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"Le principe de Lucifer" a été publié par Howard Bloom en 2001 aux éditions le jardin des livres, 243bis boulevard Pereire, 75017 Paris, pour la traduction Française.
Titre original : The Lucifer Principle, © 1997 Howard Bloom.
Extrait :
LE MONDE INVISIBLE EN TANT QU'ARME
Les êtres humains se rassemblent autour d'idées parce qu'elles résolvent leurs problèmes, parce qu'elles offrent les bienfaits biologiques de l'illusion de contrôle et parce qu'elles les réunissent dans le vaste réseau d'un esprit superorganique, en tissant des individus épars en une entité coopérative à la puissance et aux dimensions imposantes.
Mais les toiles d'idées vont plus loin : en tant que réplicateurs affamés désirant re façonner le monde, elles transforment souvent leur arme suprême, le superorganisme, en machine à tuer. Et, contrairement aux doctrines de certains critiques modernes, elles ne s'engagent pas dans cet « impérialisme hégémonique » uniquement dans l'Occident malveillant.
Deux cents ans après la chute de Rome, un marchand du nom de Mahomet vivait dans une ville du désert, La Mecque, communauté morne et isolée sur la route des caravanes où passaient des chameaux chargés de marchandises à destination de villes éloignées et élégantes telles que Damas. A l'âge de douze ans, alors qu'il était apprenti chez son oncle, un commerçant, Mahomet avait fait son premier voyage en Syrie cosmopolite pour apprendre le métier de l'import-export. Lorsqu'il eut vingt-cinq ans, Mahomet épousa une femme aisée de quarante ans et devint un citoyen respectable et riche, un homme dont on écoutait les opinions. Mais tout changea lorsque Mahomet traversa sa crise de la quarantaine à l'âge de trente-neuf ans. Il se mit à avoir des visions. Un jour, alors qu'il était assis dans une grotte de la montagne, dit-il, priant dans la solitude, l'ange Gabriel apparut dans une lumière aveuglante, le serra très fort dans ses bras et l'obligea à lire un message de Dieu. Désormais, affirma Mahomet, il serait le porte-parole de Dieu sur la terre.
Certains savants modernes pensent que les visions de Mahomet auraient pu être dues à des crises d'épilepsie. Les citoyens de La Mecque auraient pu croire ce diagnostic. Lorsque Mahomet se planta aux coins des rues et déclama les nouvelles vérités que l'ange Gabriel lui avait communiquées, ses concitoyens furent certains que cet homme auparavant honnête de la classe moyenne était devenu fou. Ils se moquèrent de Mahomet ou l'ignorèrent. L'un d'eux plaça un fœtus de chameau sur sa nuque alors qu'il priait. Un autre tenta de l'étrangler. Seuls quelques-uns le crurent. Parmi les croyants se trouvaient une poignée de parents proches, un bon ami et un nombre déconcertant d'esclaves.
Les citoyens de La Mecque n'étaient pas vraiment heureux des ravages que causaient les nouvelles notions prônées par Mahomet dans leurs foyers. Les esclaves qui reniaient les vraies religions abandonnaient leurs corvées de ménage pour aller prier et se laver à des heures indues ; mais Mahomet ne gardaient pas ses visions pour lui. Lorsqu'un complot fut monté pour l'assassiner, Mahomet s'enfuit. Il trouva refuge dans une communauté où ses points de vue pourraient être un peu mieux accueillis, à plus de trois cent vingt kilomètres de là, à Médine, une autre ville isolée du désert le long de la route des caravanes. A Médine, Mahomet trouva un public mieux disposé. En quelques années, il réussit à rassembler des partisans assez nombreux pour dominer la politique de sa ville d'adoption.
Le prophète débutant n'était pas un homme de paix. Il renforça son emprise sur Médine en commanditant l'assassinat de ses opposants. Puis il organisa une série d'attaques des caravanes en provenance de La Mecque et des escortes armées envoyées pour les protéger. Lorsque les habitants de La Mecque, effrayés par le nouveau pouvoir de Mahomet, attaquèrent les faubourgs de Médine, le « Bienheureux » mena ses croyants contre les intrus et gagna. Le succès militaire du saint homme impressionna beaucoup certaines tribus qui parcouraient les montagnes à l'extérieur de la ville. Ils s'engagèrent dans la nouvelle religion éprouvée sur le champ de bataille. Quelques années plus tard, le prophète fit entrer ses troupes dans la ville juive de Khaibar et la conquit. Il tua les neuf cents hommes de Khaibar et emmena les femmes et les enfants comme esclaves.
Mahomet était enfin prêt à se venger des humiliations que lui avaient fait subir ses anciens voisins de La Mecque. En 630 ap. J.C., huit ans après s'être enfui, le prophète mena une armée de dix mille fidèles jusqu'à sa ville natale. Les habitants de La Mecque n'avaient pas spécialement envie d'être traités comme l'avaient été les Juifs l'année précédente.
Ils se rendirent après avoir à peine lutté. Grâce aux escadrons islamiques lourdement armés qui paradaient dans les rues, Mahomet put convertir les habitants de La Mecque aux croyances qu'ils avaient auparavant considérées comme les divagations d'un fou.
L'épée de l'Islam ne fut pas rengainée après la conquête du lieu de naissance de Mahomet. Les riches commerçants de la ville et les bédouins illettrés rejoignirent l'armée qui avait été créée à Médine et partirent à la conquête du monde au nom de leur nouvelle croyance. Ils connurent un succès étonnant. Les légions de l'Islam envahirent sans délai les anciens empires de la Perse, de la Mésopotamie et de l'Egypte. Au cours du siècle suivant, les hordes mahométanes se déployèrent en Afrique du Nord, prenant l'Algérie, le Maroc et la Libye. Elles envahirent l'Inde, attaquant les villes qui avaient pourtant défié l'invincible Alexandre le Grand. Elles prirent presque toute l'Espagne et conquirent presque la France. Elle affrontèrent même les forces puissantes de l'armée chinoise à Talas en Asie centrale.
Quelques générations après la mort de Mahomet, ces disciples d'un orateur de coin de rue, ces hommes originaires de trous perdus et de tribus primitives du désert avaient bâti un empire aux dimensions gigantesques ; mais leurs victoires ne s'arrêteraient pas là. Au cours des siècles suivants, les Musulmans feraient à plusieurs reprise trembler les Européens, finissant même par attaquer Vienne. Ils s'empareraient de territoires africains jusqu'au Soudan et au Niger. Ils convertiraient l'Afghanistan, vaincraient les Mongols et étendraient leur empire jusqu'à des îles du Pacifique telles que l'Indonésie et les Philippines. Les idées d'un homme qui disait avoir rencontré un ange dans une grotte déclencheraient des luttes dont les effusions de sang détremperaient la terre pendant les mille quatre cents ans suivants.