Le coran et l'islam, Etude historique et géo-politique > Loi & justice
L’islam, la loi et la justice
La loi prétendument sacrée de lislam, la « sharia » occupe une place centrale dans la société musulmane, où quelle soit implantée dans le monde.
Son histoire se confond avec celle de la montée du pouvoir islamique et la conquête arabo-musulmane. On peut même dire que la sharia représente le « noyau » de lislam proprement dit et il est certain que la « loi religieuse » est regardée, par les musulmans, comme étant incomparablement plus importante que les aspects théologiques. On peut donc penser légitimement que cest la volonté dimposer un nouveau « code » qui a inspiré Mahomet et ses successeurs. Les prétendues « révélations » du chamelier de la Mekke ne furent, de toute évidence, quune astuce pour faire passer la pilule plus facilement ai sein des populations analphabètes et crédules. Cest encore le cas de nos jours dans les pays sous-développés ou en crise.
En 1959, Shaykh Mahmüd Shaltut, recteur de luniversité dal-Azhar, avait publié un ouvrage intitule « al-Islam, aqida wa-sharia » ou, en bon Français « Lislam, une foi et une loi » (et en bon Bruxellois ? : « Lislam, une loi, une fois » ! :-). La plus grande partie de ce livre était consacrée à la présentation de la loi religieuse. Lauteur sy attardait longuement sur les « détails techniques » de cette fameuse loi, cependant que lexposé de la foi islamique occupait moins dun tiers du volume. Car pour les « dignitaires » de lislam, ce qui unit les musulmans entre eux, cest bien plus la volonté de préserver un certain mode de vie et un « idéal commun de la société » (à la mode arabe du VIIe siècle) quune simple croyance commune. Aujourdhui encore, leffort des autorités musulmanes ne vise pas à prouver lauthenticité et la véracité du dogme islamique mais bien à justifier, par toute sortes de pirouettes de langage, la validité de la sharia, telle quils la conçoivent. Et nous verrons, dans les chapitres suivants, que lunanimité est bien loin de régner dans le monde musulman, un monde qui se décompose en une infinité de « chapelles » (de sectes et de sous-sectes) qui se battent pour le pouvoir.
Il est donc essentiel de savoir ce que recouvre la notion de « loi islamique », dautant que comme lindiquent fort justement les chercheurs de luniversité de Cambridge dans leur « Encyclopédie générale de lislam » (Cambridge University Press 1970) « la rareté des études historiques et sociologiques de la loi islamique a été plus souvent regrettée quelle na suscité des vocations à remplir ce vide. ». Les mêmes chercheurs insistaient aussi sur le fait que le fait de vouloir faire expliquer cette loi islamique par la société islamique ne peut que mener à un « cercle vicieux ».
Nous empruntons dailleurs lessentiel de ce chapitre à leur excellente analyse mais en y ajoutant nos propres commentaires et léclairage des évènements récents.
La sharia prend ses racines dans la société arabe préislamique, bien avant la naissance de Mahomet. Cette société et ses lois tribales, insistons bien sur ce point, sont conditionnés par des traits à la fois profanes et magiques. Les lois tribales des Arabes étaient magiques dans la mesure où leurs processus de recherche et de démonstration étaient dominés par des méthodes relevant de la divination, de linvocation et du serment. Son aspect profane se concrétisait dans le fait que ces mêmes lois concernaient essentiellement des conflits de paiement et dindemnisation. Rien, en tous cas, ne permet daffirmer quune « loi sacrée », semblable à celle des Hébreux existait au sein des communautés arabes préislamiques.
De ces lois archaïques, la sharia a conservé les traits essentiels des règles qui régissaient le statut personnel, la famille et lhéritage. Elles nous sont parvenues presque inchangées telles quon les appliquaient dans les petites villes de la péninsule arabique et au sein des clans de Bédouins. Toutes ces populations étaient régies par un code fondé sur le système patriarcal, un système qui ne conférait aucune protection à lindividu dès le moment où il avait quitté sa tribu et son clan. Un système qui navait aucune conception de la « criminalité », au sens juridique du terme. Pour les Arabes, les crimes étaient assimilés à des préjudices et le groupe tribal, dans son ensemble, devait assumer la responsabilité des actes commis par ses membres. Cest le type même du système qui engendre les « vendettas » (comme en Sicile, île qui demeure marquée par linfluence arabe).
