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L’Express 1er août 2002
Article paru dans « L’Express »
1er août 2002.

Le gouvernement entend renvoyer vers leur pays d'origine les Maghrébins impliqués dans des réseaux terroristes. Quitte à leur retirer la nationalité française


Dans la lutte antiterroriste comme dans le combat contre la petite délinquance, la droite veut imprimer sa. marque. Depuis son installa­tion Place Beauvau, Nicolas Sarkozy incarne sans états d'âme une ligne de fermeté. Elle se manifeste par l'appli­cation stricte de la législation en matière de répression an­titerroriste. Ainsi, le ministre de l'Intérieur cherche à écar­ter du territoire français des islamistes déjà condamnés pour leurs activités ou soup­çonnés d'appartenir à des ré­seaux, quitte à appliquer des mesures peu usitées jusqu'à présent. Le gouvernement a donc retiré la nationalité fran­çaise à l'un d'eux et s'apprête à le faire pour deux autres.

Le premier cas, de loin le plus emblématique, est celui de Kamel Daoudi. Le 3 août prochain, le jeune homme fê­tera son 28ème anniversaire dans sa cellule de Fleury-Mérogis (Essonne). Il est soupçonné d'appartenir à un réseau isla­miste qui projetait un attentat contre l'ambassade des Etats-Unis à Paris. L'affaire a été découverte le 28 juillet 2001, à l'occasion de l'arrestation, à Dubaï, de son mentor, Djamel Beghal, un fondamenta­liste accusé d'être l'un des relais d'Al-Qaeda en Europe. Les deux hommes s'étaient d'abord fait remarquer loca­lement par leur discours radi­cal dans une mosquée de Corbeil-Essonnes (Essonne). Ils se sont ensuite retrouvés à Leicester, en Grande-Bretagne, puis, au printemps 2001, dans des camps d'entraînement en Afghanistan. Avant de partir, le jeune Algérien avait pris soin de demander Sa natura­lisation. C'est d'ailleurs, de fa­çon invraisemblable, pendant qu'il s'entraînait au manie­ment de la kalachnikov à Jalalabad qu'il est devenu officiellement citoyen français, le 14 juin 2001. Il ne rentrera à Corbeil-Essonnes que deux mois plus tard.

Des décisions aussi politiques que techniques


En apparence, Daoudi pré­sentait pourtant le visage d'une intégration réussie. Né à Sedrata, en Algérie, il est ar­rivé en France à l'âge de 5 ans. Son père, agent hospitalier à la Pitié-Salpêtrière, voyait déjà en lui un futur ingénieur. II en avait sans doute les capacités. Mais, séduit par les thèses les plus radicales de l'islam, il abandonne contre toute at­tente sa licence d'informa­tique, entamée à Jussieu. Il travaille en 2000 commeani­mateur dans un cybercafé d'Athis-Mons (Essonne). Il est finalement arrêté en An­gleterre, puis transféré à Pa­ris le 28 septembre 2001.

Dès cette époque, le cas Daoudi provoque une vive polémique à l'Assemblée na­tionale. Le député RPF Jacques Myard critique la fa­cilité avec laquelle le jeune homme a obtenu la nationa­lité française, parlant de « laxisme législatif ». La droite n'a pas oublié. Dès les pre­mières semaines du gouver­nement Raffarin, en mai, elle décide de faire un exemple, étudiant les moyens juridiques de retirer à Daoudi sa ci­toyenneté française. Un ar­ticle du Code civil, peu connu, l'autorise. Il s'applique seu­lement aux binationaux na­turalisés français depuis moins d'un an. Pendant cette pé­riode, le nouveau citoyen doit en effet être « de bonnes vie et mœurs ». Dans le cas contraire, le gouvernement peut « rapporter », c'est-à-dire annuler, sa décision. La no­tion très large d'atteinte aux mœurs est l'objet d'une en­quête policière et judiciaire.

Le 27 mai 2002, trois se­maines seulement après la ré­élection de Jacques Chirac, Kamel Daoudi a donc offi­ciellement perdu sa nationa­lité française. Après avis du Conseil d'Etat, le décret a été publié au Journal officiel du 1er juin. Cette mesure per­mettrait une expulsion vers l'Algérie après une éventuelle condamnation. L'avocat de Daoudi s'en est, dès à présent, indigné. « Cette décision a été prise au mépris de la pré­somption d'innocence, estime Mte Frédéric Bellanger. De plus, le décret de naturalisa­tion a été annulé sur la base d'éléments couverts par le se­cret de l'instruction. » L'avo­cat a déposé un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat.

