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Description de la Mecque

par Mr le comte de Boulainvilliers, 1730

La situation de la Ville de La Mecque se trouve dans un terrain mêlé de cailloutage & de petits rochers dispersés dans la campagne. La Ville est elle même fort inégale, le côté du Nord étant beaucoup plus élevé que celui du Midi. Sa longueur est d'environ deux mille grands pas, & sa largeur de mille. Les montagnes qui renferment cette étendue font, à l'Orient, celle qu'on nomme Abukabis, qui parait une branche de celle d'Arafat dont nous parlerons incontinent : Celle de Kaicoam est à l'Occident, & le chemin qui la traverse conduit a Giodda, ville située sur la Mer Rouge, & qui est proprement le port & le magasin de celle de La Mecque pour les bleds, les toiles, & autres marchandises qu'elle est obligée de tirer de l'Egypte.

Leur distance est de trois bonnes journées pour les caravanes ordinaires, ce qui fait ordinairement 30 lieues communes.

La montagne de Thaur, qui est au Midi de La Mecque, en est extrêmement; proche & la domine, de façon que l'on en découvre tout ce qui se passe dans le lieu saint. C'est en cette montagne que se voit la célèbre caverne où Mahomed se retira avec le seul Abubeker son beau-père, lorsqu'il fut contraint d'abandonner la ville par une fuite dont la date sert d'époque aux Musulmans sous le nom d'Egire. Enfin, au Nord, mais à trois lieues de la Ville se trouve la Montagne de Kara, près de laquelle est élevé le Château qui sert de demeure aux Chérifs ou Princes du Pays. Il s'y trouve aussi une autre caverne où le Prophète se retirait souvent dans sa jeunesse, pour se séparer du Monde, & s'occuper des idées qu'il avait déjà conçues sur la Religion, quoiqu'il ne fût pas encore alors appellé par une vocation spéciale. Toutes ces montagnes font des rochers nus, sur Iesquels il ne croit que des broussailles, & qui renvoient une chaleur brûlante sur la ville qu'elles environnent.

Mais ce qui en rend encore le séjour plus incommode est la disette d'eau. Car quoique plusieurs Califes aient entrepris d'y en faire conduire d'une distance éloignée, les travaux n'en ont jamais été achevés. Ainsi l'on est réduit dans cette Ville à se contenter d'une mauvaise eau de puits qui est salée, ou du moins altérée par la qualité du terrain. On est néanmoins dédommagé de cette privation, par l'abondance des autres choses nécéssaires à la vie, & même à la volupté, qui n'y manquent jamais, en exécution d'une promesse que Dieu fit autrefois à Abraham, de laquelle l'accomplissement est compté entre les preuves que donnent les Musulmans de l'élection spéciale de cette Ville & de son Temple. En effet, on ne saurait assez s'étonner de ce que la prodigieufe quantité de Pèlerins qui s'y rendent tous les ans de toutes les Contrées où la Religion de Mahomed est professée, & qui font au-moins la moitié de nôtre Continent, non seulement n'affament point une Ville située au milieu d'un attreux désèrt, mais encore y font une occasion perpétuelle d'abondance. L'Egypte & les Indes y fournissent à l'envi du bled, du riz, des toiles, & des volailles : l'Afrique y porte de l'or. & l'Yemen, ou plutôt la grande montagne dite Caffouan, (Alareth ou Alafchal selon certaines distinctions usuelles dans le Pays,) lui envoie, quoiqu'elle en soit distante au-moins de 8 journées, du café, des dattes fraîches & sèches, des raisins, des bestiaux, de l'huile, de la neige, & la plupart des autres commodités.

Quant à la ville de La Mecque, elle est divisée en deux parties, dont celle qui est au Nord & qui se trouve la plus élevée est nommée Bekka dans l'Alcoran, à cause de la multitude de ses Habitants : & la seconde, qui est la plus enfoncée, est dite Haram, par rapport à la sanctification du Temple qu'elle renferme, & du droit d'asile qui lui a de tout temps appartenu : lequel n'ayant jamais été violé que par des impies, dont la punition est encore mémorable, entre aussi dans le nombre des preuves surnaturelles de l'élection du lieu où le Temple est bâti.

Nous devons à la recherche & aux soins d'un Ecclésiastique Suédois, qui a voyagé longtemps en Egypte, la description particulière de ce Temple fameux donc aucun Chrétien n'avait jamais approché ; laquelle a été depuis quelques années rendue publique par le célèbre RELAND, & traduite depuis en Français, avec un plan représentatif; par lequel on prétend que dans la partie Méridionale de la ville & presque au pied de la montagne, il y a une étendue considérable, renfermée par des portiques, lesquels ne paraissent au dehors que comme de simples murailles sans aucun ornement, & dans une élévation de 15 à 20 pieds seulement. Cette muraille est de marbre blanc, les pierres, qui en sont taillées en carré, sont toutes égales & portent 2 coudées sur chaque face. Il y en a deux pour former l'épaisseur de la muraille, qui par ce moyen se trouve avoir quatre coudées de large. Le marbre est poli en dedans des portiques, & parait brut au dehors, tant dans la structure entière de la muraille que dans l'entablement, qui n'est autre chose qu'un quart de rond d'environ une coudée & demie d'épaisseur, sur lequel sont assises les coupoles dorées qui surmontent cette muraille, & qui couvrent toute l'étendue des portiques au dedans. L'espace renfermé par cette muraille est un carré parfait, qui porte 80 toises ou environ sur chaque face, & dont l'intérieur n'est pourtant précisément que de 75 toises. Mais à chaque angle du carré extérieur, il se trouve un bâtiment élevé en forme de minaret, avec trois balcons en étages differents, où on est conduit par un escalier qui est pratiqué en dedans. L'usage de ces minarets est pour appeller le Peuple a la prière aux heures du jour & de la nuit destinées à cela.

