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Extrait d’un article publié, en septembre 1938, par la revue française «  Lectures pour tous » (Hachette)

L'OR, LUMIÈRE DES HEURES SOMBRES

Le prétexte immédiat du conflit vint d'une querelle au sujet de l'État d'Asir, situé entre le Hedjaz et le Yémen. Mais les véritables causes remontent bien plus loin. En s'emparant d'Asir, Ibn Saoud ne fait que continuer la réalisation méthodique d'un plan mis en uvre plus d'un quart de siècle auparavant et visant à l'établissement d'une seule couronne sur une Arabie «  une et indivisible ». L'année même - 1902 - où Ibn Saoud succédait à son père Abd-ur-Rahman comme émir du Nedjd, il reprit aux Ibn Rachid la capitale Riad et continua activement ses opérations en vue d'arrondir son patrimoine. En 1926, ses opérations furent couronnées d'un gros succès : ayant balayé du trône du Hedjaz le roi Hussein, protégé des Anglais, il y monta lui-même, devenant du coup protecteur des villes saintes de l'Islam, La Mecque et Médine.

Deux ans après, il portait la guerre chez les fils de Hussein, sur les territoires voisins de l'Irak et de la Transjordanie, et depuis, invinciblement, il continue d'étendre ses possessions, tant le long de la côte orientale que de la mer Rouge.

Aujourd'hui, le moment lui semble venu de cueillir le gros morceau - le Yémen.

Le Yémen, que les Romains appelaient déjà l'Arabie Heureuse, apparaît comme un véritable paradis à côté du royaume d'Ibn Saoud, cinq fois plus vaste, mais constitué par des déserts et des steppes. Cette charmante oasis, avec ses monts fleuris, ses villes, ses forteresses, ses vergers en terrasses, pareils à des nids perchés dans les rocs, est d'autant plus désirable que le contraste est plus grand entre elle et l'immense plateau désertique que constitue tout l'intérieur de la péninsule.

Enfin - et ce n'est pas son moindre charme - le Yémen est la patrie du moka, le plus parfumé des cafés !

Une autre triste particularité distingue le Yémen : les Yéménites - ils sont au nombre de trois millions - sont, en majorité, des toxicomanes. Depuis l'enfance, ils s'habituent à mâcher les feuilles d'une plante locale appelée kot, drogue nationale dont les effets sont comparables à ceux des stupéfiants. Sa culture a pris une vaste extension qui empiète même sur celle du café, et l'iman Yahya est lui-même parmi les gros producteurs... parmi les consommateurs aussi. Les résultats de cette intoxication en masse sont d'ores et déjà visibles : la race se trouve considérablement débilitée.

Le souverain du Yémen, l'iman Yahya Hamid ed-Din el-Motawakil (né en 1876, il compte aujourd'hui cinquante-huit ans) est un descendant direct d'Ali, le quatrième calife, époux de Fatima, la fille de Mahomet, Depuis trente ans, de son palais blanc de style mauresque, aux arcs polylobés, aux fenêtres festonnées, aux frais patios, perdu dans les jardins de Sana, sa résidence, cet homme, qui cumule les pouvoirs séculier et religieux, gouverne son pays d'une main d'acier. De taille moyenne, vêtu le plus souvent avec simplicité d'un caftan tissé à la maison et coiffé d'un turban blanc, Yahya est demeuré fidèle aux traditions. Il est fermé à tout ce qui vient des infidèles. Son pays ignore les chemins de fer, les grandes routes même y sont rares, et on n'y compte que peu d'écoles et d'hôpitaux.

Tout récemment, et seulement pour ses besoins personnels, il a introduit dans son palais l'électricité et la T. S. F. Les seuls domaines où il fasse des concessions aux temps nouveaux, sont l'armement et l'enseignement militaire, confiés à d'anciens officiers turcs. Cela n'empêche pas l'iman, connu pour son avarice, d'oublier de payer leur solde à ses soldats. On va même jusqu'à affirmer que, pour des raisons d'économie, il aurait confié la confection de leur uniforme bleu indigo aux femmes de son harem ! Pourtant, dans les caves de son palais aménagées par des spécialistes, et sous bonne garde, se trouvent vingt millions de livres sterling en or.

«  Ces pièces sont des lumières, a-t-il coutume de dire. Je les garde pour les heures sombres ».

Mais à côté, dans d'autres caves, languissent 3000 de ses sujets que l'iman a pris à titre d'otages dans une région suspecte de sympathie à l'égard des Ouahhabites et de leur chef Ibn Saoud.

Bien différent est le royaume de ce dernier, dénommé officiellement Mamlakat Arabyiat as Sa'oudiya. Comme il est composé de deux États, le Nedjd, dont Ibn Saoud Abdoul-Aziz est le dix-neuvième sultan de la dynastie ouahhabite, et le Hedjaz, dont il est, comme nous l'avons vu, le nouveau malik, il possède aussi deux capitales, La Mecque et Riad, et deux systèmes administratifs.

Selon la constitution du 29 août 1926, le Hedjaz est gouverné par un vice-roi, fils cadet d'Ibn Saoud, résidant à La Mecque, et secondé par quatre ministres à la manière occidentale. Bien plus patriarcal est le gouvernement de Nedjd, dont le vice-roi et unique gouvernant est le fils aîné d'Ibn Saoud, l'héritier de son trône. Quant aux lois, les seules qu'on connaisse sont les commandements religieux de l'Islam.

