Mohammed et les Juifs de Médine

Source : http://ecole.wanadoo.fr/daruc/divers/juifs_de_medine.htm

Une réflexion sur l'histoire. Ce qui suit vient essentiellement de chroniqueurs musulmans, principalement Tabari (Mohammed, sceau des Prophètes, Sindbad, 1980).

Tabari (peut-être pas le plus crédible des chroniqueurs musulmans, mais certainement celui qui reproduit le mieux ce que la mémoire collective musulmane avait retenu lors de ce qu'il est convenu d'appeler l'âge d'or de la civilisation islamique) nous raconte que quand le futur prophète Mohammed (Mahomet) reçut pour la première fois un message divin, il en fut tellement déstabilisé qu'il voulut se tuer, et que l'Ange l'en empêcha. Il semble qu'il ait cherché à quoi raccrocher cette expérience si singulière, et qu'il l'ait rapidement trouvé chez les anciens prophètes du Judaïsme. C'est-à-dire, pour lui, essentiellement Noé, Abraham, Moïse, Joseph. Jamais Isaïe, Ezéchiel, Jérémie. C'est un premier malentendu.

Il considéra d'abord le Judaïsme, qui se résumait pour lui aux quelques personnes qui lui racontaient ces histoires, avec beaucoup de respect et de bienveillance. Il était encore, semble-t-il, dans ces dispositions d'esprit quand il s'installa à Médine après l'Hégire, en 622/1. S'il n'y avait pas de communauté juive importante à La Mecque, il y en avait plusieurs à Médine. Des Juifs largement arabisés (ou des Arabes judaïsés ? leurs noms sont plutôt arabes) mais néanmoins fidèle au Judaïsme et à ses prescriptions. Ils avaient puissamment contribué à mettre en valeur cette oasis en y développant les cultures et les vergers. Au début tout se passa bien. Ils signèrent avec la communauté musulmane un traité de non-agression, qui fut respecté pendant un peu moins de deux ans, alors que les relations entre les deux côtés ne cessaient de se déteriorer, les Juifs refusant la nouvelle religion (les sources musulmanes s'étendent fort peu sur les raisons de ce refus, mais on peut supposer qu'ils n'acceptaient pas la façon dont le Coran reprenait les histoires de Noé, Abraham, Joseph, etc.). Néanmoins le pacte conclu tint jusqu'à la bataille de Badr, première victoire importante des Musulmans, contre leurs concitoyens mecquois restés polythéistes.

Le Prophète apprit au printemps 624, selon Tabari, que dans une des tribus juives de Médine, les Qaïnoqa, on se moquait des vaincus, qu'on les estimait piètres guerriers pour s'être laissés dominer par la piètre armée musulmane. Le tout accompagné de vantardises aussi stupides qu'imprudentes : les Qaïnoqa, eux, savaient se battre, et s'ils avaient donné quelques conseils aux Mecquois tout aurait changé. Le Prophète, très irrité par ces rodomontades, devait pourtant bien admettre qu'elles ne constituaient pas une agression, qu'elles ne rompaient pas le traité. Ce fut une révélation divine qui lui donna l'autorisation de passer à l'attaque : "Si tu appréhendes quelque trahison de la part d'une peuplade, rends-lui la pareille ; Dieu n'aime point les traîtres" (Coran, VIII, 60, version Kasimirski). Contraints de suite à se réfugier dans leur forteresse, non secourus par les autres Juifs, les Qaïnoqa durent se rendre à merci au bout de quinze jours et payèrent leurs vantardises au prix fort. Tous les hommes furent mis à mort, les femmes et les enfants réduits en esclavage, les biens confisqués. Ce premier massacre est évoqué tellement vite que bien souvent, aujourd'hui, on ne cite plus que le deuxième, très postérieur. D'autres chroniqueurs que Tabari disent que les Qaïnoqa ont été simplement expulsés, comme la majorité des Juifs de Médine. Ils précisent que le Prophète aurait souhaité procéder à un massacre, mais qu'un Médinois influent, allié aux Qaïnoqa, et converti sans conviction à l'Islam, s'y opposa et empêcha la tuerie. On peut penser que Tabari a escamoté cet échec du Prophète.