Chacun de ces minarets est surmonté d'une aiguille d'environ 200 pieds de hauteur, laquelle est dorée à la pointe, & surmonté d'un croissant, qui fait a peu près l'effet de nos girouettes. Leurs balcons sont toujours ornés, pendant la nuit, de plusieurs lampions que l'on y tient allumés par une espèce de bienséance & de considération pour les pélerins qui peuvent arriver pendant la nuit. Entre chacun de ces minarets, & au milieu de chaque façade de la muraille extérieure, se trouve un bassin carré de 12 toises de face, revêtu de marbre, & profond de quelques pieds ; dans lequel il y a de l'eau pour servir aux purifications légales, nécessaires avant les différentes prières des Musulmans. L'eau, y est conduite de fort loin par un aqueduc, qui est l'ouvrage du Calife Moktader XVIII, Empereur de la Race des Abassides; & ne provient néanmoins que d'un réservoir pratiqué dans la montagne de Gaffouan, qui est entretenu par la fonte des neiges; de sorte qu'elle n'est d'aucun usage pour la boisson. Mais comme elle est réputée eau courante on s'en sert pour les fréquentes ablutions auxquelles tout Musulman est obligé. Chaque face de la muraille a trois portes, construites en arc surbaissé, lesquelles donnent entrée dans le dedans du portique. Il y en a une précisément au milieu, & les deux autres aux extrémités, & près de chaque minaret. Leurs battants sont de cuivre d'une pesanteur immense, sans autre ornement que des feuillages de diverses formes, qui ont servi à déterminer les noms de ces différentes portes. On les ouvre & on les ferme à certaines heures, mais en tout temps on observe toujours d'en laisser quatre ouvertes vers chaque partie du Monde, afin que l'on ne puisse pas dire qu'il y ait aucun temps où les pécheurs, de quelque Pays qu'ils soient, ne puissent par venir à l'asile universel, ou, comme ils le nomment, au fein de la Miséricorde. Quand on est entré sous les portiques on apperçoit d'abord un espace creux de 1200 toises de superficie, dans lequel on descend par 16 grandes marches de marbre, qui régnent dans toute la longueur des mêmes portiques, & environ le même espace. Ces marches sont peu élevées, & la descente en a été rendue très aisée pour éviter les accidents que l'inattention, ou l'enthousiasme des personnes transportées de dévotion pourrait causer.

Au milieu de cet espace on découvre un bâtiment d'une structure toute particulière. C'est un édifice carré, un peu plus haut qu'il n'est long & large, où l'on ne voit qu'une étoffe noire dont les murailles sont entièrement couvertes, à l'exception de la plate-forme, qui est d'or coulé en table, laquelle reçoit les eaux du Ciel qui n'en verse que très rarement en ce Pays là. C'est-là ce bâtiment célèbre, préféré à tous les édifices que les Maures du Monde ont élevé avec tant de travaux & de dépenses, l'humble maison d'Abraham, l'ami de dieu, construite dans le temps de ses persécutions: lorsqu'étant Pèlerin & errant sur la terre, dieu lui revêla qu'il avait choisi ce lieu de toute éternité, pour y placer sa bénédiction, & y recevoir les voeux & les prières de ceux qui, rendant hommage à sa puissance & à la vérité de son Etre, lui demanderaient les choses nécessaires pour le bonheur éternel. C'est le même bâtiment qu'Ismaël a reçu de son père, comme son héritage & la portion due à son ainesse ; dans lequel il a habité jusqu'à sa mort, & près duquel il a voulu reposer jusqu'à la Resurrection; comme le témoigne son sépulcre, qu'on y voit encore, sans aucun changement depuis tant de siècles. Enfin c'est-là cette Sainte maison, connue sous le nom de kaaba ou de Maison carrée vers laquelle les Arabes adressent non seulement leurs voeux les plus ardents, mais vers laquelle toutes les Nations du Monde, qui reconnaissent la vérité & l'unité d'un dieu, tournent leur visage au temps de la prière, & dirigent leur intention en conséquence de ce choix éternel qu'en a fait le Divinité. Mais au reste cette Kaaba. n'est construite que de pierres du Pays, assemblées & liées par un simple mortier de terre rouge, qui s'est endurci par le temps. Elle est posée assez exactement par rapport aux points cardinaux du Globe. Sa hauteur est de 24. coudées, non compris l'appui qui règne autour de la terrasse : sa longueur, Nord & Sud, est pareillement de 24. coudées, mais sa largeur de l'Orient au Couchant n'est que de 23. & l'on compte la coudée sur le pied de quatre pour la hauteur d'un homme ordinaire. La terrasse de pierres plates, qui sert de couverture à cette maison, a été revétue d'or; on y a joint une gouttière de même métal qui rejette l'eau vers le Septentrion précisement sur la pierre qui couvre le tombeau d'Ismael. L'appui qui règne autour de cette terrasse, à la hauteur de trois coudées, est pareillement d'or massif, ce qui chargerait prodigieusement une autre muraille moins solide que celle-ci.

Le côté oriental de cet édifice est une ouverture en forme de porte ; & c'est le seul jour qu'il puisse recevoir du dehors. Cette ouverture est placée loin du milieu,& précisément à trois coudées de l'angle exposé au Sud-Est. Elle n'est point non plus au rez-de-chaussée du terrain, mais à la hauteur de 4. ou 5. coudées : ce qui parait faire penser que le plancher inférieur renferme un espace vide, s'il n'était plus naturel de croire qu'il est soutenu par un massif, qui, selon l'idée de l'ancienne structure des bâtiments, élevant le plancher fort haut au-dessus du niveau de la terre, le rend beaucoup plus sain pour l'habitation. Cette porte est fermée par deux battants d'or massif, attachés à la muraille par des gonds & des pentures du même metal : mais le seuil n'est fait que d'une seule pierre naturelle, sur laquelle tous les Pèlerins viennent humilier leurs fronts, & la baisent avec le plus grand respect. Les Monarques de l'Orient ne s'exemptaient point de cette vénération, & remplissaient avec zèle tous les autres devoirs des Pèlerins ordinaires, avant qu'ils eussent pris la coutume de s'acquitter de ce pèlerinage par commission. Haron le Justicier, qui vivait au temps de Charlemagne, est le dernier des Califes qui l'ait fait en personne : II l'avait fait huit fois pendant sa vie. Plusieurs autres grands Princes s'en sont néanmoins acquittés depuis ce temps-là, & entr'eux on cite principalement Bajafeth, II, Empereur des Turcs, qui apprit dans le cours de son voyage la mort de son père Mahomet II, en 1483. La porte de la Kaaba s'ouvre rarement, parce qu'il n'y a rien dans l'étendue de la chambre qui puisse augmenter la dévotion des Pèlerins. On n'y voit que l'or dont les deux planchers d'en haut & d'en bas, aussi bien que les murailles, sont entièrement couverts. Les Arabes avaient autrefois placé des idoles dans ce lieu saint : mais depuis que Mahomed les en a proscrites, quelque profanation que la guerre & les discordes civiles aient attiré dans le Temple de La Mecque, on n'a point fait un pareil outrage à la sainteté de ce lieu.

