Mohammad, Prophète de l'islam

Source : http://www.le-carrefour-de-lislam.net/Mohammad2.html
Les [commentaire entre crochets] et les surlignages sont des ajouts

LA NAISSANCE DE MOHAMMAD

C'est de `Abdallâh ibn 'Abd al-Muttahb et d'Aminah bint Wahb que Muhammad, futur Prophète de l'Islam, naquit à la Mecque en l'an 53 avant l'Hégire ( = 569 de l'ère chrétienne). Le père étant mort quelques semaines auparavant, c'est le grand-père 'Abd al-Muttalib qui s'occupa de l'enfant et de sa mère. Il y avait un ancien usage à la Mecque, - usage qui persiste jusqu'à nos jours, - de confier les enfants aux nourrices, qui les emmenaient chez elles dans le désert. En attendant l'arrivée des femmes nomades, venant chercher les enfants, des concubines de-la famille ont dû donner le sein au nouveau-né. C'est ainsi que Thuwaibah, esclave de son oncle Abû Lahab, éleva l'enfant pendant quelques jours. On nous apprend encore que Hamzah, jeune oncle de Muhammad était son frère de lait. Les nourrices cherchaient évidemment les enfants des riches: les orphelins comme Muhammad ne devaient pas leur plaire beaucoup.

Un contingent de la tribu de Sa'd ibn Bakr, branche des Hawâzinites, se rendit alors à la Mecque. Parmi cette tribu se trouvait Halîmah, future nourrice de Muhammad, qui était très pauvre; à cause de sa monture maigre et fatiguée, elle arriva à la Mecque assez en retard sur les autres, et ne put trouver un enfant de riche. Ne voulant pas rentrer les mains vides, elle prit l'orphelin Muhammad, et ne l'a jamais regretté'.

On attend d'un prophète qu'il accomplisse des miracles dès sa naissance : sa mère n'aurait point senti les douleurs de l'accouchement; l'enfant serait né circoncis ; les anges l'auraient lavé et marqué du sceau de l'apostolat sur le dos, entre les épaules. On raconte aussi que l'âne de sa nourrice devint le plus rapide de la caravane; sa chamelle commença à donner du lait en quantité plus que suffisante pour toute la famille ; Muhammad ne tèta que sur un seul sein de sa nourrice, laissant l'autre pour son frère de lait'; les moutons et les brebis de Halimah rentraient à la maison toujours satisfaits de leur pâturage, tandis que le même endroit ne donnait rien aux autres animaux.

On rapporte encore un autre incident, plus important un jour un frère de lait courut chez ses parents pour leur raconter, tout effrayé, que des gens s'étaient emparés de Muhammad et lui avaient ouvert la poitrine. Les parents s'empressèrent, mais ils trouvèrent Muhammad assis sur une colline,

les yeux fixés sur-le ciel. Interrogé, il raconta que deux anges étaient venus de la part de Dieu, avaient ouvert sa poitrine, retiré son coeur, enlevé la partie appartenant à Satan, et remis le reste après l'avoir lavé avec de l'eau céleste, dont il sentait encore la fraîcheur. Les anges s'en étaient alors allés au ciel dans la direction où il les suivait encore du regard. La nourrice et son mari crurent devoir rendre Muhammad à ses parents plutôt que de le retenir encore quelque temps chez eux, car on ne savait quel autre malheur pouvait encore arriver à l'enfant merveilleux'. Il est également question de la présentation du Prophète dès sa naissance, par les anges, à toutes les créatures, à titre d'introduction.

Mais revenons à l'histoire normale. La vie chez une nourrice nomade ne pouvait être que très simple : la tribu passait les différentes saisons en divers endroits; les enfants surveillaient toute la journée les troupeaux dans les pâturages, et jouaient ensemble ; les femmes ramassaient le bois pour la cuisine, entretenaient leurs foyers, et s'occupaient à filer. On se contentait quelquefois de dattes et de lait; parfois on mangeait des légumes, de la viande, etc., et, lors des foires ou des visites aux "grandes villes", comme la Mecque, quelques friandises. Il pouvait y avoir des razzias et des guerres entre les tribus, mais nos sources n'en mentionnent aucune concernant la tribu de la nourrice Halîmah.

Le jeune Muhammad se comportait comme tous les autres enfants. On rapporte qu'un jour, pour une raison que les narrateurs ne mentionnent pas, il mordit l'épaule de sa sueur de lait avec une telle vigueur que la trace lui en resta pendant toute sa vie; et elle n'eut pas à le regretter ! Plus tard en effet, dans une expédition, l'aimée du Prophète fit un certain nombre de prisonniers, parmi lesquels se trouva Chaimâ', cette sueur de lait; et lorsqu'elle rappela à Muhammad l'incident et montra l'incision sur son épaule, il la reconnut aussitôt, et elle fut traitée avec tous les égards dûs à une sueur bien aimée'.

Il paraît que la santé de l'enfant était toujours très délicate. Toutes les fois qu'il venait à la Mecque, avec la nourrice, pour revoir sa mère et son grand-père, il souffrait du changement d'air, et c'est pour cette raison, dit-on, que la durée de son séjour chez la nourrice se prolongea beaucoup plus que d'ordinaire.

La grande foire annuelle de `Ukâz avait lieu dans la région. On y rencontrait quelquefois Halîmah et son nourrison, et l'on rapporte que Halîmah demanda à un astrologue devin de la tribu de Hudhail, qui exerçait son métier à la foire, de prédire le destin de l'enfant.

Après le fait miraculeux rappelé plus haut de la "fente de poitrine", l'enfant partit pour rentrer chez sa mère, mais non sans quelque accident: près de la Mecque, l'enfant se perdit; la nourrice courut chez le `grand-père du Muhammad, et après quelques recherches,on le trouva sain et sauf, jouant avec des feuilles d'arbres tombées.

Bientôt après, Muhammad, sa mère Aminah, une esclave noire Umm Aiman, et peut-être aussi un serviteur, partirent pour Médine. On habita là chez les parents de 'Abd al-Muttalib, plus précisément dans la maison d'un certain an-Nâbighah, de la tribu des Banû an-Najâr, maison où se trouvait aussi, (il y est encore commémoré de nos jours), le tombeau de `Abdallâh, père de Muhammad. Le Prophète se souvenait plus tard qu'il avait appris à .-cette occasion à nager dans une pièce d'eau appartenant à la tribus ; il se souvenait également avoir joué avec d'autres enfants de son hôte, en particulier avec une fille, Unaisah, autour d'un château appartenant à la famille, et qu'ils s'amusaient à faire voler un oiseau qui allait se percher sur la tour du bâtiment'.

C'est sur le chemin du retour qu'Aminah trépassa soudainement à Abwâ'. Bien qu'il n'eût que six ans, le chagrin de Muhammad dut être très grand à la mort de sa mère, qu'il aimait tendrement. Plus tard, toutes les fois qu'il passait par Abwâ', au cours de ses expéditions, le Prophète s'arrêtait pour visiter le tombeau de sa mère, et versait d'abondantes larmes. Rappelons ici un incident postérieur: un jour un visiteur nomade s'étant mis à trembler quand on le présentait au Prophète, celui-ci de dire: "Pourquoi as-tu peur d'un homme dont la mère mangeait souvent de la viande séchée ? On a conservé plusieurs poèmes d'Aminah, et aussi d'autres parentes de la famille de 'Abd al-Muttalib, ce qui montre que le niveau intellectuel dans cette famille était assez élevé, même parmi les femmes [comment ça même parmi les femmes ?! Parce que les femmes sont naturellement inférieures d'un point de vue intellectuel peut-être ?!].

La bonne Umm Aiman parvint à rentrer à la Mecque avec l'enfant, après avoir assisté à l'enterrement d'Aminah. 'Abd al-Muttalib, âgé alors de 1o8 ans, prit son petit-fils chez lui; et comme l'enfant avait perdu son père aussi bien que sa mère, l'affection du grand-père envers lui était naturellement très grande.

On rapporte que toutes les fois que 'Abd al-Muttalib s'asseyait sur un tapis dans un conseil municipal, pour discuter avec les autres conseillers des questions sérieuses, l'enfant Muhammad aimait à laisser ses jouets et à venir assister au Conseil; il voulait s'asseoir à la première place, à côté de son grand-père. Ses oncles le lui défendaient, mais le, grand-père disait toujours: "Laissez-le ; il se croit un grand homme, et j'espère bien qu'il va l'être; il est si sage." Il était en effet bien sage, et jamais l'assemblée n'eut à se plaindre qu'il les dérangeât. Le grand-père l'aimait tant qu'au dire des chroniqueurs', un jour, lors d'une disette, il pria Dieu pour la pluie en le suppliant au nom de son petit-fils, et il ne fut point déçu.

