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Les
philosophes et lislam
La philosophie est une discipline fondée sur le raisonnement. Lislam est une doctrine de soumission qui nadmet pas que lon discute ses textes de base (coran et sunna) pas plus que les principes qui en découlent. Lislam soppose au raisonnement. A priori, philosophie et islam apparaîssent comme antinomique. Il ne devrait donc pas exister de « philosophes musulmans ».
On connaît pourtant lexistence dune école philosophique arabo-musulmane que lon nomme « falsafa ». Cependant, contrairement à certaines sectes islamiques (comme le soufisme) qui firent preuve dhétérodoxie et furent, de ce fait déclarées « hérétiques » par les islamistes orthodoxes cette école philosophico-religieuse ne sinscrivit pratiquement jamais en marge de lorthodoxie. Elle se contenta de simmiscer dans les controverses théologiques en faisant intervenir une pensée dont le caractère spéculatif devait néanmoins donner pas mal de soucis aux « gardiens de la foi ».
Discipline foncièrement étrangère à lislam, la philosophie bénéficia de lardeur avec laquelle les érudits des époques préislamiques avaient étudié les courants de pensée de la Grèce antique. Et cest par la traduction en langue arabe des uvres grecques que le monde musulman vit se répandre les principes de la philosophie classique. Ce furent sans nul doute les travaux dAristote et de ses commentateurs qui exercèrent linfluence la plus déterminante sur certains milieux islamiques. Considéré et estimé comme étant le « philosophe par excellence », Aristote exerça, sur ses émules musulmans, une véritable « dictature pour tout ce qui concerne les méthodes de raisonnement et dacquisition de la certitude ». Cette fascination était telle quon alla jusquà lui attribuer des concepts néo-platoniciens. Cest ainsi que se développera, chez les Arabes, lidée fausse selon laquelle il existait un parfait accord de vues entre Aristote et Platon.
Compte tenu du caractère spécifique de lislam, de son intolérance et de son intransigeance, les disciples musulmans dAristote et de Platon (ce dernier ayant été « revu » par les Alexandrins) ne tardèrent pas à sattirer lhostilité des « gardiens de la foi islamique » que leur « audace » exaspérait.
Lun des premiers à avoir tenté dincorporer des éléments de philosophie grecque dans lislam fut un médecin nommé Ar-Râzi (ou Rhazès) qui mourut en lan 925 de notre ère. On le considère comme le plus célèbre de tous les « novateurs hérétiques ». Sous son influence, des écoles juridiques commencèrent à incorporer des éléments danalyse dialectique dans leur doctrine, se transformant parfois en véritables écoles philosophiques. Cest ainsi que naquit la vogue de la « science de la parole » (ilm al-kalam). Tout en ayant recours à largumentation rationnelle, le kalam sous ses deux formes successives : motazilite (93) et acharite (94) ne cherchait pas à sériger en une forme de philosophie desprit authentiquement musulman. Il se limitait à intégrer, dans le concept islamique, des « chapitres philosophiques » relatifs à lUnivers découlant des principes retenus par Ar-Râzi, lequel concevait le monde sur la base de cinq substances éternelles : le Démiurge, lAme, la Matière, lEspace et le Temps.
Dans un premier temps bien que très critiquées les idées inspirées par les philosophes grecs furent accueillies sans trop de défaveur dans le monde arabo-musulman. Ce qui nempêcha nullement un historien comme Mahziri décrire que la philosophie navait servi quà favoriser lhérésie et à accroître leur impiété. Il faisait allusion aux sectes musulmanes qui sétaient empressées de recourir au kalam et aux théologiens intégristes qui lidentifiaient, de ce fait, aux hérésies des « infidèles ».
On constate néanmoins que ni lorthodoxie ni le kalam ne purent empêcher le développement dune philosophie indépendante chez bon nombre de penseurs musulmans qui, tout en ayant puisé lessentiel de leur inspiration dans la pensée hellénistique, ne se contentèrent pas de copier purement et simplement les maîtres grecs. Les plus connus dentre eux se signalèrent par une attitude intellectuelle où lon observe un foisonnement didées et de vues qui ne ressortent pas uniquement du domaine de la philosophie pure mais débouchent sur le social, le religieux, le politique et même léconomique. Cest en cela que leur philosophie est islamique.