A l'égard du dehors de l'édifice, il est caché aux yeux du Peuple par le moyen d^une tenture de soie noire qui là couvre en entier. On la renouvelle tous les ans à la fête de Bairain qui est la Pâque des Musulmans, & les plus puissants Princes de cette Religion se chargent tour-à-tour de cette dépense. Au surplus la tenture dont je parle laisse voir la balustrade qui s'élève autour de la, plateforme superieure, vraisemblablement pour frapper davantage les yeux des spectateurs. On pose encore au dessous de cette balustrade, à la descente de 6. pieds ou environ, une bande composée d'un tissu d'or, qui environne tout le bâtiment, & en relève la majesté par son extraordinaire richesse. Il ne faut pas oublier de dire ici que c'est de ce voile de couleur noire que Mahomed prit l'idée, après qu'il eut forcé la ville de La Mecque, de changer la couleur de ses étendarts, qui étaient blancs auparavant. C'est aussi par une imitation de ce même voile de la sainte maison, que les Califes, successeurs de Mahomed, prirent l'usage de faire couvrir la principale entrée de leur palais d'une pareille étofe : Elle était tendue du faîte de la maison jusqu'à terre, & couvrait le seuil de la porte ; sur lequel tous les fidèles, sans en excepter les Rois, croient obligé de s'humilier, en le touchant de leur front avant que d'approcher de la personne sacrée des Califes.

Quant aux autres circonstances qui accompagnent cette maison, la description de Roland nous apprend qu'elle est entourée d'un pavé de marbre fort étroit, & que vers l'angle du Sud-Est, mais proche du mur méridional, hors de l'enceinte du pavé, est posée une très grosse pierre, qui parait être un bloc de marbre noir, non poli ni taillé, qui est nommée du nom absolu de pierre sainte, en Arabe Bracbtan, mot qui signifie luire, biller, ou être blanc: parce que l'on suppose qu'elle n'a perdu son éclat qu'à cause des péchés des hommes. Il y a beaucoup d'apparence qu'elle est le reste de quelque ancien simulacre, conservé par la superstition des premiers Arabes : d'autant plus qu'il est prouvé, tant par la sainte Ecriture que par une infinité d'autorités profanes, que ces sortes d'Idoles étaient informes, & ne représentaient aucune figure. Les uns croient que celle-ci pouvait être consacrée à Saturne, qui est appelé le Dieu Remphan, & honoré à cause du mal dont on le croyait auteur.

D'autres veulent que c'eut été un simulacre de Vénus qui a toujours été l'une des principales divinités de l'Orient : non celle que les Grecs ont honorée, & les Latins après eux , mais bien cette étoile brillante & lumineuse qui devance ou suit le soleil, & à laquelle nous appliquons le nom de Vénus. Mais quoiqu'il en soit, Mahomed en détruisant les idoles qui profanaient ce lieu Saint, n'osa, par la crainte du peuple, toucher à celui-ci. Il se contenta de lui supposer une origine religieuse, capable de détourner les idées vulgaires à un autre objet : ce qu'il fit en persuadant à ses disciples, que les péchés des Hommes avaient privé cette pierre de sa blancheur, & qu'elle ne la reprendrait qu'après le Jugement final qui doit purifier toute la Nature.

Du même côté oriental, presque vis-à-vis le milieu, mais à trois coudées de distance, se voit un autre édifice carré ; dont les faces, qui sont à jour, ont chacune dix coudées, & à peu près autant d'élevation jusqu'au haut. Le toit est placé sur quatre colonnes qui sont aux quatre angles du bâtiment : il est plat, & néanmoins composé de trois étages, dont le dernier est surmonté d'une petite coupole terminée par un croissant d'un argent doré & surdoré, qui a autant d'éclat que l'or pur, & a été donné par un Calife pour couvrir une fameuse pierre qui y est révérée. C'est celle qui conserve les vestiges miraculeux des pieds d'Abraham, laquelle s'amolie sous les pas du Patriarche pour en recevoir l'impression qui s'y voit encore. Cette pierre est encore comptée par les Interprètes de l'Alcoran, comme l'un des signes évidents que Dieu a donnés aux Fidèles pour marquer le choix qu'il a fait de ce Temple pour se rendre favorable à leurs yeux. Au-dessus de ce bâtiment, mais en tirant vers le Nord, on voit encore un édifice ancien, dans lequel on entre par une porte assez élevée. On y trouve à l'entrée un escalier de 18. marches qui conduit à une espèce de tribune couverte, & surmontée d'une Pyramide. C'est de cette Tribune que les Imans, ou Prêtres de ce Temple, ont coutume de faire leurs prédications au Peuple & aux Pèlerins : fonction dans laquelle ils ont succédé aux premiers Héros de leur Religion, & à Mahomed lui-même, qui a annoncé au Peuple de ce même endroit la plus considérable partie de son Alcoran. A peu de distance de cette tribune, & en tirant vers le Nord, se voie la fin de la belle colonnade qui forme l'enceinte intérieure de la Kaaba, & de laquelle nous parlerons incontinent. Mais en ce même lieu commence un mur d'appui, construit de marbre comme tout le reste, lequel, formant une espèce de carré long au dehors de la ligne de la colonnade, renferme la tribune dont il vient d'être parlé, le monument d'Abraham, & une espèce d'escalier de bois porté sur des roues, par lequel on approche de la porte de la Kaaba, l'orsqu'on veut l'ouvrir pour la satisfaction de quelques pèlerins zélés qui désirent en considérer l'intérieur.