![]() |
A Palerme, cette ancienne mosquée reconvertie en église catholique (San Cataldo) a conservé son aspect typiquement arabo-musulman. La Sicile est demeurée marquée par linfluence arabe, notamment en ce qui concerne les « vendettas ». Le mot « maffia » est lui-même dorigine arabe. |
Ces « vendettas » ne doivent cependant pas être regardées comme une « institution ». Elles se faisaient en dehors des lois et ne rentraient dans le cadre légal quà partir du moment où elles impliquaient le paiement du « prix du sang ». Cest à ce moment-là seulement que la loi arabe reprenait ses droits. Il nexistait dailleurs, dans la société arabe préislamique, ni autorité politique (dans le sens où nous lentendons aujourdhui), ni pouvoir judiciaire organisé.
Dans les cas où des conflits étaient du ressort des lois tribales (droits de propriété, héritages, indemnisations), il était possible de recourir à un arbitrage lorsquaucun accord amiable navait pu être trouvé. Etant donné que, pour les Arabes, la qualité essentiel dun médiateur (ou arbitre) était de posséder des « pouvoirs surnaturels », larbitrage était généralement du ressort des devins. La décision du médiateur nétait pas considérée comme un « jugement exécutoire » mais comme une simple confirmation du droit coutumier ou de ce quil devait être (daprès le devin). Par la suite, la fonction de médiateur se confondit avec celle des législateur, personne autorisée (en vertu de ses « dons ») à interprété la « coutume légale normative » ou « sunna ».
Transposé dans le cadre islamique, ce concept de « sunna » allait devenir lun des plus importants sinon le plus important ferment de la loi islamique et les « ulema », les « interprêtes autorisés de la loi », devinrent de fait les législateurs de lislam.
Mahomet appartenait à une famille qui était supposée avoir des dons de divination. Son grand-père, el-Mottalib, était à la fois devin et sourcier car, pour les Arabes, celui qui parvenait à trouver une source ne pouvait être quun devin inspiré par les dieux. Quand il entama sa carrière de «réformateur religieux » à la Mekke, il se servit de la renommée de son grand-père et se présenta comme un « émissaire de dieu », version monothéiste des anciens devins. A Médine, il sérigea en législateur en sefforçant dimposer une nouvelle base religieuse et sociale qui devait dépasser le cadre étroit de la société tribale. A la Mekke, ses concitoyens ne le considéraient que comme un simple devin et cela explique quil sempressa dabandonner le principe darbitrage tel quil était pratiqué par les Arabes polythéistes. Cependant, quand on faisait appel à lui pour régler un conflit au sein de sa propre communauté de « muslims », il continuait à se comporter en arbitre. Le coran recommande dailleurs de nommer un médiateur originaire de chacune des familles du mari et de la femme en cas de litige entre conjoints. Cest une survivance typique du droit préislamique.
On ne trouve quun seul verset du coran où le terme arabe traditionnel pour larbitrage est remplace par un terme nouveau purement islamique désignant une décision judiciaire. Il dit : « Mais non, par le Seigneur, ils ne croiront pas vraiment tant quils ne tauront pas nommé arbitre de leurs querelles, et quils ne répugneront pas à admettre ce que Tu as décidé, et sy soumettront en totale soumission » (Sourate IV-68). Une variante en traduction dit : « Jen jure par ton dieu, ils ne seront point croyants jusquà ce quils taient établi le juge de leurs différents. Ensuite, ne trouvant eux-mêmes aucune difficulté à croire ce que tu auras décidé, ils y acquiesceront deux-mêmes ». On constate que lune des traductions produit le mot « arbitre » (terme traditionnel) tandis que la seconde produit le mot « juge ». En fait, lun se superpose à lautre. le juge islamique est la parfaite continuité du « devin-arbitre » de la société préislamique.
Ce verset est aussi très intéressant en ce quil indique clairement le subterfuge employé par Muhammad-le-devin pour acquérir le pouvoir, pour sériger en législateur au nom de la divinité unique quil proposait pour remplacer lancien panthéon arabe. Il se veut le « juge unique », celui qui va imposer « ses » décisions à ses naïfs contemporains. Une telle stratégie eut été impossible à mettre en uvre avec toute une kyrielle de dieux !