Toutefois, la parfaite compréhension de leur démarche qui varie sensiblement de lun à lautre exigerait une étude approfondie qui sortirait du cadre de la présente étude. Nous pouvons cependant exposer succinctement leur système de pensée libéral ou sceptique, frondeur ou soumis à la foi afin de fournir à nos lecteurs et lectrices quelques éléments dappréciation qui démontre que des intellectuels de haut niveau ont tenté, à diverses époques, de faire intervenir la raison dans la pensée musulmane.
Considéré par daucuns comme lun des douze génies qui se sont manifestés dans le monde, des origines au XVIe siècle, Al-Kindî fut un penseur dune rare fécondité. Issu de lillustre clan des Kindî, cet arabe pur jus vécut au IXe siècle. Il sefforça de transmettre au monde musulman alors en pleine effervescence - la théorie aristotélicienne des « intellects ». Et bien quil eut accordé une importance excessive à la « connaissance divine » (dons « prophétique »), il tenta de démontrer quon ne peut comprendre la philosophie sans une parfaite connaissance des mathématiques, lesquelles concrétisent la valeur profonde et réelle de la Raison. Cette idée capitale, préexistante chez les Grecs, sera dailleurs reprises par de très nombreux philosophes modernes.
Al-Fârâbi, originaire du Turkestan, vécut au Xe siècle. Son immense culture, de nature encyclopédique, lui avait valu ladmiration de tous ceux qui avaient pu lapprocher. Il tenta dadapter la philosophie grecque à la pensée religieuses du Moyen-Orient sans pour autant rejeter les dogmes de lislam.
Proche dAl-Fâräbi, Ibn Sinâ (95) - que les Occidentaux nomment Avicenne vit le jour près de Boukhara aux environs de lan 980 de notre ère. A lâge de dix-huit ans, il était déjà très savant dans les domaines de la médecine, de la littérature, des mathématiques et du droit.
La pensée dAvicenne, héritée comme il se doit de la Grèce antique, était une subtile synthèse des uvres de Platon, dAristote et des néo-platoniciens. A ses yeux, le but de la philosophie était de comprendre la vérité de toute chose dans la mesure où lhomme se sent capable de le faire. Cest le perfectionnement de lâme humaine par la connaissance.
Avicenne a rédigé plus de cent ouvrages dont un énorme manuscrit en dix-huit volumes intitulé « La Guérison de lerreur » (ach-Chifa) qui eut une grande influence sur la pensée de lOccident méridional. Il est aussi lauteur du « Canon de la médecine » qui sera une référence médicale incontournable, en Occident comme en Orient pendant plusieurs siècles. Hélas, louvrage quil considérait comme son uvre majeure a disparu, sans doute détruit par les autorités islamiques. Il sagit de « La Philosophie illuminatrice ». Très proche des néo-platoniciens, Ibn-Sina avait fini par établir une similitude de conceptions avec la scolastique chrétienne, laquelle consistait en un mélange apparemment contradictoire de sensualisme et dascétisme qui correspondait dailleurs à lexistence menée par Avicenne.
Bien quil eut tenté de mettre ses concepts philosophiques en accord avec les « révélations » coraniques, il fut sans cesse dénoncé comme hérétique.
Ibn Rochd (96) naquit en 1126. Il était le fils du cadi de Cordoue, ville qui était, à cette époque, le centre intellectuel et juridique de lEspagne islamisée. Très jeune, il étudie, la théologie, la jurisprudence islamique, la médecine, lastronomie et la philosophie classique. Les Occidentaux le nomment Averroès. Il est sans doute lhomme le plus savant que le monde musulman ait produit à ce jour et on le considère comme le commentateur par excellence des uvres dAristote.
Il tenta dassurer, une fois pour toutes, lindépendance de la philosophie vis-à-vis de la théologie islamique, notamment en réfutant les thèses dAl-Ghazämi. Sa doctrine, si elle sefforçait de ne pas entrer en conflit direct avec la théologie orthodoxe, tentait de situer le dogme religieux et la philosophie sur deux plans différents. Selon lui, la « révélation » coranique pouvait sexpliquer de deux façons différentes, lune purement religieuse, lautre de nature philosophique et presque psychanalytique. Il en arrivait, de la sorte, à créer léquivoque de la « double vérité ».