A l'âge de sept ans, Muhammad eut mal aux yeux, et les "médecins" de la Mecque ne purent le guérir. On rapporte que 'Abd al-Muttalib se rendit alors au couvent d'un religieux chrétien, près de `Ukâz, où on lui donna une prescription qui réussit très bien. C'est apparemment d'une époque postérieure que nous parle al-Qifti lorsqu'il raconte qu'étant tombé malade, Muhammad avait demandé à son ami Sa'd ibn Abî-Waqqas de faire venir le médecin mecquois al-Hârith ibn Kaladah.

Le jeune garçon Muhammad était si intelligent que toutes les fois que son grand-père ou d'autres parents avaient perdu quelque chose, ils demandaient toujours à Muhammad d'aller le chercher, et il le trouvait toujours. Une fois le berger de 'Abd al-Muttalib vint annoncer que quelques chameaux s'étaient égarés, et qu'il lui était impossible de les retrouver dans les vallées du pâturage. Muhammad y fut envoyé; comme il tardait à revenir, le grand-père, effrayé pour le sort de son petit-fils, parti ainsi tout seul, la nuit, dans les montagnes, se mit à prier Dieu, avec ferveur et à faire le tour rituel de la Ka'bah, en disant

Seigneur, rends-moi mon petit Muhammad, Et comble-moi ainsi de Tes bienfaits.

Une fois Muhammad rentré, 'Abd al-Muttalib fit le voeu de ne plus jamais envoyer le garçon faire de pareilles courses. Muhammad était âgé de 8 ans, lorsque son grand père mourut, après l'avoir confié à son fils Abû-Tâlib, oncle de Muhammad, en lui recommandant d'en avoir le plus grand soin'.

L'ORPHELIN CHEZ SON ONCLE

Le jeune Muhammad aimait son grand-père aussi tendrement que son âge le permettait. Il ne faisait d'ailleurs que rendre son affection au grand-père, si attaché à son petit fils qu'il ne voulait jamais manger sans qu'il fût présent'. A l'âge de huit ans, quand son grand-père mourut, Muhammad gémissait de douleur en marchant derrière son cercueil.

Le choix d'Abû Tâlib comme tuteur de Muhammad, de préférence aux autres oncles, a été particulièrement heureux. Né de la même mère et du même père que le père de Muhammad, Abû Tahb possédait des qualités de coeur très rares. Nous voyons qu'Abû Lahab, un autre oncle, devint, bientôt après la mort de son père, un libertin, adonné à la boisson et à la vie facile, il était allé une fois jusqu'à voler les bijoux offerts à la Ka'bah, afin d'avoir de l'argent pour acheter du vin et pour en donner aux chanteuses. Par contre, les qualités d'Abû Tâlib lui attiraient de plus en plus le respect de ses concitoyens. Sa seule faute, en réalité un excès de générosité, était de ne pouvoir jamais équilibrer son budget familial, et d'être souvent obligé de recourir aux emprunts.

De sa tante, épouse de son tuteur, Muhammad nous dit lui-même: lorsqu'elle mourut, quelqu'un me fit la remarque: O envoyé de Dieu, pourquoi ressens-tu si douloureusement la mort d'une vieille femme ? et je répondis: "Pourquoi pas ? Lorsque j'étais un enfant orphelin chez elle, elle laissait ses enfants avoir faim, mais elle me nourrissait; elle délaissait ses enfants pour me peigner; et elle était comme ma mère'." Ibn Sa'd nous raconte que, lorsque le petit déjeuner venait d'être servi, chez Abû Tâlib, tous les matins, la troupe de ses nombreux enfants le pillait avant que Muhammad y ait touché; quand Abû Tâlib s'aperçut que son jeune neveu ne prenait pas part à ce pillage il le lui fit servir à part.

A cette époque, il n'y avait pas d'école à la Mecque; c'est pourquoi il n'apprit ni à lire ni à écrire. Bientôt le jeune garçon commença à travailler comme berger pour les Mecquois, gagnant ainsi quelques sous pour ajouter aux maigres recettes de son oncle. On nous rapporte de cette époque un petit incident: il apprit un jour qu'il y aurait une fête chez une personnalité de la ville, et il dit à un de ses camarades: je n'ai jamais assisté à une fête; si tu peux garder mon troupeau en même temps que le tien, j'irai à la ville, et je te remplacerai un autre jour. Le camarade ayant accepté, il vint à la ville, mais la fête n'était pas encore près de commencer; il faisait probablement chaud, et, en attendant, le jeune garçon s'endormit. Lorsqu'il se réveilla, il était déjà tard, et il dut rentrer chez lui. L'incident se répéta, dit-on, encore une fois dans de pareilles circonstances. Blessé dans son amour-propre, le jeune garçon renonça pour toujours à s'amuser à de telles frivolités. ,

Un autre souvenir de la même époque: Muhammad disait plus tard: "Mangez les fruits de l'arbre épineux arâk qui sont devenus noirs ; je les mangeais lorsque j'étais berger':" Ou encore: "Le Prophète raconta un jour: J'avais l'habitude de me protéger contre le soleil aveuglant de la mi-journée dans l'ombre de l'immense écuelle de `Abdallâh ibn Jud'ân" (qu'il avait fait fabriquer pour l'usage des voyageurs à dos de chameau).

Muhammad avait neuf ans, lorsqu'Abû Tâlib se vit obligé de mener une caravane de commerce en Syrie. Il avait déjà gagné l'affection de son neveu, à tel point que celui-ci devint très triste à l'idée d'être séparé, même pour peu de temps, de son oncle; il lui demanda de l'accompagner; Abû Tâlib céda, et c'est ainsi que Muhammad fit son premier voyage hors de l'Arabie. On peut bien penser que le jeune voyageur n'était pas du tout un fardeau inutile pour son oncle ; de mille façons il pouvait lui rendre de petits services, et lui épargner maints inconvénients.

A Busrà, au-delà de la Mer Morte, entre Jérusalem et Damas, la caravane s'arrêta pour faire les échanges usuels et les transactions nécessaires. Comme d'habitude, ils durent camper dans la banlieue de la ville. C'était un territoire byzantin. Ne nous étonnons donc pas s'il y avait un couvent, près des champs où la caravane établit ses tentes. Un certain moine, Bahîrâ, regarda de son couvent la colonie temporaire, et s'étonna du sage comportement de ses voisins, ce qui était rare chez de tels visiteurs. Il les invita à un repas , probablement dans un but pieux de prosélytisme. Casanova nous assure qu'à l'époque dont nous nous occupons, les Chrétiens - et probablement aussi les juifs - attendaient impatiemment la venue d'un prophète, d'un Messie, d'un dernier consolateurs. Il se peut que le moine Bahîrâ ait parlé à ses hôtes, entre autres choses, de cette croyance. Il serait naïf de croire qu'un moine chrétien ait pu reconnaître dans la physionomie d'un enfant de neuf ans, surtout parmi les Bédouins méprisables, le futur apôtre de Dieu; il serait également vain de penser que les paroles du moine aient pu faire germer dans l'esprit d'un garçon de neuf ans l'espoir et l'amibition de s'attribuer cette qualité.

Après ce voyage en Syrie, on ne sait pas grand chose sur la vie de Muhammad pendant une dizaine d'années. Il se peut qu'Abû Tâlib ait eu un magasin de commerce' à la Mecque, et que Muhammad ait participé d'une façon ou d'une autre à cette entreprise.

Al-Halabî2 nous rapporte que les Mecquois avaient une fête annuelle, à laquelle tout le monde prenait part avec enthousiasme. Chaque année Muhammad trouvait quelque excuse pour ne pas y assister. Une année ses tantes le grondèrent et le menacèrent de la colère divine, parce qu'il ne voulait pas y assister avec les autres. Muhammad les accompagne cette fois, mais en pleine fête il rentra dans la tente de ses parents, tout blanc et tout tremblant : il raconta qu'il avait vu d'étranges personnes qui lui défendaient toute participation à cette fête païenne. L'oncle et les tantes ne (obligèrent plus les années suivantes à participer à de pareilles cérémonies. Al-Wâqidî complète le récit par le témoignage d'Umm Aiman, servante noire qui avait élevé Muhammad, et dit ensuite qu'il s'agissait là de la fête de Buwânah, et que, lors de cette fête, on se faisait raser la tête et on sacrifiait des animaux. D'après Ibn al-Athîr, la colline de Buwânah se trouve près de Yanbû`. Ibn Manzûr nous conserve un vers, où le poète dit attendre que les sentinelles du dattier sacré de Buwânah fussent endormies pour cueillir secrètement les fruits de deux dattiers. Ibn al-Ka1bî nous rapporte que Muhammad aurait lui-même un jour sacrifié, avant l'Islam, un mouton brun devant une idole (sanam) ; il s'agit là probablement du même incident, et la victime avait sans doute été procurée par ses tantes superstitieuses. Bukhârîl rapporte qu'un jour Muhammad rencontra son concitoyen Zaid ibn 'Amr près de Éaldah et que l'un des deux - le narrateur n'est pas sûr - offrit à l'autre la viande d'une victime immolée sur une idole, mais il lui fut répondu. "Je ne mange pas ce qu'on offre aux idoles." S'agit-il là du même événement ? Le jeune esprit devenait de plus en plus conscient de ce qui se passait autour de lui. Faut-il placer à la même époque le petit incident suivant qui semble avoir quelque portée ? Balâdhurî' rapporte qu'un jour il y eut une querelle entre Abû Tâlib et son frère Abû Lahab, et ce dernier jeta son frère à terre, s'assit sur sa poitrine et le soufeta. Le jeune Muhammad accourut, et en bousculant Abû Lahab, l'éloigna de la poitrine de son frère. Puis Abû Tahb se leva, et plein de colère s'élança sur son frère Abû Lahab ; à son tour il s'assit sur sa poitrine et couvrit son visage de soufflets. Après coup, Abû Lahab s'adressa à Muhammad en lui disant: "Moi, je suis ton oncle comme Abû Tâhb ; tu as fait avec moi ce que tu as fait; mais pourquoi n'as-tu pas agi pareillement avec lui ? Par Dieu, mon coeur ne t'aimera plus jamais, jamais". On sait que parmi les membres de la famille, Abû-Lahab fut le seul à s'associer avec les ennemis personnels les plus redoutables du Prophète. D'autres incidents vinrent plus tard élargir le fossé entre l'oncle et le neveu:

Lorsque Muhammad eut vingt ans, nous avons à enregistrer un incident plus grave, mais qui eut des résultats plus heureux.

Parmi les quelques ressources financières d'origine pacifique de l'Arabie pré-islamique, nous relevons la dîme sur les importations commerciales, dîme qui revenait au chef de la ville ou de la localité d'une foire. Pour attirer les étrangers, on avait créé l'heureuse institution des mois de la trêve de Dieu. Il va de soi qu'une foire coïncidait avec un pèlerinage ou une fête religieuse. A cause des rivalités tribales, ces mois sacrés différaient selon les diverses régions. C'est ainsi qu'on voyait au mois de Rajab une tranquillité parfaite dans toute l'étendue du pays où les tribus mudarites habitaient' - et le mois de Ramadân faisait du territoire des tribus de Rabî'ah un asile pour les étrangers. La paix régnait ainsi dans plus de la moitié de la péninsule arabique : les Mudarites trafiquaient chez les Rabî'ah au mois de Ramadân, et les Rabî'ah pouvaient se rendre sur le territoire des Mudarites au mois de Rajab. La région de la Mecque-Tâ'if-Médine était particulièrement favorisée, puisqu'elle jouissait de quatre mois de trêve, dont trois consécutifs, ce qui rendait possible le double voyage, aller et retour, vers les plus lointaines régions d'Arabie. On respectait en général cette trêve avec un grand scrupule. Toutes les fois qu'on la profanait par un recours aux armes, on nommait ce grand scandale "guerre de profanation" (Fijâr). Les origines de cette institution sont obscures, mais on parle de quatre violations de cette trêve à la Mecque, avant l'Islam. Sans entrer dans les détails de ces guerres, dont les causes étaient généralement assez puériles, il suffit de mentionner que Muhammad semble avoir participé aux deux dernières, dans sa jeunesse, à moins que les deux incidents que nous allons raconter ne se rapportent qu'à une seule guerre. Nous lisons en effets que, dans une Guerre de Profanation, Muhammad avait blessé de sa lance le célèbre guerrier Abû Barâ' Mulâ'ib al-Asinnah. L'autre récite nous apprend que Muhammad aidait ses oncles, dans la quatrième Guerre de Profanation, en leur passant des flèches ; (plus tard il disait, comme nous le raconte Ibn Sa'd: "Je ne voudrais pas ne pas avoir agi ainsi") ; or Mulâ'ib al-Asinnah était le commandant ennemi dans la quatrième guerre ; mais la troisième avait également éclaté entre les mêmes tribus. La guerre avait une cause bien médiocre, et avait fait verser beaucoup de sang. Az-Zubair, un oncle du Prophète, qui non seulement avait mené son clan, mais qui avait aussi pris une part active à la guerre dans 1"`état-major" mecquois â cette occasion, semble avoir eu du remords, ét c'est lui qui prit l'initiative'' de faire renaître l'ordre chevaleresque, plusieurs fois séculaire', de Hilf al-Fudûl. Une foule de jeunes '' -'vieux Mecquois assista à la cérémonie, dans la maison du riche et vénéré `Abdallâh ibn Jud'ân, et jura ce qui suit

"Par Dieu ! Nous serons tous comme une seule main avec l'opprimé contre l'oppresseur, jusqu'à ce que ce dernier lui rende son droit, cela pour aussi longtemps que la mer restera capable de mouiller un poil et aussi longtemps que les monts Hirâ' et Thabîr resteront sur place, et cela avec une parfaite égalité en ce qui concerne la situation économique (de l'opprimé ?)".

Parmi ceux qui avaient prêté serment, on signale les Banû Hâchim (famille de Muhammad), et leurs parents et alliés les Banu'I-Mu>rçalib, ainsi que les Banû Zuhrah (famille de la mère du Prophète), et les Banû Taim (famille d'Abû Bakr et de `Abdallâh ibn Jud'ân). Muhammad ne cessa pas d'être fier, même après avoir réclamé la qualité d'envoyé de Dieu, de ce qu'il avait, lui aussi, assisté au Hilf al-Fudûl dans la maison de `Abdallâh ibn Jud'ân, et disait qu'il n'était pas prêt à céder cet honneur, même pour un troupeau de chameaux rouges ! ; et que si maintenant encore, on l'appelait, il était toujours prêt à répondrez. En effet, les membres de cette chevalerie furent toujours une puissance redoutable à la Mecque. Citons quelques exemples

Un Yéménite de la tribu de Khath'am, accompagné de sa fille, se rendit à la Mecque pour le pèlerinage. Un Mecquois des plus puissants, Nubaih ibn al-HaJjâj, prit cette fille par force On conseilla au père de faire appel à l'aide du Hilf al-Fudûl. Tout de suite la maison de Nubaih fut assiégée. Ne voyant pas les moyens de se défendre, celui-ci commença à demander en suppliant la grâce d'une seule nuit avec cette charmante belle qui avait volé son coeur. Rien ne put fléchir les Fudûlites, et Nubaih dut rendre sans retard la fille à son père .

Un autre étranger, de la tribu de Thumâlah (ou Azd) avait vendu quelques marchandises à Ubaiy ibn Khalaf, un des plus grands chefs de la Mecque, mais celui-ci ne voulut pas payer ce qui était convenu. En désespoir de cause, le Thumâlite fit appel aux Fudûlites ; ceux-ci lui dirent: "Va chez Ubaiy et dis lui que tu viens de chez les Fudûlites ; et que, s'il ne te donne pas satisfaction tout de suite, il attende notre arrivée." Ubaiy ne tarda pas cette fois à payer comptant'.

Un commerçant de la tribu de Zubaid vint vendre quelques biens à la Mecque. Abû Jahl - au sujet duquel nous aurons, plus tard maints incidents à relater - défendit aux autres commerçants de négocier avec le Zubaidite, et lui-même lui offrit un prix très bas. L'influence d'Abû Jahl était telle que personne n'osa offrir un prix plus élevé. Le marchand désolé se rendit chez Muhammad; celui-ci achata la marchandise : trois chameaux, au prix réclamé par le propriétaire, et eut de vives altercations avec Abû Jahl, dont la mauvaise humeur était proverbiale'. Peut-être cet incident commença-t-il à les éloigner l'un de l'autre pour ne jamais se réconcilier.

Finissons par un fait qui date d'après la proclamation de la Mission divine: le même Abû Jahl acheta quelque chose à, un Arabe de la tribu d'Arâch, et ne voulut pas payer ce qui pétait convenu. En désespoir de cause, le vendeur se rendit devant la Ka'bah, et commença à se plaindre. Abû Jahl était ,déjà devenu le pire ennemi de Muhammad dans toute la Mecque. Un mauvais plaisant suggéra à l'Arâchite de parler à Muhammad, qui était présent, en ajoutant que lui seul pourrait arranger l'affaire avec Abû Jahl. Ce n'était qu'une moquerie, les mauvais rapports entre Muhammad et Abû Jahl étant bien connus. L'Arâchite, qui ignorait cela, se rendit auprès du Prophète, et le supplia de l'aider. Muhammad se leva immédiatement, et en compagnie de l'Arâchite se rendit à la maison d'Abû Jahl.

