, nom qui, par déformation, donnera « Assassins » en français) également en Syrie et au Liban, ou encore les Mosta’liens d’Inde et d’Afrique orientale.

L’éclatement de l’islam en une multitude de sectes et sous-sectes joua, sans nul doute, un rôle dans l’affaiblissement du grand empire arabo-musulman qui s’était constitué dans la foulée des campagnes menées par Mahomet et ses successeurs immédiats. Mais ce rôle ne fut pas essentiel. En fait, l’islam était loin d’être la religion « universelle » que vantaient ses zélateurs.

L’empire musulman recouvrait une mosaïque de peuples qui étaient très différents les uns des autres, qu’il s’agisse de leurs origines ethniques, de leur culture ou de leur langue. Ce qui n’alla pas sans poser de nombreux problèmes pour la mise en application d’une shar’îa dont les principes fondamentaux, typiquement arabes, heurtaient les peuples conquis. En outre, ces principes demeuraient flous et incertains. Les classes dirigeantes musulmanes prirent très tôt l’habitude d’adapter la loi coranique selon leur bon vouloir ou les nécessités du moment cependant que la promiscuité qui existait - en vertu de l’omma - entre milieux religieux et politiques, ne pouvait que susciter des désordres résultant des « fermentations religieuses » et des inévitables ambitions personnelles et tribales.

Chez les musulmans sunnites, moins dogmatiques que les chiites, la grande diversité de la « sunna » - base de la loi non écrite (loi coutumière se transmettant de façon orale) – autorisait de nombreuses interprétations. Alliées à une structure interne relativement libérale et sans clergé, ces possibilités d’interprétation de la loi coranique permettaient aux communautés sunnites d’échapper aux dissidences qui secouaient le monde chiite. Il en résulta que chez les sunnites, religion et pouvoir politique devinrent rapidement indissociables. C’est la consécration du principe de l’omma qui fait que, aujourd’hui encore, la notion d’ « état laïque » est totalement étrangère à la mentalité musulmane. Pour un musulman, la religion s’impose à l’Etat et l’Etat protège la religion (36).

Les Arabes étaient peu versés dans l’art de la peinture (un bédouin ne s’encombre pas d’objets inutiles et fragiles) mais excellaient dans celui de la poésie. L’imagerie datant de l’époque mahométane est presque exclusivement composée de miniatures et d’enluminures. La culture arabe était purement orale, c’est une culture du « verbe », comme celle des Israélites. On ne connaît pas de portrait de Mahomet dont on disait qu’il n’était ni grand, ni petit, ni gros, ni mince. Ses cheveux n’étaient ni trop crépus, ni trop ondulés. Son visage n’était ni trop maigre, ni trop en chair, avec des yeux noirs et de longs cils. Il avait la peau blanche légèrement rosâtre. Ses mains et ses pieds étaient charnus. C’était donc un homme très quelconque, sans signes physiques particuliers. Cette description (selon son disciple Omar) ne fait aucune allusion au port de la barbe, laquelle était pourtant fréquente, à son époque, chez les hommes d’origine sémitique.

un cavalier arabe de l'époque des conquêtes
arabo-musulmane.

Un cavalier arabe de la « grande époque », celle des conquêtes arabo-musulmane. C’est le dessin qui orne la couverture de l’une des éditions du livre de René Kalisky : L’islam, origine et essor du monde arabe (1968 aux Ed. Gérard et 1987 aux Ed. Marabout). Cet excellent livre se fonde sur les travaux des spécialistes du monde arabe et de l’islam : Dominique Sourdel, henry Sérouya, Philip K. Hitti, Maxime Rodinson, René Grousset, Eric Rouleau, Raymond Charles, Jean-Pierre Alem, Jean et Simone Lacouture, Edouard Montet, Georges Marçais, Benoist Méchin, André Chouraqui, Robert Mantran, Pierre Bloch, Hassan Riad, Hélène Carrère d’Encausse et Vincent Monteil.

généalogie des sectes musulmanes
La généalogie des sectes musulmanes
d’après le livre de René Kalisky
(L’Islam : origine et essor du monde arabe – 1968).

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