Dans la version arabe dudit verset, le premier verbe fait référence au rôle darbitre de Muhammad tandis que le second (décider) - doù vient le terme arabe « Qâdi » - insiste sur le caractère autoritaire de la décision. Cest le premier indice de lémergence dun nouveau concept de la justice. Cest la justice « autoritaire », dictatoriale, que veut imposer Mahomet. Cest la justice des oulémas wahhabites (voir chapitre 6).
De nombreux versets du coran montrent que ce nouveau concept fut long à simposer. Ce nest que par ses conquêtes militaires (donc politiques) que le prétendu prophète parvint à ses fins. La loi islamique nest parvenue à simposer que par la force et par le sang. Mais cest dabord grâce à la fortune de sa femme que Mahomet a réussi son coup de force. Sans largent de Khadidja, il naurait pas pu lever une armée et partir à la conquête de lArabie. Il nest pas inutile dinsister sur ce point.
Devenu « Législateur-Prophète », Mahomet exerça son pouvoir en maître absolu, en dictateur implacable. Le cadre légal étant à peu près inexistant, il exerça ce pouvoir en se référant à dieu et à ses prétendues révélations. Cela marchait avec les « croyants », autrement dit avec les plus crédules et les plus naïfs de ses concitoyens. Pour les « tièdes », son autorité fut finalement considérée comme étant dordre politique.
En tant que « prophète », il avait peu de raisons de modifier radicalement les lois coutumières existantes. Son but nétait dailleurs pas dinstaurer un nouvel ordre légal mais, en apparence du moins, denseigner aux hommes les moyens de réaliser leur salut. Cest ainsi que la loi islamique est un amalgame de devoirs, dobligations rituelles, légales et morales qui sont tous censés être sanctionnés par un même « commandement de dieu ».
Sur le plan pénal, le coran impose des sanctions qui sont essentiellement morales. Il ne dit rien des sanctions pénales telles que les Occidentaux les conçoivent. Tout au plus instaure-t-il des dispositions visant à renforcer les liens du mariage, à limiter les effets des vengeances personnelles et de la loi du talion ou encore à éradiquer les vendettas. Il tente aussi de mettre un frein au relâchement de la morale sexuelle, ce qui est assez comique quand on connaît la personne de Mahomet et quand on étudie un tant soit peu sérieusement la vie de ses successeurs (les califes). Le coran, cest « faites ce que je dis, pas ce que je fais » !
Le but de Mahomet était de dissoudre les communautés bédouines, difficiles à contrôler politiquement, pour leur superposer une « communauté unique des croyants », calquée sur un modèle plus urbain. Il en résulta de nombreux problèmes qui furent traités, non par dieu, mais par Muhammad et au coup par coup. Lencouragement de la polygamie par Mahomet est une parfaite illustration de ce fait.
Cet encouragement était basé sur la volonté daccroître rapidement la communauté des croyants et surtout de fournir de la piétaille pour les guerres de conquête. Mais il entraîna de sérieuses modifications dans les usages relatifs à lhéritage, même si le coran en conserva les traits essentiels.
On ne peut pas dire que la sharia, telle que nous la connaissons aujourdhui, existait à lépoque où Mahomet exerçait le pouvoir. En fait, elle se constitua très progressivement au cours du premier siècle de lhégire. Et cest au cours de cette même période que la société islamique naissante créa ses propres institutions juridiques. Lancien système darbitrage fut maintenu sous les premiers califes (califes de Médine), tout comme les lois coutumières préislamiques. Dans leurs fonctions de souverains et de législateurs suprêmes, les premiers califes jouèrent essentiellement le rôle de législateurs de la communauté musulmane. Pendant le premier siècle de lhégire, les fonctions législatives et administratives du gouvernement islamique se confondent étroitement. Toutefois, lobjet de cette législation nétait pas de modifier la loi coutumière au-delà de ce qui était dit dans le coran. Elle devait dabord organiser les territoires nouvellement conquis par les armées musulmanes et assurer la viabilité dun Etat islamique qui sagrandissait de jour en jour.
Les premiers califes, ces « compagnons de routes du prophète », calquèrent leur comportement sur celui de Mahomet. Ils réprimèrent très sévèrement, souvent dans le sang, les manifestations de déloyauté. Ils allèrent jusquà faire fouetter les auteurs de poèmes satyriques contre des tribus rivales forme en principe autorisée dexpression littéraire sous prétexte que ces écrits menaçaient la sécurité intérieure de lEtat.