Après avoir demandé la raison de la visite, Abû Jahl paya la dette aussitôt. Plus tard, il raconta à ses amis surpris que les coups frappés à la porte avaient causé un tremblement de terre dans toute la maison, ce qui l'avait effrayé; et que Muhammad était accompagné d'un chameau géant, tout en folie, l'écume lui sortant de la bouche : "Si j'avais tardé à apaiser Muhammad, le chameau géant m'aurait dévoré'".

Quoi qu'il en soit, les Mecquois étaient fiers de cette institution, qui intervint à plusieurs reprises pendant de longues années. Le seul mal était qu'on n'y admettait pas de nouveaux adhérents, et au bout de quelques dizaines d'années elle fut dissoute par la mort du dernier membre de l'ordre. Un autre ordre.

Un autre ordre.
Dans le Nasab Quraich de Zubair ibn Bakkâr (fol. 97 a, ms. Köprülü), il est fait mention d'un autre ordre de chevalerie (dont nous ne connaissons pas la date) : La tribu Zuhrah de la Mecque, ainsi que celle des Ghayâtil (Banû Sa'd ibn Sahm) se mirent d'accord pour ne laisser personne parmi les Quraichites et les Ahâbîch faire des dégâts ou créer des mésententes, sans réconcilier les parties et redresser les torts. On l'appela Alliance de Réconciliation (hilf as-silâh). Le reste des Qurachites ne s'y opposa pas et ne la méprisa pas ; il n'y participa pas non plus.

LA VIE D' INDEPENDANCE

La vallée de la Mecque manque d'eau et on n'y fait pas -d'agriculture. Les chroniqueurs ne mentionnent aucun métier d'industrie ou d'art dans la famille du Prophète. Il ne restait que le commerce : les étoffes, les denrées alimentaires, les fruits secs, les armements, les parfums, les objets de toilette, étant les marchandises les plus importantes. Il est probable que c'était des deux premiers objets que les membres de ce clan tiraient leur subsistance.

Quant aux caravanes, les historiens mentionnent un profit ordinaire de cent pour cent, mais un petit capital ne valait pas grand' chose pour ce métier. De plus, il y avait des risques : la fatigue de longs voyages tue parfois les chameaux de transport en route, sans parler des dangers de pillage par des brigands. Il y avait les frais de nourriture des hommes et des animaux, frais plus élevés en voyage qu'à la maison. Il fallait aussi payer pour l'escorte, et pour d'autres dépenses imprévisibles. C'est pourquoi souvent plusieurs marchands faisaient le voyage ensemble, et chacun emportait également des marchandises de ceux qui n'avaient pas voulu se déplacer. mais avaient confié leurs affaires à leurs amis. Dans ce dernier cas, les gains étaient partagés.

Devenu jeune homme, il semble que Muhammad devint commerçant. Un Mecquois, Qais ibn as-Sâ'ib, raconte qu'avant l'avènement de l'Islam il était en rapport commercial avec Muhammad, et qu'il n'avait jamais trouvé un meilleur partenaire. En effet, disait-il, "si je lui confiais quelque chose lors de son voyage, il ne rentrait pas chez lui avant d'avoir réglé mes comptes à mon entière satisfaction. Par contre, s'il me confiait quelque chose lors de mon voyage, à mon retour, tous les clients me demandaient des nouvelles de leurs propres affaires, mais Muhammad m'interrogeait seulement sur ma santé et mon bien-être'".

Sans préciser la date exacte, Tabarî rapporte que Khadîjah, une riche Mecquoise, envoya une fois Muhammad et une autre personne à la foire de Hubâchah. C'est une localité au Sud de la Mecque, à une distance de dix journées de chameau, sur la route du Yémen, où se tenait chaque année pendant trois jours une foire importante. Un autre chroniqueur, Ibn Saiyid an-Nâs, nous apprend que Khadîjah envoya Muhammad par deux fois à JRCH pour ses affaires, et que chaque fois elle récompensa Muhammad par un chameau (l'animal seul ou avec son chargement ?). S'il s'agit là de jurach, cet endroit se trouve au Yémen, au Sud de Ta'if ; s'il faut lire Jarch, ce serait en Transjordanie. Jurach, comme le précise Ibn Hichâm, était une importante ville de l'Arabie méridionale, avec murailles et remparts, et dotée d'une importante foire annuelle. Et la, ville jordanienne n'était pas moins importante aux temps des Byzantins: ses ruines nous émerveillent encore aujourd'hui. En tout cas, ces premiers essais amenèrent Khadîjah à confier à Muhammad une mission beaucoup plus importante, celle de conduire toute une caravane en Syrie. Khadîjah, que ses concitoyens appelaient Tâjirah (marchande) et Tâhirah (pure)5, était veuve. Par deux fois elle s'était mariée, et de chaque époux, elle avait eu un enfant. Sa beauté n'était pas moins renommée que sa richesse. Encore assez jeune, elle refusait toujours de se remarier, et cependant elle avait beaucoup de prétendants dans la ville.

D'après un récit', il ressort que ce fut Abû Tâlib, oncle et tuteur de Muhammad, qui dit à ce dernier: "La disette de plusieurs années nous a frappés lourdement; va chez Khadîjah, qui connait ton honnêteté, et demande-lui qu'elle te confie quelque chose, comme elle le fait aux autres, pour que tu puisses voyager avec la caravane qui va partir pour la Syrie; tu pourras ainsi gagner quelque chose." Muhammad avait 25 ans, et son oncle était trop âgé pour se déplacer lui-même.

Khadîjah confia volontiers d'importantes marchandises à Muhammad, lui prêta son esclave Maisarah comme serviteur, et le fit accompagner par un de ses propres parents, Khuzaimah. Il semble s'agir là d'une caravane indépendante. Les chroniqueurs parlent de Busrà, au-delà de Jérusalem, comme l'ultime destination de ce voyage. Muhammad a pu ainsi peut-être voir Jérusalem, ville du Mi'râj, ainsi que la Mer Morte. On parle cette fois aussi d'une rencontre avec un moine à Busrà, nommé Nastûrâ . Était-ce un Nestorien ? C'est l'étrange nuage, accompagnant Muhammad partout où il allait pour le protéger du soleil, qui suscita, dit-on, la curiosité du moine. Lors du retour, Khadîjah, du haut de sa maison à plusieurs étages, aperçut au loin les voyageurs venant vers la ville: Muhammad et Maisarah accoururent à la Mecque, avant l'arrivée de la caravane, pour annoncer à Khadîjah que tout s'était bien passé, et qu'on avait gagné en ce voyage le double des gains ordinaires. Toute reconnaissante, Khadîjah accorda également à Muhammad une double récompense. Au départ elle avait promis deux chamelles. L'esclave Maisarah ne tarissait pas d'éloges sur Muhammad, qui l'avait traité avec beaucoup de gentillesse.

Plus tard, Khadîjah recevait les visites de Muhammad, et leur amitié à dû grandir de plus en plus'.

Abû Dâwûd nous rapporte qu'un jour un Mecquois, `Abdallâh ibn Abi'I-Hamsâ', avait demandé à Muhammad de l'attendre dans une rue de la ville, puis l'ayant oublié, ne s'en était souvenu que trois jours après ; il courut vers le lieu de rendez-vous et trouva que Muhammad était toujours là.

Dans les dernières années de sa vie à Médine, le Prophète reçut une délégation de la tribu de 'Abd al-Qais, qui habitait dans l'Arabie de l'Est. Muhammad étonna les ambassadeurs par les détails qu'il demandait, et qui prouvaient une profonde connaissance de leur pays. Comme ils l'interrogeaient il leur dit qu'il y avait voyagé avant l'Islam". II s'agit sans doute là des foires de Muchaqqar et de Dabâ, qui attiraient, par leur importance, même des visiteurs étrangers à l'Arabie. Y était-il allé avant son mariage, ou après, avec les marchandises de cette même Khadîjah, ou d'autres capitalistes ? Nul ne saurait le préciser maintenant faute de documents.

Lorsque les Mecquois musulmans voulurent se réfugier en Abyssinie, au début de l'Islam, le Prophète leur donna une lettre d'introduction et de recommandation à l'adresse du Négus, en ajoutant: "Allez-y,-car dans le territoire de ce roi nul n'est opprimé". La tradition nous rapporte plusieurs mots abyssins que Muhammad aurait prononcés à différentes occasions. Cela veut-il dire qu'il avait voyagé même en Abyssinie, et avait fait l'expérience d'un voyage maritime ? Nous y reviendrons plus tard.

LE MARIAGE ET LE FOYER

Nous avons vu comment Muhammad fut recommandé à Khadîjah, et comment son honnêteté le rendit cher à la riche commerçante.