On ne sétonnera pas du fait que les travaux dIbn Rochd provoquèrent la colère des « gardiens de la foi », lesquels ne tardèrent pas à le faire condamner comme « impie ». Il fut, de même, condamné par léglise chrétienne.
Averroès avait voulu rendre à la philosophie sa pureté originelle en la débarrassant des influences néo-platoniciennes. Il postulait que la matière et le mouvement sont éternels et incréés. Il mettait aussi laccent sur le groupe humain bien plus que sur lindividu et, offense suprême aux dogmes religieux, il niait limmortalité et lexistence dun « au-delà ». On peut regarder les travaux dAverroès comme une sorte débauche des thèses proto-socialistes des XVIIe et XVIIIe siècles.
Bien quil eut été condamné par les musulmans et les chrétiens, ses « Commentaires » furent traduits en hébreu puis en latin (aux XIIIe et XIVe siècle). Ils auront un grand retentissement jusquà la Renaissance.
Averroès a clôturé la grande lignée des philosophes musulmans. Après lui, la pensée greco-arabe va se tarir et lislam pourra imposer définitivement ses dogmes imbéciles.
Cette gravure représente Averroès de Cordoue (1126-1198) répondant calmement à ses détracteurs dans une mosquée. Son nom arabe complet était Abou Walid Mohamed Ibn Rouchd et sa doctrine, nommée « averrhoïsme », a inspiré de nombreuses écoles philosophiques. Elle fut très prisée à Padoue pendant près de trois siècles avant dêtre condamnée par léglise de Rome et même à Paris (au XVe siècle). Inquiété par les autorités religieuses de Kairouan, Averroès fut qualifié de « vrai croyant » par les uns et accusé dathéisme par les autres. Sur le plan médical, il se situait dans la ligne des grands médecins irakiens et persans, comme Rhazes (Abou Bakr Mohamed Ibn Zakariya al-Ghazi, env.850-env.925) qui fut sans nul doute le plus grand clinicien du Moyen Age.
On notera que les califes de Bagdad qui avaient su assimiler les grands principes des anciennes civilisations mésopotamiennes avaient instauré, dès le Xe siècle de notre ère, un véritable examen donnant accès à la profession de médecin-chirurgien. Il consistait à vérifier les compétences du candidat ainsi que ses connaissances en astronomie, en botanique et en philosophie. Dans le domaine de la chirurgie, on peut citer Aboulcassis (Aboul-Qasim Khalaf ibn Abbas al-Zahrawi, 950-1013), un médecin musulman qui sétait inspiré de lenseignement de Paul dEgine (qui avait vécu cinq cents ans plus tôt). Praticien prudent et adroit, il a rédigé de nombreux livres qui furent traduits en latin et qui inspira la chirurgie européenne jusquà la renaissance.
Notons cependant que ces sommités intellectuelles nétaient pas « arabes » au sens strict du terme. Il sagissait de Berbères (comme Averroès), dIrakiens, de Perses ou de Syriens, presque jamais dArabes « pur jus ». Pour les Bédouins et les caravaniers arabes, ces « sciences de la ville » étaient sans grand intérêt.
Avicenne entouré de quelques-uns de ses disciples Miniature illustrant un ouvrage de médecine rédigé en Arabe Bibliothèque ambrosienne de Milan.
Nous évoquerons, en passant, la personnalité paradoxale et ambiguë de lémir Abd-el-Kader (El-Hadj), celui-là même que les historiens présentent comme le père de lAlgérie moderne. Né près de Mascara en 1807, il est désigné par son père pour prendre la tête des tribus arabo-musulmanes qui commencent à se soulever contre limplantation française. En 1832, alors quil na que vingt-cinq ans, il lance la première fatwa contre la France en appelant à la guerre sainte. Cette guerre de religion durera quinze ans. Elle ne sachèvera que par le reddition de lémir, en décembre 1847.