Au milieu de ce carré, & en face de la partie Orientale de la Kaaba, s'élève une porte antique, appuyée sur deux jambages fort épais & massifs, élevés d'environ 15. coudées, & terminés par une voûte qui en est soutenue : laquelle est construite en arc surbaissé, si mince au milieu, qu'il n'y demeure pas un quart de coudée d'épaisseur. Cette porte, qui est appellée la Vieille, était autrefois la seule entrée pour parvenir à la Sainte maison. C'est celle où Mahomed faisait. afficher ses ordonnances religieuses & civiles, & donc les clefs étaient confiées depuis plusieurs siécles à la tribu des Koreishïtes*.

* Ces mêmes Koreïsbites, de la Tribu desquels Mahomed descendait, étant devenus les ennemis du Prophète & de sa doctrine, le contraignirent à quitter la ville de La Mecque, l'accusant de sédition & d'innovation dans le Culte Public. Mais Mahomed l'ayant ensuite reprise sur eux, il leur rendit génereusement les mêmes clefs qu'il avait refusées a son gendre, en lui disant que la Justice & la vérité devaient faire le soutien de sa famille, et non la vioIence & la force.

Elle avait autrefois de gros batants d'airain, que le Calife Moktadir fit enlever pour en former son cercueil, & il donna à leur place l'argent doré qui couvre le monument d'Abraham.

A la gauche de cette porte, mais à la distance de 30. coudées, pendant lesquelles le mur d'appui est continué, se trouve un gros bâtiment carré, qui présente un de ses angles à celui de la Kaaba, qui regarde le Sud-Est : il est orné de chaque côté de deux portes, & de deux fenêtres, qui dénotent une construction étrangère & imitée de l'architecture des Grecs. Elle n'a d'ailleurs rien de plus remarquable que son toit, qui est doré, & orné de quatre étages, surmontés d'une coupole, & d'un croissant. Ce bâtiment couvre la principale ouverture du puits, nommé Zem-zem, que la tradition & la doctrine des Musulmans supposent être le même que l'Ange découvrit à Agar, mère d'Ismael, lorsqu'ils furent chassés dans le désert. Plus bas il y a encore deux bâtiments de même forme, qui présentent pareillement leurs angles sur une même ligne, lesquels donnent d'autres entrées pour arriver au même puits ; construits sans doute pour prévenir les inconvénients que pourrait causer la foule des pèlerins qui se rendent à ce même endroit. Chacun de ces bâtiments a des toits de structure semblable au premier, & à peu près de même élévation, & sont tous également bâtis de marbre blanc. Du côté du Nord, on trouve un mur de marbre, élevé de 6. coudées, & qui est tracé en demi-cercle, de telle façon que chacune de ses extrémités déborde la largeur de la Kaaba, d'environ 3. coudées. Dans l'enceinte de ce mur est le sépulcre d'Ismael, qui n'est autre chose qu'une tombe de marbre à platte terre & sans inscription, laquelle est arrosée des eaux qui découlent de la plateforme de la Kaaba. C'est-là tout ce qui se voit à l'Orient, & au Nord de cette sainte maison ; les côtés du Couchant & du Midi sont entièrement vides.

Mais ce qui attire davantage la surprise & l'attention des spectateurs, c'est la magnifique colonnade, disposée en cercle autour de la Kaaba, de telle sorte néanmoins qu'elle n'en enferme qu'une partie: puisque commençant au Sud-Est, vis-a-vis la pierre noire, elle vient se terminer au Nord-Est auprés de l'ancienne tribune dont il a été parlé. Ainsi on peut estimer qu'elle ne remplit à peu prés que les trois quarts du cercle : & toutefois cette distance se trouve être de 780. coudées ou de 1365 pieds; Cet espace est orné de 52. colonnes de marbre blanc, de la hauteur de 20. coudées, construites sans proportion, & sans d'autres chapiteaux qu'une espèce de turban qui les termine. Elles n'ont point aussi de bases, mais elles sont jointes les unes aux autres par une balustrade, où elles sont enclavées. Sur cette balustrade règne une tablette qui sert à porter environ 2000. lampions d'argent, que l'on y fait bruler pendant la nuit. Ces mêmes colonnes sont jointes par le haut avec de grosses barres d'argent, sur chacune desquelles sont suspendues, avec des chaînes d'or, des lampes que l'on allume pareillement & qui forment une illumination très considérable, sans parler de celle qui se voit autour du monument d'Abraham & des autres bâtinents de ce sanctuaire.

Enfin, au dehors de la colonade sont encore placés trois autres bâtiments carrés & ouverts, soutenus de colonnes & couverts de toits de différentes formes, Ils servent de Mosquées aux trois principales sectes orthodoxes du Mahométisme qui s'y rendent pour faire leurs dévotions. Celui des Hambalites, qui est le plus simple dans sa structure, est placé du côté méridional à l'endroit où finie la colonnade: de sorte qu'il laisse un espace vide jusqu'au bâtiment qui couvre le Zemzem ou Puits d'Ismaël. Le second, qui est pour les Malekites, est placé à l'Occident & soutenu de 8. colonnes. Et le troisième, qui a un toit à deux étages, orné de colonnes en haut & en bas, est placé au Nord vis-à-vis le tombeau d'Ismaël : C'est celui des disciples de Kanifah. Le grand espace qui se trouve vide au delà de ce bâtiment est pavé de marbre, & ne sert qu'à recevoir ceux qui viennent y faire leur prière. Les esclaves portent des tapis pour la faire commodément ; on y entre toujours sans chaussure & sans ornements extérieurs, & l'on y garde un sitence & une propreté si exacte, que quoique les Musulmans soient toujours religieux dans leurs Temples, on s'aperçoit qu'ils distinguent celui-ci par dessus tous les autres, & qu'ils en font le principal objet de leur Foi.