D'un côté, une femme veuve. Selon la plupart des chroniqueurs, elle aurait eu, à cette époque, quarante ans, mais Ibn Habîb' nous assure qu'elle n'avait que 28 ans. Elle appartenait à la tribu d'Asad, qui a produit le patrice `Uthmân bn al -Huwairith ainsi que le prêtre Waraqah ibn Naufal, tous deux devenus chrétiens. Selon certain récits, la sueur de Waraqah lisait même la Bible". De son premier époux, le Taimite Abû Hâlah, Khadîjah eut un garçon qui s'appela Hind. Devenue veuve, elle épousa le Makhzûmite `Atîq ibn `A'idh, et donna naissance à une fille; appelée également Hind. Riche et belle, elle se consacra à ses enfants et à ses affaires ; et depuis la mort de son deuxième mari, elle refusa toujours les propositions d'un remariage.

De l'autre côté, un jeune homme, d'à-peine 25 ans. Plein de vigueur, mais modeste; pauvre, mais charitable; illettré, mais intelligent et honnête. Les chroniqueurs sont unanimes à dire que Muhammad avait les yeux noirs et grands, avec le globe rempli de lignes rouges. Doué d'une puissante vue, il pouvait compter onze astres dans la constellation des Pléiades. Son teint était blanc, sa bouche et ses dents brillantes ressemblaient à "des perles dans une boîte de rubis". Avec un front large, une grosse tête, des sourcils arqués dont les poils se rejoignaient au-dessus du nez, il avait 4n estomac serré ne dépassant pas la ligne de la poitrine; le corps, dépourvu complètement de poils; ses cheveux n'étaient ni crépus ni droits ; il avait les paumes pleines, et la plante des pieds ne présentant pas de creux, à tel point qu'elle laissait une trace uniforme sur la terre. Avec la poitrine large et les jambes minces, il avait un nez long et arqué. Il avait une voix douce et très claire, et parlait si lentement qu'on pouvait compter les lettres des mots qu'il prononçait. Il aimait à soigner sa coiffure, et il laissait croître une jolie barbe, qu'il parfumait, ainsi que ses cheveux, qui souvent touchaient ses épaules La partie supérieure de sa taille était longue, et lorsqu'il était assis en compagnie, il était toujours plus grand que son entourage. Il marchait très vite, comme s'il descendait une pente. Il était beau, et pour l'un de ses disciples "il était plus beau que la lune de la quatorzième nuit".

Khadîjah ne tarda pas à ressentir un attachement cordial envers son agent de commerce. Elle l'appela souvent chez elle sous prétexte d'affaires; elle.lui envoya de plus en plus des cadeaux de fruits de saison et d'autres menus présents. Muhammad, plein de pudeur et de timidité, tenait les yeux toujours baissés. Après avoir hésité pendant quelque temps, elle décida un jour de confier son secret à une amie, Nufaisah, et de lui demander de faire le nécessaire convenablement et discrètement. Les chroniqueurs disent que Nufaisah était une otaulât (métèque) et une muwalladah (née d'un parent non-arabe). Suhailî nous assure qu'elle était kâhinah. Cela signifie-t-il d'origine juive ? On mentionne. rarement son père; et elle est généralement citée comme fille d'une certaine Munyah, sa mère ou sa grand'mère ; cela probablement pour des raisons sociales quelque peu négligeables. Elle était bien choisie pour sa mission; car, avec ses origines, elles pouvait plus facilement parler à un homme dans les rues de la ville que ne le pouvait une femme distinguée. Il se peut que Muhammad l'ait déjà connue chez Khadîjah où tous les deux fréquentaient.

Quoi qu'il en soit, Nufaisah trouva un jour l'occasion de parler à Muhammad dans l'intimité. Elle lui dit: Tu es maintenant assez âgé; tu es de bonne famille, et tu es réputé pour ton bon caractère, pourquoi donc ne te maries-tu pas ? Tu dois facilement trouver une fille convenable. Muhammad s'excusa en disant qu'il n'avait pas les moyens d'entretenir un foyer séparé. Et elle de dire: Mais si tu en trouves une qui soit riche en même temps que belle et de bonne famille ? Tout étonné, il lui demanda, Qui peut-elle être? Nufaisah ,répondit : Khadijah ! Muharr t-ad reprit: Impossible qu'elle m'accepte: tous les riches de la ville l'ont recherchée et elle n'a fait que refuser. Nufaisah l'assura: Si la proposition te plaît, confie-moi cette affaire, et je parlerai à notre amie commune. Muhammad comprit probablement qu'une telle confiance pouvait bien comporter une mission. Plus tard, Khadîjah fixa une date pour la cérémonie des noces. Au moment voulu, Muhammad, acompagné de son oncle Abu Tâlib et d'autres proches, se rendit à la maison de la fiancée, où tout était prêt pour une grande fête. Khadîjah avait perdu son père lors de la Guèrre de Pronfanation ; comme de droit, c'était son oncle 'Amr ibn Asad qui devait donner son consentement au mariage. Quelques chroniqueurs nous fournissent certains détails sur le déroulement de la cérémonie, qui, s'ils sont authentiques, nous éclairent un peu sur la vie féminine et sociale de la Mecque à cette -époque

On rapporte que Khadîjah n'avait pas osé demander préalablement la permission de son oncle, craignant peut-être ses objections contre la pauvreté de Muhammad; elle l'avait invité, comme d'autres membres de sa famille, sans lui préciser le véritable objet de la réunion. L'oncle de Muhammad, lui, attendait le signal de Khadîjah pour prendre la parole comme il était coutume. On mangea, et Khadîjah fut particulièrement attentive à la boisson de son oncle. Lorsque celui-ci commença à être ivre, sa nièce le couvrit d'un beau manteau, le fit oindre du parfum khalûq (préparé avec du safran), et fit un signal à Abû Tâlib, qui se leva, et comme de coutume, demanda l'approbation formelle du chef de la famille de la femme. Dans son discours, il fit allusion aux qualités de Muhammad, avec lesquelles aucun jeune Mecquois n'aurait pu rivaliser. Il ajouta qu'il n'était pas riche, mais que la richesse elle-même était passagère comme une ombre; que les deux s'aimaient beaucoup et s'entendaient bien, et que rien ne convenait mieux que de les réunir! Waraqah ibn Naufal, cousin de Khadîjah et son grand ami, était sans doute dans le secret: il se leva alors, et appuya la proposition, en disant que: "Muhammad était comme un chameau de race, qui n'a pas besoin d'être bâtonné sur le nez pour s'asseoir". L'oncle ne bougea pas, et il fut admis que son silence signifiait l'approbation. Au milieu des acclamations et des félicitations habituelles les invités se précipitèrent sur les dattes sèches et le sucre qu'on avait coutume de jeter sur la tête de l'époux. Ce ne fut que vers le soir que le vieil oncle 'Amr se réveilla de son sommeil, et, tout étonné, demanda d'où venaient les parfums et les fumées odorantes, les habits d'honneur et la musique ? Khadîjah de dire: "Mais c'est toi qui m'as mariée aujourd'hui avec Muhammad, fils de `Abdallâh, devant les notables de la ville..." Il y eut quelques vives altercations entre le viel oncle et son indépendante nièce (Ibn Sa'd ajoute même que certains jeunes parents des deux époux mirent leurs armes à la main, mais n'eurent pas besoin de les employer), et lorsque 'Amr vit que le marié était un noble de haut rang et que Khadîjah ne voulait céder en rien, il crut devoir se taire et laisser de bon gré le mari emmener sa femme chez lui'.

Cet incident, affirmé par certains auteurs et rejeté par d'autres, n'a rien d'impossible. Mais s'il est véridique il s'agit évidemment de quelque chose d'assez rare dans la société mecquoise. En tout cas, Muhammad et sa famille n'ont rien fait pour égarer une femme; et même Khadîjah n'a fait que faire valoir son droit en dépit des préjugés mesquins de son oncle contre la pauvreté. Ce fut avant l'Islam.

D'après Ibn Hichâm', le mahr (prix que le mari verse à sa femme, et non aux parents de la femme) consista, à cette occasion, en 20 chamelles; mais d'après Ibn Habîb2, ce fut 12 onces d'argent (soit 480 dirhams), et d'après un autre récit du même auteur, 5oo dirhams. Comme de coutume, à l'arrivée de l'épouse à la maison, l'époux fêta le mariage à son tour, et la viande de deux chameaux, dont parle le récit, signifierait qu'au moins 200 personnes avaient été invitées.

Après un délai discret de quelques jours, Muhammad quitta la maison de son oncle, pour aller habiter dans la maison de sa femme. Sa vie conjugale fut des plus heureuses. Même aujourd'hui, lors des noces chez les Musulmans, au moins dans l'Inde, le cadi dans son sermon de mariage prononce entre autres choses: "Que Dieu réunisse ce couple dans la même amitié qui existait entre Adam et Eve... et entre Muhammad et Khadîjah". Dans l'espace de dix ans, Khadîjah donna naissance à une demi-douzaine d'enfants. Le premier fut un fils, Qâsim, mais il mourut en nourrice, alors qu'il commençait à peine à marcher. Le mariage eut lieu en l'an 595 (28 avant l'Hégire, 15 ans avant la mission divine). Qâsim naquit probablement en 27 avant l'Hégire. D'après Ibn Hazin (p. 38), Khadîjah appela son aîné du nom de ses ancêtres 'Abd al-`Uzzà (qui signifie: adorateur de la déesse al-`Uzzà) ; mais comme Muhammad n'aimait pas de tels noms, il le fit changer en Qâsim (ce qui veut dire: Celui qui distribue, surtout la charité).