En fait, tout le pouvoir se concentre entre les mains du souverain, puissamment soutenu par les Ouahhabites. Mais qui sont les Ouahhabites?

LES PURITAINS DU DÉSERT illustration 1938

Plutôt qu'une secte islamique séparée, l'ouah habisme est un mouvement puritain au sein de la doctrine orthodoxe sunnite, aspirant à retourner à la pureté originelle de l'enseignement du Prophète. Née au XVIIIe siècle, cette école ultra-conservatrice connut de grands succès : elle fut propagée par l'émir El-Ouahhab qui lui donna son nom. Les «  puritains du désert » étendirent leur pouvoir de la mer Rouge au golfe Persique, d'Antioche à l'océan Indien, et même au delà. Mais leur élan fut arrêté par Mehmet-Ali, vice-roi d'Egypte, et à la fin du XIXe siècle, ils ne formaient plus qu'une petite république.

A cette époque, le prétendant ouahhabite était un prince sans couronne, réfugié à Koveit, sur le golfe Persique. Mais il s'appelait Ibn Saoud, et 200 hommes qu'il équipa, grâce à une subvention que lui octroya lord Curzon, vice-roi de l'Inde, lui suffirent pour reprendre Riad et la couronne de son père.

Très vite, il comprit quelle énorme force présentait le fanatisme ouahhabite habilement dirigé. Il fit donc tout pour en amener la renaissance, en poussant à l'extrême l'intolérance religieuse. Sous son impulsion, les Ouahhabites reprirent l'ancienne politique d'expansion.

La vie d'un ouahhabite est dans ses moindres détails déterminée par les prescriptions de la Sunna, c'est-à-dire par les paroles et les actes du Prophète, plus encore que par les prescriptions du Coran ; on y précise jusqu'à la manière de tailler les cheveux et de couper les ongles. Les Ouahhabites s'interdisent de fumer, de chanter, de se divertir, de porter des vêtements et des chaussures de luxe, d'orner les mosquée et même de planter des arbres aux cimetières. Celui qui serait pris à fumer, par exemple, ou qui ne se montrerait pas assez fervent dans ses visites à la mosquée, risque d'être publiquement frappé à coups de bâton.

Un ouahhabite ne baise la main de personne, fût-ce du sultan, et n'allie jamais dans sa prière le nom d'Allah à celui du Prophète, d'autant moins à celui d'un mortel.

L'exécution littérale de la Sunna crée parfois des situations drolatiques, dans les rapports des ouahhabites avec leur chef. Mahomet a prescrit: « Ne dites pas : par la grâce d'Allah et du Prophète, mais dites : par la grâce d'Allah, et ensuite : avec l'aide du Prophète. »

C'est pourquoi le chef du protocole du roi Ibn Saoud, en inscrivant dans son journal la requête d'un visiteur, le fait de cette manière curieuse : «  Un tel est arrivé, il implore d'Allah, avec ton aide, un burnous, une tunique, du café et du riz.... »

Autocrate absolu, le souverain ouahhabite a le droit, selon son bon plaisir, de signer des traités avec les «  infidèles » ou de proclamer des «  guerres saintes ». Il peut même consentir aux «  chiens de mécréants » des concessions, afin d'extraire les richesses minérales du sol foulé par les sujets du Prophète. Mais il lui est absolument impossible de modifier la moindre prescription sunnite. II est même réduit à justifier, à l'égard du Coran, les innovations qu'il se décide à emprunter à l'Europe. Ainsi, le réseau téléphonique ne fut adopté par les influents ulémas qu'après qu'ils eurent constaté que les fils transmettent le texte sacré sans la moindre déformation....

Les meilleurs, et aussi les plus fanatiques soldats d'Ibn Saoud, sont les terribles «  frères » îkhwar, les Bédouins qui ont formé les «  confréries ouahhabites de l'épée » et qui, maintenant qu'ils se sont fixés, ont gardé de leur vie de nomades une témérité folle. Leur intolérance est si grande qu'ils ne saluent pas les non-ouahhabites, fussent-ils musulmans. Si, par erreur, il leur arrive d'aborder un Mushreîdn, c'est-à-dire un « adorateur de tombes », ils prient Allah d'annuler ce salut. Ces mécréants sont à leurs yeux uniquement bons à être massacrés et pillés. Au contraire, la mort d'un « frère » au champ de bataille lui ouvre tout droit les portes du paradis d'Allah.

Un des rares voyageurs à qui il fut permis d'observer de près les murs et coutumes de ces puritains intransigeants raconte ce petit fait caractéristique : illustration 1938

Un Ikhwar, voyant que ce voyageur s'apprêtait à le photographier, prit une pose avantageuse et, indiquant son poignard à la ceinture, dit au photographe : « Surtout, ne l'oublie pas! »

Il ne demanda point une épreuve, mais dit, en s'en allant, à un autre ouahhabite : « Le poignard sera, lui aussi, sur l'image ! Mais je préférerais le voir dans le coeur de ce chien infidèle ! »

II n'a guère été facile de discipliner ces indomptables « frères » et de les amener à s'abstenir des tueries et des pillages qui, désormais, ne peuvent avoir lieu qu'après déclaration de la guerre sainte. Mais il appartient uniquement au roi de la déclencher.

Certes, il est plus difficile à Ibn Saoud de tenir en laisse des sujets de ce tempérament, qu'à un monarque européen de manuvrer des parlementaires combatifs. Pourtant le souverain arabe s'est montré à la hauteur de sa tâche.