En sortant du Temple, on repasse par les mêmes portiques qui y donnent entrée, & c'est-là qu'on est frappé de la magnifique structure de ce bâtiment. On aperçoit d'abord les superbes degrés qui servent à y monter. Au dessus on voit des arcades formées par 55.colonnes sur chaque face, distantes entr'elles d'environ 18. pieds, & de pareille hauteur jusqu'au commencement du centre de chaque arcade. La largeur des galeries est aussi de 18. pieds, mais la voûte & les arcades mêmes sont trop surbaissées selon l'idée que nous avons de l'Architecture ordinaire : ce qui ferait paraitre ce bâtiment trop bas s'il n'était relevé par les Dômes qui en forment le toit. Ces dômes, qui ne sont que plomb doré, se trouvent au nombre de 27 sur chaque face, & renferment précisément deux arcades chacun. Ils sont terminés par un croissant de 3 pieds, lequel avec l'élévation propre de chaque Dôme fait environ 22 pieds au dessus de l'entablement : de sorte que la hauteur totale de ces Portiques, prise au dessus des degrés, & sur le sol du Temple, est environ de 12 toîses. Ce point de vue doit être d'autant plus beau que les arcades sont traversées par des barres de métal doré, sur lesquelles sont suspendues des lampes de même, à plusieurs mèches, qui non seulement éclairent toute la galerie pendant la nuit, mais répandent l'illumination qui se voit autour de la Kaaba. Toutes ces lampes s'allument régulièrement le soir, à l'apparition de la première étoile, & ne s'éteignent de même que quand le jour est assez grand pour en faire disparaître la lueur. Les colonnes qui ferment les arcades sont en tout au nombre de 220. les Dômes au nombre de 108. non compris les 4 grandes aiguilles, ou minarets : & les arcades au nombre de 216. Telle est la description que Reland nous a donnée d'un lieu duquel jamais aucun Chrétien n'a eu la hardiesse de s'approcher : description que les Arabes ni les Turcs ne sont pas capables de faire eux mêmes, vu l'extrême négligence qu'ils professent pour tous les Arts agréables, entr'autres pour la Peinture & le Dessin ; mais qu'un Suédois habile a recueillie des entretiens qu'il a eus sur ce sujet avec differents Pèlerins pendant un long séjour qu'il a fait en la ville du Caire.

A l'égard de l'antiquité de l'édifice en lui même, nous avons déjà rapporté l'opinion commune sur celle qui était attribuée à la Kaaba, & aux batiments qui l'accompagnent. Le Temple n'était renfermé que d'une muraille forte, mais peu spacieuse, laquelle ne donnait q'une seule entrée dans le lieu saint. Le Calife Omar I. fit augmenter cette clôture en considération du grand nombre de Pèlerins, dont la multitude augmentait à proportion du progrès du Musulmanisme : mais il n'y mît aucun ornement nouveau, ne pensa à y appliquer aucune partie des immenses richesses qu'il possédait: la simplicite de ses idées sur la Religion ne lui permettant pas de croire que dieu pût être mieux honnoré, par la décoration nouvelle d'un bâtiment si ancien, qu'en le laissant subsister dans la forme où il lui avait toujours été agréable.

Mais quand la souveraine puissance fut entrée dans la famille d'Ommia, les villes religieuses de La Mecque & de Médine, qui étaient aussi les chefs de l'Empire musulman, s'élevèrent contre son gouvernement, & demandèrent hautement la vengeance du sang injustement répandu. Cette plainte fut suivie d'une soustraction d'obeïssance a Jesid, déjà fort décrié par son irréligion. Cette révolte le contraignit à envoyer une puissante armée dans l'Hégiaz sous la conduite de Hoseim fila de Semeir : mais ce Général ne put jamais se rendre le maître de La Mecque, qui était déffendue par le célèbre Abdalah fils de Zobeir, l'un des oncles du Prophète, & l'un des plus braves Musulmans de son temps, mais le seul d'entr'eux que l'Histoire taxe d'avarice. Cependant les efforts de Hoseim furent si grands que l'enceinte du Temple en fut ruinée en plusieurs endroits, & l'on croit qu'elle aurait été à la fin forcée, si la nouvelle de la mort de Jesid n'avoit obligé Hoseim a lever le siége subitement.

Abdalah ayant pris le titre de Calife aussitôt après, & ayant été reconnu dans toute l'Arabie, il signala d'abord son zéle par le rétablissement du Temple. Il en forma un nouveau plan, lequel ne put néanmoins être exécute qu'en sa moindre partie, a cause des guerres qu'il eut à soutenir contre les enfants de Jesid . Hégiage, l'un des Généraux du Calife Abdelmalec, l'assiégea de nouveau dans la ville de La Mecque, où il se défendit pendant 7. mois: il se retrancha à la fin dans le Temple même, & y soutint un assaut de trois jours & trois nuits, pendant lesquels les illuminations ne cessèrent point, & il fut tué au matin du quatrième jour. Ainsi périt le dernier, non pas des compagnons du Prophète, mais de ceux qu'il avait jugés dignes de lui succèder par les grandes espérances qu'il avait conçues de sa fermeté, même dès sa plus tendre jeunesse. Cette profanation fut depuis expiée par Hégiage, qui en prit occasion de rétablir le Temple, de l'orner de Portiques, & de le mettre en l'état où il se voit aujourd'hui. L'ouvrage entier fut achevé l'an de l'Hégire 7. trois ans après la mort d'Abdalah. Mais les premiers Califes Abasside, dont la magnificence a beaucoup de réputation dans l'Histoire, voulurent entreprendre un édifice encore plus somptueux, dans l'idée d'augmenter la dévotion populaire, & de signaler leur propre zèle.