Nous avons déjà parlé des enfants de Khadîjah de ses deux premiers maris, mais dans la vie familiale de Muhammad à la Mecque, c'est à peine si l'on en parle. Probablement, d'après les coutumes de la ville, ils avaient été pris en charge par les parents de leurs pères, et ce n'est que de temps en temps qu'ils venaient visiter leur mère. L'enthousiasme avec lequel Hind (fils de Khadijah et d'Abû Hâlah), décrivait la physionomie de son beau-père Muhammad (dans le passage que nous avons déjà cité), montre que Muhammad le traitait avec beaucoup de gentillesse lorsqu'il était petit et venait visiter sa mère.

La nourrice Halîmah devait être très heureuse de voir que son fils avait une belle épouse, un riche foyer, et tout ce

q'il fallait pour une vie convenable. Elle dut être d'autant plus heureuse que sa belle-fille la traitait avec beaucoup d'égards. Suhailîl nous dit en effet que lorsque Halîmah vint voir Muhammad après son mariage, Khadîjah lui donna plusieurs chamelles. La vieille rentra chez elle pleine de gratitude. D'après Ibn Sa'd, et probablement à une époque postérieure, Halîmah vint se plaindre de la sécheresse auprès de Khadîjah, et cette fois elle reçut 40 moutons, et un chameau pour monture.

Il n'y a pas de doute que Muhammad aimait tendrement sa femme. Plus tard, à Médine, après la mort de Khadîjah, lorsque Muhammad s'était marié de nouveau, sa jeune femme chérie, `A'ichah, eut souvent du chagrin et de la jalousie, car Muhammad ne cessait de rappeler la tendresse et l'amabilite de "cette vieille femme de la Mecque morte depuis longtemps",comme la jeune femme voulait l'appeler.

Pendant les quinze ans qui s'écoulèrent entre son mariage et sa Mission divine, comment se comporta-t-il ? Khadîjah nous en parle: Lors de la première révélation du message

divin, Muhammad fut effrayé, et eut peur qu'il ne s'agît d'une tentation du diable, qu'il détestait tant. Khadîjah le consola ainsi: "N'aie pas peur. Dieu ne te mettra jamais dans le mal

Dieu ne te fera que du bien, car tu aides tes proches, tu soutiens ta famille, tu gagnes honnêtement ta vie, tu maintiens les autres dans la droiture, tu donnes asile aux orphelins, tu dis la vérité, tu ne t'appropries pas frauduleusement les dépôts, tu secours ceux qui n'ont rien, tu fais du bien aux pauvres, et tu traites avec courtoisie tout le monde."

Même en faisant la part de l'interlocuteur et de l'occasion, cette citation nous apprend clairement que Muhammad ne touchait pas à l'argent de sa femme, mais qu'il gagnait assez pour entretenir sa famille. Il s'occupait du commerce pour son propre compte, mais bien sûr il se peut qu'il ait continué aussi à s'occuper des affaires de sa femme, car les biens de la femme chez les Mecquois ne devenaient point au mariage les biens du mari, mais la propriété absolue restait acquise à la femme.

Il y eut une famine à cette époque; peut-être était-ce celle pendant laquelle Halîmah était venue chercher le secours de son ancien nourrisson. Tabarî, qui nous en parle, nous dit que, voyant toutes les difficultés dans lesquelles Abû-Talib se trouvait à cause de la famine pour entretenir une grande famille, Muhammad se rendit chez `Abbâs, un autre oncle, qui était plus riche, et lui dit: Abû Tâlib a beaucoup de difficultés en ce moment; il serait charitable de prendre un de ses enfants chez toi, comme moi je vais le faire. Ja'far fut ainsi adopté par 'Abbas, et `Alî par Muhammad.

Un jeune Arabe, Zaid ibn Hârithah, fut fait prisonnier de guerre dans quelque coin de l'Arabie, lors d'une des incessantes razzias, et il fut vendu comme esclave. Après avoir plusieurs fois changé de mains, le pauvre jeune homme arriva enfin à la Mecque, où Muhammad, d'accord avec sa femme, l'acheta. Le temps passa, et lorsque les parents de l'esclave surent où la malheureux se trouvait, ils vinrent à la Mecque avec assez d'argent pour une rançon convenable. Lorsque le père et l'oncle de Zaid se rendirent chez Muhammad et expliquèrent l'objet de leur visite, il leur dit : "J'ai beaucoup de sympathie pour vous, mais votre enfant est comme mon enfant ici; demandez-le lui; et s'il veut aller avec vous, je le lui permets sans aucune rançon de votre part". Comme ils interrogeaient leur fils, celui-ci leur dit : "J'ai vu en mon maître quelque chose qui me le fait préférer à tous, à jamais". Touché par les paroles de Zaid, Muhammad se rendit devant la Ka'bah, et proclama publiquement qu'il affranchissait Zaid et l'adoptait comme fils. Le père et l'oncle de Zaid retournèrent tristement chez eux, mais complètement rassurés sur la situation de leur enfants.

REVEIL DE LA CONSCIENCE RELIGIEUSE

Muhammad avait 35 ans, lorsqu'un événement suscita à la Mecque un réveil de la vie spirituelle: un jour où l'on parfumait avec de l'encens la Ka'bah; une étincelle fut jetée par le vent sur les rideaux de toile autour du sanctuaire, et le bâtiment fut incendié. Bientôt après, les pluies causèrent une inondation, et la construction affaiblie par le feu ne put y résister.

La religion mecquoise était bien dégénérée à cette époque. Rappelons, par exemple, un incident cité par Ibn Habîb : Quelques tribus de Médine vinrent à la Mecque pour conclure une alliance avec les Quraichites ; tout était terminé lorsqu'on apprit aux visiteurs médinois qu'il était de coutume chez la jeunesse de la Mecque, lors même de la prière autour de la Ka'bah, de courtiser et embrasser les belles filles; selon l'auteur, ce n'était là qu'un prétexte pour rompre l'alliance déjà conclue, mais la légèreté avec laquelle les Mecquois parlèrent de ces choses indique bien leur décadence morale. On peut se référer également au fameux incident d'Isâf et de Nâ'ilahZ.

Le conseil municipal se réunit bientôt pour préparer la reconstruction. Tout le monde fut d'accord pour demander aux habitants une contribution spéciale; on décida également

de n'accepter aucun don provenant de gains immoraux, comme usure, prostitution, etc..

A la saison des pluies, il y eut une tempête sur la mer, et un navire byzantin, portant des matériaux de construction de l'Égypte au Yémen, afin d'y bâtir une église, échoua en naufrage sur la côte du Chu'aibah, port de la Mecque. En apprenant la nouvelle, les Macquois coururent au port, donnèrent l'hospitalité aux naufragés, et renoncèrent aux douanes habituelles si les victimes consentaient à vendre ce qu'ils pourraient sauver des épaves, y compris les planches du bateau. Ils achetèrent ainsi une certaine quantité de marbre, de fer et de bois. Parmi les naufragés, Bâqûm, un charpentier copte, décida de s'installer à la Mecque et d'y pratiquer son métier. Les Mecquois furent heureux de tout cela.

Une autre coïncidence : on avait creusé un puits près de la Ka'bah, où l'on jetait toutes les offrandes pour le sanctuaire. Depuis quelque temps, un dragon s'y était réfugié, et lorsqu'il sortait de temps à autre pour montrer sa tête, il causait grande frayeur parmi les habitants. A l'époque dont nous nous occupons, il était sorti un jour, et tout à coup un énorme oiseau, serpentaire, vint se jeter sur lui, et le prenant dans ses pattes s'envola, à la grande satisfaction de toute la ville .

Pour reconstruire, il fallait démolir les ruines; on hésita longtemps par surpersition. Enfin un des vénérables de la ville s'avança, et, prononçant des formules pieuses, donna le premier coup. Les autres attendirent quelque peu, puis ne voyant aucun mal tomber sur le "destructeur" de la maison de Dieu. ils se mirent eux aussi au travail de déblaiement. Nos sources nous disent qu'on arrêta la démolition aux bases qu'Abraham avait posées lors de la construction originelle, bases faites de pierres vertes, et que l'on décida de rebâtir le sanctuaire sur l'ancien emplacement;.