Bien que nétant pas prises en vertu du coran, de nombreuses décisions émanant des califes obtinrent une reconnaissance officielle et furent intégrées dans le droit islamique. Le recours à la lapidation comme châtiment de la luxure est lune de ces décisions. La plupart des théoriciens arabes de la loi islamique prétendent quil sagit là dun « commandement du prophète ». Ils se réfèrent à un verset du coran qui parle, en effet, de la lapidation mais dont on sait quil ne faisait pas partie du texte « officiel » (version dOthman) et quil doit être regardé comme apocryphe. Les « traditions » (sunna) qui font état des « actions » et des « dires » de Mahomet dont nous savons quelles sont plus que douteuses devinrent des « références en droit » dès la fin du premier siècle de lhégire. Le verset apocryphe dont il vient dêtre fait mention représente lune des premières tentatives visant à faire établir à posteriori la validité « divine » (donc légale) dune ordonnance dun calife.
Les schismes qui affectèrent la communauté musulmane peu après sa fondation (voir chapitre 3) affectèrent peu le concept global de la loi islamique. Chez les chiites, la loi de la Shia est toutefois dominée par le concept de « taqiyya » (dissimulation pratique qui découla des persécutions quils eurent à subir de la part des sunnites) et par la distinction entre les doctrines exotériques et ésotériques de leur différentes « écoles de pensée »(sic). Chez les Kharijites, on trouve les notions spécifiques de « walaya » (solidarité) et de « barâa » (exclusion ou excommunication).
Très vite, la notion préislamique de « sunna » se réaffirma dans la communauté musulmane. Ce qui était coutumier était décrété « juste et vrai ». Ce que les ancêtres avaient fait méritait dêtre imité. Cest dans cette idée de « précédent », de « sunna » que le monde arabe sest si lon peut dire développé (on devrait dire « sous-développé »). On y trouve le ferment du conservatisme et du « passéisme » outrancier, maladif, qui affecte le monde arabo-musulman. Un monde qui refuse dévoluer et senferme dans sa coquille dès quil se croit menacé par le « progrès ». Sur le plan mental, les musulmans sont de véritables fossiles vivants.
On comprendra, dès lors, que le fait de vouloir aider les nations musulmanes à se « développer » (au sens où les Occidentaux lentendent) relève de lutopie. Les « aides au développement » que nous leur accordons beaucoup trop généreusement sont, ou bien détournées par les dirigeants politiques et les fonctionnaires, ou bien utilisées pour poursuivre une politique passéiste dans le domaine de lenseignement et des actions sociales. Dans certains cas, elles servent carrément à financer lenseignement dit « coranique » et même des groupements subversifs qui prêchent le djihad (cest notamment le cas en Palestine où les subventions de lUnion européennes sont honteusement détournées au profit de lenseignement coranique et des actions terroristes).
Revenons à nos moutons.
La « sunna », considérée dans le contexte islamique, avait initialement une connotation bien plus politique que juridique. La question qui se posait aux premiers musulmans consistait à savoir si les ordonnances des deux premiers califes (Abou Bakr et Omar) devaient être assimilées à des précédents contraignants (sunna). Elle fut soulevée lors de laccession au pouvoir du troisième calife, en lan 644 de notre ère. Il sagissait du très contesté Othman (ou Usmân), un personnage tout aussi équivoque que Mahomet lui-même. Nous savons quil appartenait à un clan qui était en rivalité ouverte avec celui de Mahomet. Musulman « opportuniste », Othman navait semble-t-il adhéré à la nouvelle religion que pour pouvoir en retirer des avantages pour son clan et lui-même. Il sempressa donc déliminer les représentants de lislam primitif qui pouvaient avoir quelque influence.