Mais les Docteurs consultés sur cette entreprise, répondirent qu'à l'égard du Culte religieux, celui qui l'avait établi dans ce lieu, l'avait laissé plusieurs siècles dans sa pauvreté naturelle, sans le secours des Princes, qui auraient pu l'enrichir ; Que le Prophète, interprète de la volonté de dieu, n'avait prescrit qu'un respect & une décence convenables à ce lieu sanctifié, parce que l'or & les pierres sont également les créatures du même souverain : Que si les Maîtres présents y faisaient les changemenrs proposés, on pourrait croire que ce Temple ne serait plus qu'un objet d'amusement pour les Princes riches & fastueux : Que d'autres en pourraient conclure qu'il leur serait permis de le dépouiller des richesses dont leurs prédécesseurs l'auraient rempli sans motif légitime: Enfin que la Piété indiscrète des Princes, qui confondant les sentiments de leur générosité avec le zèle dû à la Religion, par une profusion peu nécessaire de leurs grandes richesses, animait ordinairement l'avidité de leurs Successeurs, par la facilité qu'ils trouvaient, non seulement de suppléer à des besoins effectifs, mais encore de faire servir ces richesses déplacées à leurs passions criminelles.

Almansor, Almamoum, Alrascbid, Almahady, & les autres, dégoûtés par de si justes considérations, se sont contentés, en conséquence, d'ajouter à ce Temple, chacun suivant sa dévotion, les ornemens qui s'y voient. Ce fut le Calife Almansor qui rêvetie la sainte maison & qui la couvrit : Omar II. l'un des Califes Ommiades, & l'un des grands Saints du Musulmanisme avait avant lui fait faire des poutres d'airain, & les lampes qui y sont suspendues dans les Portiques. On attribue au même Omar le présent des barres d'argent qui joignent les colonnes de l'enceinte intérieure, mais on dit que le Calife Almamoum fit changer les lampes qui y étaient suspendues, & y substitua celles d'or que l'on y voit encore. D'autres voulaient bannir de ce Temple les métaux ordinaires & communs à l'usage des hommes, n'y voulant souffrir que l'or, mais enfin comme la dévotion est diminuée, principalement depuis que les Princes ont cessé de faire le pèlerinage en personne, les choses sont demeurées dans l'état présent depuis l'espace d'environ 1000. ans. Ce qu'il y a de plus remarquable, par rapport aux richesses prodigieuses de ce Temple, est qu'elles furent conservées malgré la révolte presque générale qui arriva en Arabie le IV. Siècle de l'Hégire, c'est à dire le X. de nôtre Epoque. Pendant cette terrible guerre, les Karmates, hérétiques, violents, & opposés au Culte Musulman, se rendirent maîtres du Temple de La Mecque par le massacre de plus de 30000. hommes qui furent tués à sa défense. Ils commirent tous les excès possibles, tels qu'une licence sans discipline, jointe au pouvoir & à la volonté de faire tout le mal possible, pouvaient leur suggérer. Cependant ils ne s'en prirent qu'au puits Zem-zem, qu'ils comblèrent des cadavres les plus infects, & à la Pierre noire qu'ils transportèrent jusqu'à Rafah, ayant auparavant résolu de la jetter dans le Désert, dans quelque endroit qui ne pût être reconnu. Mais ils ne songèrent jamais à dépouiller le Temple de ses immenses richesses : au contraire ils rapportèrent eux-mêmes, 22. ans après l'enlévement, la pierre noire qu'ils en avaient tirée, & la suspendirent à la septième colonne de celles qui forment l'enceinte intérieure, & à cause de cela on lui donna le nom de colonne (ou pilier) de la miséricorde.

Depuis ce temps-là il n'est arrivé aucun changement, qui puisse être remarqué, ni dans le Temple, ni dans l'espèce de Culte qui s'y pratique. Il ne consiste qu'en lectures, en prières, & en sermons, distribués à certaines heures du jour & de la nuit. On n'y connait ni les macérations, ni les jeûnes, ni les fouets, ni les disciplines: tout s'y passe dans un respect extérieur, le plus humble & le plus profond , & dans une propreté, peut-être trop scrupuleuse, du moins pour des Nations aussi inattentives que nous le sommes. D'ailleurs ce Temple est servi par une infinité de Ministres, & journellement enrichi par les dons que le grand nombre de Pèlerins de toutes les parties du monde y apportent. Cet usage est en conséquence de celui qu'ils pratiquent dans la sociéte ordinaire, qui est de ne point approcher des Grands les mains vides , car il ne faut point conclure des présents que font les Pèlerins, que la Religion Musulmane les exige ou qu'elle y conduise les hommes par quelque principe d'intérêt. Au surplus ce Temple n'est pas le seul objet de la piété des Musulmans dans les voyages qu'ils entreprenent avec tant de périls, & souvent de si loin.

La Montagne d'Arafath, située au Sud-Est de la ville, à une distance de 5. lieues, est l'endroit où la Tradition porte qu'Adam & Eve se rejoignirent après que l'Ange, qui les avait chassés du Paradis terrestre, les eût séparés l'un de l'autre pour accomplir leur pénitence, qui dura plus de 200. ans. La Providence les conduisit sur cette Montagne, dans le dessein où ils étaient tous deux de chercher l'endroit que dieu avait destiné en créant le Monde à la réconciliation de ceux qui auraient enfreint ses commandements , & d'où il aurait promis d'entendre favorablement les prières de ceux, qui, reconnaissant son unité & sa puissance, se convertiraient à lui. C'est en mémoire de cette réunion des premiers hommes, que les Pèlerins vont offrir un véritable sacrifice sur cette montagne, & pour renouveller ainsi la pratique des premiers temps.

Le chemin qui conduit de La Mecque à cette Montagne est remarquable par les différentes routes auxquelles la Loi engage les Pèlerins. La première est la vallée de Mina à trois milles de la ville. En menant eux-mêmes leurs victimes ils sont obligés de s'y purifier en se faisant ras er la tête : ils jettent ensuite 7. petites pierres, ramassées dans le chemin, pour exprimer leur détachement intérieur des choses de La Terre, & des plus chères de leurs passions. De Mina ils traversent la vallée de Bath-mohafer pour parvenir à un grand espace, enfermé de murailles, au coin duquel s'élève un haut minaret à trois étages. Cet endroit est nommé le Mur d'Houomar : les Pèlerins y font leurs prières, & se rendent ensuite à la Mosquée dite Moch-de-la-fach qui est le lieu où ils s'assemblent & y continuent leurs prièrés. Cette Mosquée est bâtie sur le penchant méridional d'une petite montagne qui donne sur la vallée de Gassan : & le même chemin conduirait par le plus court à la ville de Thaïf, si l'on osait s'en servir pour un usage profane. Car comme la plus grande partie des vivres qui se consomment à La Mecque y sont transportés de Thaïf, qui en est éloignée de cinq journées, les voituriers sont obligés de prendre un détour pour ne pas embarasser ni distraire la dévotion des Pèlerins.