Dans la foulée, le Prophète s'attaqua à une autre tribu juive, les Khazradj. C'étaient des artisans, forgerons, cordonniers, joaillers. Moins fiers et terrifiés par le sort des Qaïnoqa, ils implorèrent, et obtinrent, le droit de se retirer en Syrie, abandonnant tous leurs biens sur place. Le Prophète fit détruire leur forteresse.

Dans les mois suivants, le Prophète envoya deux commandos tuer deux leaders juifs dont le principal tort allégué par Tabari est d'avoir diffusé des poèmes critiquant la nouvelle religion et encourageant ses adversaires mecquois.

Un an plus tard, après sa défaite à O'hod face aux Mecquois, le Prophète s'en prit à une troisième tribu juive, celle des Nadhir. Le point de départ est décrit comme suit par les sources musulmanes. Le Prophète leur demandait, conformément au traité toujours en vigueur pour ce qui les concernait, de l'argent. Les Nadhir parurent accepter et demandèrent au Prophète et à ceux qui l'avaient accompagné d'attendre un peu dehors, Mohamed ayant refusé d'entrer chez eux. Une révélation informa le Prophète que les Juifs se disposaient en fait à le tuer. Il partit, en entama très vite les hostilités. Pendant ce nouveau siège, le Prophète fit couper un certain nombre de dattiers appartenant aux Nadhir, et se disposait à continuer. Les Juifs, du haut des remparts, s'indignèrent de ce qu'ils considéraient comme un crime, plus encore que l'attaque qu'ils subissaient. Une révélation fit cesser l'abattage : "Vous avez coupé quantité de leurs palmiers, et vous en avez laissé un certain nombre debout. Ce fut avec la permission de Dieu, pour apaiser les impies" (Coran, LIX, 5, version Kasimirski). Les Nadhir finirent par être expulsés à leur tour.

En 627, après l'échec de la grande offensive mecquoise contre La Mecque (bataille du Fossé, à laquelle les Juifs ne prirent pas part), ce fut le tour des Qoraïzha, quatrième tribu juive à subir l'attaque des Musulmans. Tabari nous dit que ce fut l'Ange Gabriel qui en donna directement l'ordre au Prophète. Le siège dura cette fois vingt-cinq jours. Les Qoraïzha se rendirent alors à la seule condition qu'un de leurs anciens chefs passé à l'Islam, Sa'd, déciderait de leur sort. Sa'd décida que tous les hommes seraient tués, les femmes et les enfants réduits en esclavage. Ce qui fut approuvé de suite par le Prophète, et mis à exécution. Les diverses chroniquent parlent de six cents à neuf cents Juifs mis à mort. On épargna quelques hommes sur demande de Musulmans individuels qui les connaissaient personnellement. Un des grâciés, apprenant que tous ses proches avaient péri, demanda à être décapité à son tour, et on le lui accorda. On mit aussi à mort une femme qui avait participé activement aux combats et tué un Musulman.

L'année suivante vint le tour des Juifs de Khaïbar, une oasis à 150 kilomètres au nord de Médine. Tabari ne dit pas quel fut le casus belli. Après de très durs combats, ils se rendirent et furent globalement mieux traités, puisqu'ils obtinrent le droit de rester sur place (ils devaient être expulsés d'Arabie quelques années plus tard, sous le califat d'Omar), moyennant le versement, chaque année, de la moitié de leurs récoltes aux Musulmans. L'un d'entre eux (plus exactement, un des expulsés de Médine), Kinana, tenta de cacher une partie des biens de sa communauté. Il fut torturé sur l'ordre exprès du Prophète pour lui faire dévoiler la cachette. Il garda son secret et fut mis à mort. Le Prophète épousa Saffiya, une Juive de Khaïbar, qui semble avoir ensuite profité de sa position pour obtenir des améliorations au sort de ses frères de race.

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