La Ka'bah était un cube, une chambre à quatre murs. Les matériaux rassemblés étant insuffisants pour ériger un bâtiment semblable à celui qui datait, d'Abraham, on décida d'en couvrir une certaine partie et d'en laisser une autre sans toit. On décida d'augmenter la hauteur par rapport au bâtiment détruit, et de placer la porte d'entrée de telle façon que l'accès exigeât une "passerelle", ce qui devait rapporter de l'argent au fonctionnaire détenant la clé de la porte. Dans la partie sans toit, l'accès était libre, et on (employait pour prêter des serments et autres actes solennels. Lorsque les murs commencèrent à s'élever et que vint l'heure de mettre la sainte Pierre Noire à sa place, s'ouvrit une grave querelle

chacun des clans en voulait avoir l'honneur. D'aucuns allèrent jusqu'à apporter un récipient plein de sang, et en jurant de ne jamais céder, ils léchèrent ce sang. Le travail s'arrêta, jusqu'à ce qu'un vieux notable suggéra de soumettre le différend au sort et dit: "Laissons-le à Dieu, et acceptons comme arbitre la première personne qui va venir maintenant ici." Le hasard voulut que ce fût Muhammad. On avait confiance en son honnêteté. Il fit apporter une étoffe, l'étendit sur la terre, plaça la pierre sur l'étoffe, et appela les représentants de toutes .les tribus pour soulever l'étoffe ; puis il mit la pierre lui même à l'endroit voulu. Tout le monde en fut contents.

Un dernier incident à mentionner: les ouvriers qui apportaient les pierres pour la construction des murs, enlevaient leurs pagnes, les pliaient, et les mettaient sur leurs épaules pour ne pas être égratignés par des pierres. Muhammad ne le fit pas et eut les épaules blessées. A la suggestion de son oncle `Abbâs, il le fit, et la tradition dit qu'il tomba aussitôt évanoui pour s'être mis à nu. Il se recouvrit immédiatement et ne recommença plus.

La construction terminée, on la décora de statues et de fresques à l'intérieur comme à l'extérieur. On mentionne à l'intérieur les figures de la Madonne et de l'Entant jésus, ainsi que celles d'Abraham et d'Ismaël. On nous parle' également de 360 idoles autour de la Maison d'Allâh, la Ka'bah. L'édifice, construit pour le Dieu unique, devint ainsi un panthéon. Cela dut donner beaucoup à. réfléchir à ceux des habitants qui avaient une notion plus élevée de la religion, et qui virent les pratiques religieuses dégénérer en culte d'idolâtrie pure et simple.

On avait appris à la Mecque comment les Banû Hanîfah, de l'Arabie orientale, avaient élevé une idole géante composée de farine et de dattes, et comment lors d'une famine ils étaient allés jusqu'à la couper en morceaux et la manger. Dans le désert, s'il n'y avait pas de pierres, les Bédouins trayaient leurs chamelles même sur un amas de sable, puis y pratiquaient les actes d'adoration. Quelquefois, ils offraient aux idoles leurs produits laitiers (beurre, etc.). Les hommes, dans leur superstition, ne touchaient point à ces offrandes, mais il n'en pouvait être ainsi avec les chiens de la tribu, qui les léchaient et ensuite urinaient même sur les pauvres idoles'. Quel homme intelligent n'y trouverait à quoi réfléchir sur la puissance attribuée aux idoles ? A la Mecque même, on raconte qu'un certain individu prenait de jolies pierres pour les adorer, et chaque fois qu'il trouvait une pierre plus jolie, jetait l'ancienne devenue sans valeur à ses yeux, et prenait la nouvelle comme objet de son culte'.

De tels incidents ne pouvaient manquer de donner aux esprits sérieux de quoi réfléchir. Depuis des générations, les Mecquois voyageaient à l'étranger, dans les territoires chrétiens et mages ; et les étrangers passaient par la Mecque. Ne nous étonnons donc pas qu'il y ait eu une crise dé conscience chez les esprits les plus évolués, et que sous le même toit, on ait pu voir les différents membres de la famille ayant différentes religions. Certains avaient embrassé le Christianisme; d'autres cherchaient quelque chose d'autre. Typique est le cas de Zaid ibn 'Amr ibn Nufail : il ne mangeait pas la viande des animaux offerts aux idoles', et, ne trouvant ni dans le Christianisme ni dans le Judaisme ce qu'il cherchait, disait

"O Dieu, si je savais quelle manière d'adoration Te plaît, je m'y conformerais, mais je ne la connais pas" ; puis il se prosternait sur ses paumes. Muhammad lui-même n'oublia jamais le discours de Sâ'idah al-Iyâdî sur le -monothéisme qu'il avait entendu à la foire de `Ukâz. Il se référait parfois aussi aux vers de Labîd et d'Umaiyah ibn Abi's-Salt sur le même sujet' Nous avons déjà vu que le Christianisme s'était répandu un peu dans la famille de la femme de Muhammad. Il n'y avait pas de prêtres ni de moines à la Mecque, mais plusieurs Chrétiens, esclaves, habitaient la villes.

La famille de Muhammad était en général idolâtre, comme les Mecquois moyens, et elle détenait même quelques fonctions cultuelles publiques, telles qu'approvisionner les pèlerins en eau sacrée de Zamzam, etc. Depuis la reconstruction de la Ka`bah, on remarqua chez Muhammad un réveil de la conscience spirituelle. Déjà son grand-père, 'Abd alMuttalib, se retirait dans la caverne de Hirâ' pendant le mois de Ramadân. A son tour Muhammad fut lui aussi attiré par cette vie, et y trouva un moyen de calmer son esprit agité. Chaque année, il passait tout le mois de Ramadân

dans cette même grotte, dans la banlieue de la Mecque, en méditation et en vie ascétique. De temps en temps, sa femme lui envoyait des provisions ; parfois il rentrait lui-même chercher ce qui lui manquait. Il y eut des voyageurs égarés, avec lesquels Muhammad partagea ses maigres provisions. Quand il rentrait de cette retraite, il se rendait d'abord à la Ka'bah, pour y faire les 7 tours rituels, avant de revenir chez lui'.

J'ai visité cette caverne de Hirâ', qui se trouve au sommet du Mont Nûr (littéralement: Lumière). Situé à un kilomètre à peine de l'emplacement de la maison de Muhammad, le Mont Nûr présente un aspect très singulier; on l'aperçoit d'ailleurs de très loin parmi les nombreuses montagnes qui l'entourent. La caverne de Hirâ' est construite avec des rochers éboulés et entassés, qui en forment trois côtés ainsi que la voûte. Elle est assez haute pour permettre à un homme de rester debout, sans que sa tête touche la voûte ; et elle est assez allongée pour qu'il puisse s'y coucher. Par un crieux hasard, l'allongement de cette cavité se dirige vers la Ka'bah. Au sol, le roc est assez plat, et on peut y étendre des draps pour y faire une couchette. L'entrée est constituée par une petite ouverture placée assez haut, ce qui oblige à monter plusieurs marches, faites de rochers, avant d'y pénétrer. On ne sait pas pourquoi on a appelé ce sommet le Mont Lumière. Il est près de la route qui va de la Mecque à l'esplanade de Minà, où les pèlerins de la Mecque vont passer plusieurs jours. Il se pouvait qu'on allumât du feu sur cette montagne, pour servir de guide aux égarés dans la nuit, pratique assez répandue à cette époque dans la région. Puisqu'on allumait un feu sur une colline de Muzdaiifah, comme nous le savons, il n'y a pas de raison pour qu'elle eût été la seule entre `Arafât et la Mecque, car les pèlerins qui venaient des quatre coins de la Péninsule devaient passer là.

On ne sait pas grand'chose sur l'évolution de la pensée religieuse de Muhammad durant ces retraites. Comme il s'y rendait chaque année, il faut croire qu'il y trouvait une consolation spirituelle. Les biographes disent que Muhammad commença à avoir "des rêves clairs comme l'aube" tout ce qu'il voyait dans le sommeil, il en trouvait la signification ou la réalisation dans les faits des jours suivants. Puis il entendait quelquefois une voix étrange : il tournait la tête de côté et d'autre, et ne trouvant personne, s'étonnait et s'effrayait. La voix de l'invisible devint ensuite plus fréquente, et elle prit un sens: on dit que Muhammad entendait quelquefois une voix venant des rochers ou des arbres, qui le saluait en l'appelant par son nom'.

