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Les [commentaires surlignés et entre crochets] sont des ajouts.

L'écriture du Coran a été un long cheminement

Article de SARAH SCHOLL paru le Samedi 10 Août 2002

INTERVIEW Comment s'est formé le Coran? Qui l'a mis par écrit? Et comment l'interpréter? Eclairage avec Silvia Naef qui enseigne l'histoire de la civilisation arabo-musulmane à l'Université de Genève.

Au coeur de la foi musulmane se trouve un texte sacré. Constitué de 114 sourates ou chapitres le Coran est considéré traditionnellement comme la parole de Dieu [au sens son des mots prononcés par Allah] révélée à Muhammad par l'intermédiaire de l'archange Gabriel. Il ne s'agit pas d'une histoire continue mais de fragments agencés les uns avec les autres: récits règles de vie textes juridiques ou encore paraboles se côtoient. Mais comment s'est formé le Coran? Est-il vraiment un texte figé et intouchable? Comment peut-il être interprété?

Si le Coran est considéré aujourd'hui par nombre de musulmans comme la parole éternelle et incréée de Dieu [au sens son des mots prononcés par Allah] il n'en a pas toujours été ainsi. Au IXe siècle par exemple un débat important a lieu sur la nature du rapport entre le Coran et Dieu. [le débat a été définivement clos par l'islam : c'est la parole de Dieu, point.] Héritiers de cette remise en question certains auteurs musulmans contemporains se confrontent aussi à cette problématique. Et la nécessité d'amener des changements méthodologiques dans l'approche du Coran se fait parfois ressentir. Une lecture nouvelle des textes fondamentaux pourrait alors permettre une réforme de l'islam.

ÉVOLUTIONS POSSIBLES

Comme le christianisme et le judaïsme l'islam est donc étroitement lié à l'écriture. Comme pour ces religions son évolution dépend du type de rapport entretenu avec le texte. Etude critique ou lecture littérale prise en compte du contexte historique ou application immédiate du texte à la réalité contemporaine les choix méthodologiques influencent directement la pratique. Rapport à la démocratie place de la femme dans la société ou élaboration du droit dépendent donc en partie de la manière dont est compris le Coran. [Il n'y a, hélas, pas trente six manières de comprendre, par exemple, cet extrait du verset 12 de la sourate IV (4) : Dieu vous commande, dans le partage de vos biens entre vos enfants, de donner au fils mâle la portion de deux filles ; ou encore cet extrait du verset 37 de la sourate XLVII (47) : Ne montrez point de lâcheté, et n'appelez point les infidèles à la paix quand vous leur êtes supérieurs] L'histoire montre que ce lien entre croyance et écriture n'est jamais figé. Pratiquants, théologiens, scientifiques ne cessent de le faire changer.

Silvia Naef professeure adjointe à la Faculté des lettres de l'Université de Genève enseigne l'histoire de la civilisation arabo-musulmane. Sa perspective est historique et non pas théologique. Elle donne ici quelques éléments sur la formation du Coran.

On pense souvent que le Coran est l'oeuvre de Muhammad uniquement. Pouvez-vous nous en dire plus sur l'histoire de la rédaction du Coran?

- On ne peut pas dire du Coran qu'il a été mis par écrit par une seule personne. Il ne nous appartient pas ici de dire si ce texte est révélé par Dieu ou pas. Mais nous pouvons préciser qu'il a été donné à Muhammad dans un espace-temps assez large de 610 à 632.

Muhammad vit alors au sein d'une civilisation orale. Où l'on met très peu de choses par écrit. La plupart du temps les disciples du prophète mémorisaient le texte et certains le savaient par coeur. En 632 à la mort de Muhammad il n'y a donc pas de recueil écrit complet. Précisons encore que le Coran n'est pas un récit continu mais une juxtaposition d'exemple on passe souvent d'un thème à l'autre sans transition. La «révélation» est arrivée par morceaux.

Des gens avaient sans doute gardé des parties de textes par écrit mais dans une écriture arabe encore rudimentaire et imparfaite où certaines lettres peuvent par exemple être confondues. En fait à ce moment-là il n'est pas possible de lire et comprendre le texte si on ne le connaît pas au préalable.

Avec l'énorme expansion des territoires contrôlés par les successeurs de Muhammad la nécessité d'un texte complet se fait plus pressante. Sous le 3e calife Uthmân un texte écrit est réalisé. Mais il reste un aide-mémoire, l'écriture arabe étant encore défectueuse. Des divergences de lectures se manifesteront alors. Et c'est au VIIIe siècle que seront ajoutés les points diacritiques (des signes graphiques - des points - destinés à empêcher la confusion entre des mots ayant le même orthographe ndlr) et les voyelles brèves fixant ainsi une lecture canonique.

Nous n'avons donc pas de sources directes de Muhammad les textes sont écrits plus tard lorsque l'islam est déjà une religion «mondiale».

Y a-t-il dans le Coran des couches rédactionnelles comme dans la Bible?

- Il n'y a pas différentes couches rédactionnelles mais différentes lectures. Un certain nombre de termes et d'expressions peuvent s'expliquer de différentes manières. Le texte du Coran a suscité des commentaires dès le début. Des personnes et des groupes se sont spécialisés dans la lecture du texte. Une science est ainsi née.

Des conflits ont aussi éclaté autour du texte. Les chiites ont par exemple accusé le 3e calife d'avoir omis tous les passages désignant Ali comme successeur du prophète. Cette accusation de falsification du texte a été maintenue pendant plusieurs siècles. Les chiites ont finalement accepté les mêmes textes que les sunnites.

Des lectures différentes du Coran étaient donc possibles. Cela ne paraît pas toujours évident.

- C'est effectivement un tabou parce qu'il y l'idée forte d'un texte unique. L'histoire montre que les musulmans ont mis un certain temps avant d'accepter une seule version canonique du Coran. Mais il faut aussi préciser que les différences ne portaient pas sur des choses essentielles.

Cette pluralité de lectures [qui ne portaient pas sur des choses essentielles] est-elle encore possible aujourd'hui? Comment est perçue l'étude critique du Coran?

- Il y a actuellement de nombreux débats. Mais c'est une question difficile au sein de l'islam. Dans les facultés de théologie l'étude critique du texte n'est pas enseignée. Mais une certaine ouverture est visible. A Tunis il y a quelques années une réforme a introduit des cours d'histoire des religions pour les étudiants.

Mais dire qu'il faut considérer le Coran comme un texte historique né dans un certain contexte peut obliger à l'exil. La vision laïque d'un texte sacré passe très mal. Les relectures du Coran restent toutefois possibles. Des nouveaux commentaires sont publiés fréquemment. Les islamistes par exemple relisent le Coran mais ils le font dans un but précis. [dans le but d'appliquer l'islam, le véritable islam, le « bon » islam, le seul islam : celui qui, par définition, applique le Coran selon l'exemple de la vie de Mahomet]