Cest la même politique qui conduisit Othman a faire rédiger un coran à la mesure de ses ambitions, un coran « édulcoré » et « arrangé » selon sa volonté. Et pour être certain quil ne subsisterait plus rien du coran primitif, il fit disparaître tous les exemplaires existants des autres versions (on prétend quil existait à lépoque une soixantaine de versions différentes des « révélations » mahométanes). Cette politique, jugée scandaleuse par les musulmans « purs et durs », conduisit à son assassinat, en lan 655. Cest avec « son » coran à la main quil fut poignardé par ses coreligionnaires qui laccusaient - sans doute avec raison - de sêtre beaucoup trop écarté du coran véritable et de la politique de ses deux prédécesseurs. Cependant, au cours des onze années de son califat, Othman avait réussi à faire disparaître une part importante et sans doute essentielle des déclarations véritables de Mahomet. Et pourtant, aujourdhui encore, le coran dOthman demeure la référence officielle des musulmans. Cest un peu comme si les chrétiens se référaient à un Nouveau Testament qui aurait été revu et corrigé par Judas !
Cest dans ce contexte quelque peu surréaliste que naquit la notion de « sunna du prophète », non encore identifiée à un ensemble de règles mais servant de lien entre la « sunna dAbou Bakr et dOmar », la « sunna dOthman » et ce qui pouvait subsister du message coranique.
Il en résulte quà partir de cette époque lointaine, le droit islamique ou coranique sest instauré sur la base dun principe général (sunna) qui navait rien de spécifiquement islamique et sur un texte (le coran dOthman) plus que suspect. Ce nest pas là le moindre paradoxe de lislam !
Les trente années que durèrent les règnes des califes dits « de Médine » seront présentées, plus tard, comme l « Age dor » de lislam. Cest en tous cas le cliché qui prévaut, aujourdhui encore, chez les musulmans qui ont subi le lavage de cerveau de lenseignement coranique. Or, ce que nous savons de lhistoire authentique (et vérifiable) de lislam primitif démontre que ce fut loin dêtre le cas. Cest ainsi que les chercheurs de luniversité de Cambridge qualifient, à juste titre, cette période d « entracte trouble entre les premières années de lislam et le royaume arabe des Omeyyades ».
En effet, au cours de cette période, les commandements du coran ne furent même pas appliqués sans restriction. Létude du développement des doctrines juridiques issues de lislam montre que lon ne prêta quun intérêt très superficiel à ces commandements. Les conclusions, autres quélémentaires, que les Arabes tirèrent du message mahométan survinrent à des époques bien plus tardives. On constate même que, dans plusieurs cas précis, la doctrine de la sharia primitive est en totale contradiction avec les termes explicites du coran (du moins celui dOthman). Le verset 8 de la sourate V dit : « O croyants ! quand vous vous disposez à faire la prière, lavez-vous les mains jusquau coude ; essuyez-vous ensuite la tête et les pieds jusquaux chevilles » mais la loi nimposait que le seul lavage des pieds. Ailleurs, le verset 282 de la sourate II avalisait la pratique qui consistait à consigner par écrit les contrats dont lexécution nétait pas immédiate. Cette habitude, usuelle chez les commerçants des villes arabes, fut consignée dans le coran mais la loi islamique vida ce commandement de sa puissance contraignante en niant la validité des documents écrits et en accordant la primauté aux déclarations des témoins, lesquels ne sont pourtant que des personnages secondaires, accessoires, si lon interprète bien le verset dont il est ici question.
Dune certaine manière, Mahomet était un « homme de la ville », un chamelier devenu commerçant qui avait rompu avec les traditions des nomades. Après sa mort, certaines de ces traditions reprirent les dessus et supplantèrent les commandements mahométans. La plupart des conflits qui surgirent au cours du premier siècle de lhégire ne sont dailleurs que le reflet des rivalités qui existaient entre les Bédouins et la bourgeoisie citadine, celle-la même que Mahomet avait pu fréquenter après son riche mariage. Le problème se pose toujours actuellement. Il existe un véritable gouffre entre la manière dont lestablishment arabe conçoit le droit coranique et la conception que peuvent en avoir les pauvres et les « sans grade ». Sur ce plan-là non plus, lislam na pas progressé depuis le VIIe siècle de notre ère.
On peut penser que ces dérives eurent pour origine lexacerbation des attitudes tribales dans lagitation consécutive aux victoires remportées par les musulmans lors des guerres de conquête. Le coran, dans une situation exceptionnelle (celle des guerres menées par Mahomet en personne) avait autorisé la polygamie (nous avons déjà dit pourquoi) mais ce qui était considéré primitivement comme une sorte de dérogation à lusage devint rapidement lun des traits essentiels du code islamique régissant le mariage. Lexception devint la règle.