On peut connaître par ce récit, quelle est à peu près l'idée commune des Musulmans touchant la ville de La Mecque & ses environs ; Comment ils y raportent les premiers événements du Monde, suivant les notions qu'ils ont originairement puisées dans les Livres des Juifs, & qui sont communes à tous les Orientaux. L'opinion d'une élection particulière de certains lieux & de certaines races leur a fait adopter la pensée, que La Mecque a été sanctifiée dès l'origine du monde par le maitre absolu de la Nature, qui a voulu choisir un désèrt couvert de fables & de rochers par préférence aux plus fertiles climats de la Terre, pour assujettir les hommes à faire des efforts pour venir à Lui sans mélanger d'autres objets. Préjugé, qui a été confirmé dans leur idée par la. pratique des hommes pieux de tous les siècles. Adam, le premier des Mortels, & des pécheurs, tombé dans la disgrace de son Créateur, n'eut point de ressource dans son malheur avant que d'être parvenu au lieu duquel il pouvait avec confiance élever sa voix vers la miséricorde toute puissante. Les autres Prophètes ont toujours fréquenté le même lieu, & tantôt ils y ont obtenu la conversion des méchants, & tantôt la vengeance de leur mépris & de leurs injures. Ismaël, chassé avec sa mère par une Maitresse impérieuse & jalouse, trouva dans ce lieu l'eau qui désaltère efficacement, & qui désabuse de la vanité des objets dont le Monde présente un spectacle toujours trompeur. Il y trouva aussi la force dont il avait besoin contre les ennemis de la Vérité & les siens particuliers, & qui lui était nécessaire pour devenir le père d'une Nation choisie. Abraham reconnut à cette preuve l'élection de Dieu & il y bâtit une maison dans la simplicité de sa foi. C'est-là le fondement de tout le reste ; parce que l'on ne doute point que depuis le séjour d'Abraham, ou du moins depuis le temps de ce Patriarche, la Nation Arabe n'ait pratiqué un Culte continuel en ce même endroit.

L'Alcoran a souvent exalté les avantages de ce Temple, mais il en parlé spécialement aux chapitres qui portent le nom de Braktan & d'Aram. Dans le premier, il introduit Dieu parlant aux Hommes, & leur déclarant qu'il a établi une maison qui doit leur servir de moyen pour acquérir des grands mérites, & dans le second il dit de lui-même, & parlant à son nom, que le premier Temple qui ait été bâti par les hommes en honneur du vrai Dieu est le Temple de La Mecque, que c'est un lieu de bénédiction qui doit servir à diriger tous les fidèles, & qu'il lui a plu d'y mettre des signes remarquables & évidents pour en convaincre les plus incrédules. Les Interprètes qui ont expliqué ce dernier passage semblent avoir cherché le véritable sens qu'on lui peut donner avec moins de prévention que l'on n'en emploie d'ordinaire dans les discussions religieuses. En effet, ils conviennent tous qu'indépendamment du préjugé reçu par tous les Musulmans, la sainteté & l'élection de ce Temple doivent être prouvées par les signes évidents que le Prophète assure y avoir été mis par Dieu même pour la conviction de tous les hommes, & ils en distinguent de deux sortes, suivant la force du Texte & son expression.

Les signes évidents destinés à forcer la persuasion des incrédules par la simple vue sont ; la Pierre qui a reçu les vestiges des pieds d'Abraham: or ces vestiges sont tels, par la profondeur & la forme de l'impression qu'il est impossible que l'ouvrier & son ciseau eussent rien représenté de semblable : de sorte que ceux qui les considèrent n'en peuvent prendre d'autre idée ; sinon que la pierre s'est amolie par la volonté de Dieu sous les pieds du Patriarche, & que comme une pâte apprêtée elle en a conservé les moindres traits & les plus imperceptibles délinéaments. Mais il faut encore joindre à ce miracle la conservation d'un monument si fragile, qui pouvait être brisé par les ennemis du Culte pratiqué en ce lieu, par le plus impie mouvement de leur volontés que le suprème pouvoir de Dieu a détourné a d'autres objets qui n'ont pourtant pas diminué leurs crimes. Car encore que la pierre ait aujourd'hui toute sa dureté naturelle, il est aisé de voir qu'il etait moins difficile de la réduire en poudre, que d'enlever la pierre noire à cinq journées de distance, ou de combler un puits de cadavres infects. Cette conservation est encore signalée par son incroyable durée, qui s'étend aujourd'hui à plus de 5000. ans, sans qu'il soit arrivé la moindre diminution à la figure représentée. Le second signe est la Pierre noire, qui est un témoignage positif de la dépravation des hommes, considerés dans leur plus grand nombre. Dieu ayant permis qu'elle perdît sa blancheur naturelle & l'éclat lumineux dont elle brillait pour représenter la perte de la première innocence, & la corruption présente de la volonté des Hommes. L'infidèle dira , (car c'est l'objection qui se présente naturellement contre cette preuve,) que la Pierre est noire, & qu'elle l'a toujours été, l'Alcoran répond "que la profession des Méchants est de ne pas croire le passé & de ne point craindre l'avenir, pour s'en tenir à ce qu'ils voient. S'ils pensaient, ajoutent les Musulmans, aux exemples du passé, ils jugeraient que celui qui a couvert la terre du Déluge pour noyer ses ennemis peut bien avoir ôté l'éclat d'une pierre. Le Globe est-il encore couvert d'eau, ou la pierre est-elle encore blanche ? Le monde sera jugé, les méchants périront, & la pierre reprendra sa blancheur: vous le croirez quand vous le verrez. Plus heureux si vous l'aviez cru quand cette persuasion pouvait servir à vous faire appréhender les maux que vous éprouverez alors ! " Le troisiéme signe est celui du Puits miraculeux, ouvert par l'Ange au milieu du désert, pour soutenir la vie d'un enfant innocent, abandonné même par le Juste quoi qu'il fût son père. Emblème de l'ignorance de nos jugements, des fautes où la faiblesse de l'Humanité nous entraîne : mais en même temps preuve invincible de la protection que Dieu donne toujours a la Vertu ; quoi que non formée par la pratique, dont cet enfant était encore incapable par son âge & son état. " L'élection de Dieu est précieuse, dit l'Aîcoran & celui qui reçoit le témoignage de ce Puits l'adore, y consent, ou la rejette ; sélon la mesure qui lui est propre. C'est cette terrible pensée, dit-il encore ailleurs, qui a séparé, ou disloqué l'assemblage de mes os, & qui a fait blanchir mes cheveux avant l'âge de la vieillesse."