Ce fut un conflit très dur au cours duquel la France engagea plus de 100.000 hommes. Selon leurs habitudes, les troupes musulmanes presque uniquement composées de cavaliers - eurent recours à la tactique du harcèlement et du coup de main rapide. Cest celle qui découle directement de la « razzia » et à laquelle recourent, aujourdhui encore, les terroristes islamistes. Il sagit dactions « de commandos » qui ne répondent pas, du moins en apparence, à une logique militaire telle que les Occidentaux la conçoivent. Ces actions ont pour but de déstabiliser et de démoraliser ladversaire en lattaquant là où il sy attend le moins et en disparaissant dès que le coup de main a réussi. Les Bédouins agissaient ainsi depuis la plus lointaine antiquité et cest cette tactique du « ghazou » quils employèrent, avec succès, contre les Croisés. De tous temps, les Occidentaux manifestèrent leur mépris vis-à-vis des ces méthodes guerrières considérées comme lâches et indignes. Il faudra attendre le XXe siècle pour que les « raids de commandos » entrent dans les murs des nations européennes et nord-américaines.
Abd-el-Kader
fut, comme tous les chefs musulmans, un leader politique et
religieux. Il dota lAlgérie de ses premières
institutions « modernes » devenant, de facto,
le premier souverain de ce pays. Cest lui qui fit le choix des
couleurs (vert et blanc) du drapeau algérien.
Très
cultivé, il a aussi laissé de nombreux ouvrages,
souvent rédigé sur le mode poétique propre à
la littérature arabe classique. On lui doit également
un traité relatif à la façon de traiter les
prisonniers de guerre.
Interné en France jusquen 1853, il fut traité en souverain et, chose étonnante pour un chef musulman, il se fit admettre au sein de la Franc-Maçonnerie. Dabord initié par la Loge « Les Pyramides dEgypte », il sera finalement reçu au grade de maître par la Loge « Henri IV » de Paris (le 1er septembre 1864). Daucuns prétendent que cest en sa qualité de Franc Maçon quil sauva de nombreux chrétiens menacés par des musulmans (notamment lors des massacres de Damas, en 1860).
Abd-el-Kader est donc un « cas à part » dans lhistoire de lislamisme. Après quinze années de guerre acharnée contre la France, il avait admis sa défaite avec tout le fatalisme dont la culture arabo-musulmane est imprégnée (considérant quAllah avait voulu que lAlgérie soit conquise par les troupes françaises). Et bien loin den vouloir à ses anciens adversaires, il était devenu leur ami et leur allié. Il avait aussi enfreint le droit coranique en se faisant initier dans une Loge maçonnique et en prêtant le serment de fraternité universelle. On le considère, de ce fait, comme un « émir éclairé », comme un chef musulman qui a su se libérer des chaînes imposées par le coran, sefforçant de concilier les traditions bédouines et la culture européenne, y compris dans sa dimension philosophique.
Abd-el-Kader mourut à Damas en 1883, dans sa 77e année. Figure controversée de lislam, il nest guère honoré dans son pays dorigine.
Convocation émise par la Loge « Henri IV » à loccasion de la proclamation solennelle de linitiation de l émir Abd-el-Kader. Ce document daté du 19 août 1864 est signé par le F :. Poullain ,Vénérable de la Loge, et par les Officiers Acany, Arnoult, Duboc et Bertin. Sous le second empire, Abd-el-Kader était devenu une véritable « star » de la vie mondaine parisienne que lon sarrachait dans les salons à la mode et dans les manifestations publiques.
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Lémir
Abd-el-Kader, selon un dessin dépoque. Il aurait été
disposé à réformer lislam dans le sens
dune réelle modernité et dune plus grande
humanité. Ses propositions neurent cependant pas plus
d effets que celles dAverroès ou dAvicenne. |
Portrait de l’émir Abd el-Kader par le peintre Ange Tissier. Il est conservé au château d’Amboise. Abd el-Kader était né près de Mascara en 1808. Il s’était fait proclamer « sultan des Arabes » en 1832. Il avait proclamé la « guerre sainte » contre les Français en 1838 et fait massacrer des colons qui s’installaient dans les régions d’Oran et d’Alger. Mais le 16 mai 1843, les troupes du duc d’Aumale s’emparèrent de sa capitale mobile « sa « smala »). Il se rendit lui-même au général Lamoricière en 1847 et fut interné en France pendant cinq ans. Acquis aux idéaux maçonniques, il se retire en Syrie où son intervention sauve de nombreux chrétiens menacés par l’islam. |
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