Il en résulta une détérioration définitive de la position des femmes mariées dans la société arabo-musulmane. Cest ce qui apparaît très nettement si lon prend la peine de la comparer avec ce quelle était dans la société préislamique. Cette détérioration fut encore accentuée par le fait que de nombreuses pratiques sexuelles, parfaitement respectables, avaient été proscrites par lislam.
Mahomet avait insisté sur la notion de « fraternité » entre musulmans mais ne sétait guère attardé sur la notion dégalité. Quand à la notion de « liberté », elle était inexistante dans lesprit du fondateur de lislam. Il avait, par contre, tenté de combattre lorgueil des Arabes et leur esprit de caste (pour mieux les contrôler). On sait cependant que la discrimination sociale et lorgueil nont jamais disparu en terre dislam. Dès le départ, les convertis non arabes - quel que fut leur statut social antérieur furent considérés comme des citoyens de seconde catégorie. On les désignait du nom de « mawâli ». Toutes les écoles de droit eurent aussi lobligation de reconnaître lexistence de « degrés » dans léchelle sociale. Ces degrés ninterdisaient pas le mariage entre deux personnes de rangs différents mais ils permettaient, le cas échéant, den exiger la dissolution par devant le qâdi.
Le coran avait accepté le concubinage tel quil existait dans la société arabe préislamique mais, dans le principal verset qui aborde cette question (sourate IV, verset 3), le concubinage apparaît seulement comme une alternative moins coûteuse à la polygamie. On est loin de la pratique du concubinage illimité qui fut pratiqué, en plus de la polygamie, aussitôt que Mahomet eut disparu. Il est vrai quil navait pas été un parfait exemple en cette matière ! Le concubinage illimité devint une règle reconnue par toutes les écoles coraniques.
Les éléments du droit islamique applicables à la répudiation des épouses constituent également des interprétations abusives des commandements coraniques et lon peut en dire tout autant de lobligation, pour les femmes, de porter un voile.
De toute façon, nous savons que la « loi islamique » - au sens strict du terme nest apparue quau cours du second siècle de lhégire, plus de cent ans après la mort de Mahomet. Les premiers musulmans sintéressaient très peu aux aspects « techniques » de la loi et de la justice. Ceci explique la survivance, dans le droit musulman, de pratiques juridiques héritées des peuples soumis au joug arabe.
On peut ainsi mentionner la manière de traiter les religions « tolérées » (judaïsme et christianisme) qui fut calquée sur les règles juridiques de lempire byzantin. Il en va de même pour les modes dimposition ou linstitution de lemphyteusis. Le principe de conservation des pratiques juridiques préislamiques fut même parfois officiellement reconnu, notamment par lhistorien al-Balâdhuri (mort en lan 892 de notre ère). Cependant, en règle générale, des précédents islamiques fictifs furent inventés de toutes pièces en guise de justification.
|
Pour comprendre cette acceptation de concepts et de méthodes juridiques étrangères à la doctrine coranique lesquels sétendent jusquaux modes de raisonnement et aux idées fondamentales du droit islamique il faut considérer le rôle joué par les convertis cultivés. Car au cours des deux premiers siècles de lhégire, ces convertis appartenaient essentiellement aux classes sociales supérieures. Ils étaient les seuls auxquels lentrée dans la société islamique même en tant que citoyens de seconde catégorie permettait dacquérir des avantages considérables. Ils étaient aussi et surtout ceux qui avaient bénéficié de l éducation libérale, imprégnée de rhétorique hellénistique, qui était de règle au Proche-Orient avant la conquête arabo-musulmane. Ces convertis instruits entrèrent en islam avec les idées et les conceptions qui leurs étaient familières et ils les intégrèrent peu à peu dans la nouvelle religion. Cest ainsi que des éléments du droit romain et byzantin, des éléments du droit canon des Eglises orientales, des éléments du droit talmudique et rabbinique, ainsi que des éléments du droit sassanide sinfiltrèrent dans le code islamique naissant. Cette « infiltration » eut lieu pendant la période dincubation du premier siècle de lhégire et se concrétisa dans les doctrines islamiques qui furent élaborées entre les IIe et VIIIe siècles de lhégire.
![]() |
![]() |