Voila donc à quoi se réduîsent les signes extérieurs & évidents qui se trouvent dans ce Temple : mais il y faut joindre ces trois autres, qui, pour être du ressort du jugement plus que de celui des sens, n'en sont pas moins certains.

Le premier est le Droit d'asile, dont ce Temple est en possession depuis plusieurs miliers d'années, sans que personne aît jamais pensé à le révoquer en doute, & sans qu'aucun impie l'ait jamais violé qu'il n'en aît été puni d'une manière mémorable à la postérité, & exemplaire pour le temps où il a vécu : jusque là que ceux qui s'en sont rendus coupables ont été forcés d'avouer qu'ils avaient été très justement punis. Cet asile comprend, outre la sûreté des criminels, la defense absolue de toute violence dans l'enceinte consacrée. Le second témoignage est l'abondance incroyable qui se trouve toujours dans ce Désert, malgré le concours perpétuel des pèlerins qui s'y rendent de toute part, malgré la stérilité du territoire, & sa distance de tous les lieux cultivés. Les Musulmans reconnaissent à cette preuve l'effet de la promesse de l'Ange à Ismaël & à sa mère, lorsqu'il les assura que dans toute la durée du monde ce lieu ne manquerait jamais, non seulement d'aliments nécessaires à la conservation de la vie, mais encore de commodités & même de délices. On ajoute qu'il leur promit que Taïf serait sa nourrice ; ce qui s'accomplit encore aujourd'hui, parce que malgré sa distance, c'est de cette ville que La Mecque tire la meilleure partie de sa subsistance, comme en récompense elle en reçoit des sommes immenses d'or & d'argent, entretien ordinaire du commerce indépendant des Prophéties. Enfin le troisième signe est l'inclination du cur de tous les fidèles vers le lieu saint, accompagnée d'un sentiment vif & perçant qui fait verser des larmes aux hommes les plus farouches & les plus durs, à la première vue de ses Dômes, respectés depuis tant de siécles.Tout le monde sait que la Religion Musulmane oblige ses sectateurs a des prières fréquentes, qui exigent beaucoup de précautions pour les faire avec régularité : mais que la principale est d'observer la situation du Temple de La Mecque, vers lequel celui qui prie doit avoir la face tournée. Cest vraisemblablement cette première impression, reçue dès l'enfance avec un préjugé favorable, qui dispose les esprits à en recevoir une grande idée, à le regarder comme un lieu auquel, au moins une fois en la vie, tout fidèle doit faire un voyage, duquel le fruit certain doit être la paix intérieure, le repos de la conscience, & l'expérience d'une miséricorde qui conduit au bonheur éternel. Il n'en faut pas davantage pour attendrir les plus barbares, surtout envers un objet que l'on voit si rarement.

Quant aux témoignages de la seconde espèce, & qui ne sont qualifiés que du titre de remarquables, parce que les hommes en peuvent être plus ou moins touchés suivant leurs dispositions, on compte

1e. La détermination de la Loi, qui oblige les fidèles dans leurs prières à tourner leurs faces vers le lieu où ils devraient être eux mêmes pour se faire écouter du tout-puissant. Car encore que cette institution paraisse arbitraire, puis que Mahomed l'a changée deux fois, l'on en doit naturellement présumer des raisons si fortes qu'elles ont surmonté dans l'idée du Prophète les inconvénients d'une variation qui serait reprochable, même dans un sujet de moindre importance.

2e. L'inutilité des entreprises faites en divers temps pour la destruction de ce Temple, qui, quoique profané & souillé par des idoles, a toujours été protégé par le même pouvoir du tout puissant, qui a armé jusqu'à des oiseaux pour sa défense. L'Alcoran raporte cet événement au chapitre de l'Elephant, au sujet de la défaite d'Abraham, l'Ethiopien, & de son armée, "qui fut détruite par une autre armée de corneilles, laquelle volant au dessus de la première, l'accabla des pierres que chacun de ces oiseaux avait élevées en l'air avec le bec & les pieds. "

3e. Le respect de toute la Nature pour ce même Temple, dont les animaux n'approchent jamais, & sur les dômes du quel les oiseaux même ne te reposent pas.

4e. Le concours universel d'étrangers, assemblés de toutes les extrémités de la terre ; ainsi que des contrées les plus voisines, qui viennent tous chercher en ce lieu la consolation, la joie, & la confiance que les richesses, les dignités, & les satisfactions du monde ne donnent point, ou qu'elles sont incapables d'assurer à ceux qui les possèdent.

5e. Le Témoignage que tous les prophètes lui ont successivement rendu, en le visitant pour adorer Dieu dans l'éffusion de leur âme, & puisant dans ce saint lieu les grâces & la force nécessaires pour soutenir leur mission, sans craindre les objets de terreur, & la mort même que les ennemis de la vérité leur présentaient.

6e. Le dernier témoignage est celui de la multitude d'esprits Angéliques qui veillent à la sureté de ce Temple & de la Ville, pour y faire régner le repos & pour y maintenir une abondance miraculeuse. C'est à quoi se réduisent les preuves ou témoignages par lesquels on prétend qu'il a plu à Dieu de signaler l'élection qu'il a faite d'un lieu naturellement si sauvage & si disgracié de la Nature.

Mais C'est assez parlé de La Mecque & de son Temple, disons quelque chose de Médine, qui est plus proprement la ville de Mahomed.

La Mecque