Le ministère de l'Intérieur, pourtant, ne s'arrêtera pas là. Deux autres procédures de dé­chéance de la nationalité sont déjà engagées. Elles concer­nent là encore des binatio­naux, Omar Saïki et Karim Bourti. Une affaire qui re­monte à quatre ans. Le 26 mai 1998, le juge Bruguière lançait un vaste coup de filet contre des milieux islamistes soup­çonnés de préparer des atten­tats à l'occasion de la Coupe du monde de football. Des opérations similaires étaient menées au même moment en Allemagne, en Italie, en Bel­gique et en Suisse. Au total, 24 personnes sont renvoyées devant le tribunal correction­nel de Paris. Dans leur juge­ment, le 12 décembre 2000, les magistrats condamnent le chef supposé du réseau, Omar Saïki, à quatre ans d'empri­sonnement, dont un avec sur­sis, et Karim Bourti, à trois ans. Des peines qui couvrent la détention provisoire. Par ailleurs, neuf personnes sont totalement blanchies.

A l'époque, les avocats s'ap­puient sur la décision du tri­bunal pour remettre en ques­tion la politique antiterroriste française. Le défenseur de Bourti, Mte Patrick Baudoin, alors président de la Fédéra­tion internationale des ligues des droits de l'homme, raille les « piètres résultats » des ma­gistrats spécialisés. Saïki et Bourti, aujourd'hui en liberté, disposent encore de leur na­tionalité française, ce qui in­terdit évidemment toute ex­pulsion. La procédure en cours permettrait de les ren­voyer vers leur pays d'origine.

Enfin, l'Intérieur s'intéresse aux dossiers de plusieurs étran­gers remis en liberté après avoir purgé leur peine pour des activités subversives. Neuf ar­rêtés d'interdiction définitive du territoire viennent d'être signés. Ils concernent, pour l'essentiel, des membres du « réseau Chalabi ». Cette struc­ture de soutien aux maquis du GIA algérien, dirigée par les frères Chalabi, opérait depuis le siège de l'Association pour l'éducation des musulmans de France, dans le Val-de-Mame. Elle a été démantelée en 1994, au terme d'une très large opé­ration destinée, selon les juges, à prévenir des attentats à Pa­ris, Elle a débouché, le 1er sep­tembre 1998, sur le début d'un procès fleuve ; 138 personnes ont été renvoyées devant le tri­bunal correctionnel de Paris. Mohamed Chalabi a finale­ment été condamné, en janvier 1999, à huit ans d'emprison­nement et à l'interdiction dé­finitive du territoire français (il a été expulsé vers Alger, en novembre 2001, après avoir purgé sa peine).

Mais ce procès hors du com­mun a été très critiqué par les avocats et les organisations de défense des droits de l'homme : il a en effet abouti à 51 relaxes. Près de 2 millions de francs d'indemnités ont été accordés pour détention abu­sive. Le gouvernement actuel veut, dans cette affaire sym­bole, faire appliquer intégra­lement les décisions de jus­tice. Ainsi, Brahim, le frère de Mohamed Chalabi, condamné à quatre ans de pri­son et, lui aussi, à une inter­diction définitive du territoire, devrait être l'un des premiers à être expulsé.

L'ensemble de ces décisions, aussi politiques que tech­niques, risque de susciter la colère des associations de dé­fense des droits de l'homme, qui ne cessent de dénoncer le risque de remettre des isla­mistes aux autorités algé­riennes. Mais la droite répli­quera sans doute que l'après-11 septembre justifie des méthodes exceptionnelles. D'autant qu'il ne se passe pas de semaine sans que les ser­vices spécialisés fassent de nouvelles découvertes. Le 23 juillet dernier, deux étranges personnages étaient par exemple interpellés par la DST à Marseille. Ces Algé­riens, qui résident en Irlande. étaient munis de faux papiers italiens. Connus comme an­ciens membres du FIS et du GIA, ils disposent de toute évidence de moyens financiers importants. Les policiers les soupçonnent d'avoir tenté de constituer en Europe un nou­veau réseau islamiste. Ils ont été très discrètement mis en examen à Paris par le juge Bruguière et incarcérés le 27 juillet. Une affaire qui pourrait déboucher sur d'autres découvertes.

Eric Pelletier et Jean-Marie Pontaut