Il avait atteint l'âge mûr, et six mois avant le Ramadân dont nous allons parler, il avait célébré son 40° anniversaire. Le mois de Ramadân arriva, et apparemment pour la cinquième fois, il se rendit dans la solitude, à la caverne de Hirâ'. Plusieurs semaines passèrent sans incident ; puis, la nuit qui précéda le 27e jour de ce mois, il eut une étrange vision ; un être de lumière lui adressa la parole. En voici le récit de sa propre bouche :

Il m'apprit qu'il était l'ange Gabriel, que Dieu l'avait envoyé pour m'annoncer qu'Il m'avait choisi pour Son messager. L'ange m'apprit à faire mes ablutions, et lorsque je revins purifié dans le corps, il me demanda de lire. Moi de répondre : Je ne sais pas lire. Il me prit dans ses bras et me serra très fort, et me laissant ensuite, il me demanda encore une fois de lire. Je lui dis : Mais je ne sais pas lire. 11 me serra de nouveau et plus fort, puis me demanda de lire, et je répondis que je ne savais pas lire. Il me prit dans ses bras la troisième fois, et m'ayant serré plus fortement que jamais, il me relâcha et dit

"Lis par le nom de ton Seigneur qui a créé, qui a créé l'homme d'un caillot de sang. Lis ! Car ton Seigneur, le Très Noble, c'est Lui quia enseigné par la plume. I1 a enseigné à l'homme ce qu'il ne savait pas".'

Puis l'ange partit. On ne sait pas exactement la suite des événements. Il paraît qu'un autre jour, Muhammad eut une vision plus étrange et plus effrayante encore : il vit l'ange assis dans le vide de l'atmosphère [et démesurément grand car il couvrait l'horizon : cela s'appelle une macropsie. C'est un type d'hallucination parfaitement répertorié]. Stupéfait, il ne put plus bouger, jusqu'à ce que les agents envoyés par sa femme vinssent le chercher pour l'emmener à la maison. On raconte aussi qu'une fois le Prophète rentra tremblant chez lui, et s'enveloppa d'une couverture avant de se calmer ; il se peut qu'il s'agisse là du même incident. Les versets du Qur'an où se trouve la formule : "Eh, toi en couverture", se réfèrent à cet événement, même s'ils ont été révélés à une époque postérieure.

Lors de la première révélation, cette inspiration divine par l'intermédiaire d'un ange, il n'y avait personne pour en témoigner, mais plus tard, quand les mêmes faits se répétèrent, il y eut des témoins, car pendant les 23 ans qui suivirent un nombre plus ou moins grand de ses fidèles purent parfois l'observer. Selon leurs dires, le Prophète entendait d'abord une voix d'avertissement, qui ressemblait à un son de cloche, puis l'extase le prenait, et il était tellement agité intérieurement que même un jour très froid les gouttes de transpiration tombaient de son front ; il pesait très lourd à ce moment : s'il se trouvait sur sa chamelle, elle ne pouvait plus le porter : souvent elle s'asseyait ; et si elle ne le faisait pas, les jambes de la chamelle se courbaient en arc et l'on croyait qu'elles allaient se briser. Voici ce qu'ajoute un de ses compagnons : un jour j'étais assis près de lui lors d'une révélation, et par hasard sa cuisse touchait ma jambe ; puis il devint tellement lourd que je croyais que ma jambe allait craquer" [en fait Mahomet eut une bête crise de tétanie qui décupla la force du muscle sa jambe]. D'autres compagnons nous assurent qu'ils entendaient alors un faible bruit, comme celui que font les abeilles'. Aussitôt la communication terminée, Muhammad, revenu à son état normal, apprenait à son entourage le message divin qu'il venait de recevoir, et le dictait à ses scribes. Au dire de Muhammad lui-même, l'archange lui apparaissait sous des formes différentes selon les occasions : quelquefois comme un homme, quelquefois comme un être volant avec des ailes, et quelquefois sous d'autres formes étranges.

La question de forme ne doit pas nous attarder ; nous devons nous occuper du fond, du message que Muhammad communiqua. Avec l'an 4o de sa naissance (609 ap. J.-C.), se clôt la première période de la vie de Muhammad, sa vie privée, et commence sa vie publique, sa mission.

DEBUT DE LA MISSION

La croyance en un Dieu transcendant exclut la notion d'incarnation chez les Musulmans. Ils croient qu'un messager de Dieu reçoit, tout en restant un homme, les révélations et les inspirations divines par l'intermédiaire d'un être invisible aux hommes ordinaires, d'un ange. La mission divine n'est pas une dignité héréditaire, que les enfants reçoivent de leurs parents. Chez les Arabes, il n'y avait pas de prophètes comme chez les Israëlites. Un Arabe reconnu par ses concitoyens pour sa piété et sa rectitude, mais en même temps illettré et sans aucune prétention aux sciences occultes il les détestait même reçoit tout à coup l'annonce qu'il a été choisi par Dieu comme Son messager auprès de l'humanité, et qu'il lui incombe de guider l'Humanité sur le chemin tracé par le Créateur. Nous comprenons sans peine la réaction immédiate de Muhammad, rapportée par son biographe Ibn Ishâql : Muhammad confia à sa femme: "Aussitôt que je suis seul, j'entends une voix qui m'appelle ô Muhammad, ô Muhammad ; et ce n'est pas en sommeil, mais tout à fait réveillé que je vois une lumière céleste. Par Dieu, je n'ai jamais rien détesté plus que ces idoles et ces kâhins (ayant des prétentions à la connaissance des choses invisibles et des choses à venir). Est-ce que je suis devenu moi aussi un kâhin, un occultiste ? Celui qui m'appelle, n'est-il pas un diable ?" Cette crainte d'être considéré par le peuple comme un menteur, un magicien, un possédé, ou un kâhin, était naturelle. Car malgré la crise de conscience chez certains individus, personne dans le pays, et pas davantage le Messager lui-même, ne savait ce qu'était une mission divine, et ne pouvait faire la différence délicate entre l'insinuation diabolique et l'inspiration angélique, les deux se ressemblant quant à leur forme extérieure.

Muhammad reçut les consolations de la fidèle Khadîjah : "Tu es tellement désintéressé et bienfaisant que Dieu ne te laissera jamais tomber dans les épreuves sataniques." Puis, elle le conduisit - selon Balâdhurî', l'envoya en compagnie- d'Abû Bakr - chez son cousin, le Chrétien Waraqah. Celui-ci entendit de Muhammad ce qui lui était arrivé, et il s'exclama: "Non, c'est bien comme du Nomos de Moïse ; cela ne peut jamais être diabolique; si je vis encore, lorsque tu auras des difficultés dans ta mission, je te protégerai et je te soutiendrai de tout ce qui est en mon pouvoir". Ensuite Khadîjah, peut-être à la suggestion de Waraqah, eut l'idée de l'épreuve suivante : "Khadîjah dit au Prophète : appelle moi lorsque tu verras l'ange. Et lorsque le Prophète lui dit Il est là, elle de dire : Viens et assieds-toi à mon côté droit, et dis-moi si tu continues à le voir. Il le fit, et dit : Oui, je le vois. Elle le fit ensuite asseoir à son côté gauche, et devant elle, et toujours la même question eut la même réponse. Ensuite elle le prit dans ses bras en intimité conjugale, et posa la même question. Muhammad répondit: Non, maintenant je ne le vois plus. Elle dit alors : Je suis convaincue qu'il était vraiment un ange, car Satan ne nous quitterait pas dans notre intimité" [La bonne explication sur la disparition de « l'ange » est bien plus simple : n'importe quel homme, y compris un pauvre type qui a des hallucination visuelles lui montrant un ange, pense soudain à tout autre chose quand il est dans les bras d'une femme « en intimité conjugale », c'est à dire nue !].

Les chroniqueurs signalent une interruption momentanée (fatrah) de la révélation après le premier, ou les premiers messages'. Pendant les deux ou trois ans qui suivirent, il faut s'attendre à une évolution chez Muhammad: tout d'abord peut-être la terreur de la révélation, ensuite une période de calme et de contentement, puis l'attente d'une nouvelle extase, et enfin la désolation et le désespoir. Concernant cette dernière phase, les chroniqueurs nous mentionnent que, dans sa tristesse profonde, Muhammad monta plusieurs fois sur les collines pour se suicider ; mais toutes les fois qu'il s'apprêtait à sauter, l'ange Gabriel réapparaissait, et lui confirmait qu'il était vraiment le prophète, le messager de Dieu. Cela le consolait pendant quelque temps, et il reprenait ses pratiques spirituelles de prière et de dévotion. Ses rapports avec sa famille étaient presque coupés, et il couchait dans la cour même de la Ka'bah ; seules l'intéressèrent désormais la purification de l'âme et la charité envers tout le monde.

Cette discipline rigoureuse devait effacer les moindres taches de l'âme, et éliminer les derniers intérêts profanes, en préparant un être qui resterait homme comme tous les hommes, mais dont chaque geste, chaque parole, chaque désir seraient absorbés dans la volonté divine. Quand son développement spirituel eut atteint ce degré, il se résigna même à l'interruption des révélations comme à quelque chose qui ne concernait que le Révélateur, le Seigneur. Et lorsqu'on lui faisait remarquer que son Dieu l'avait abandonné, c'est alors que fut mise la dernière touche à sa préparation spirituelle, et que Gabriel vint avec un nouveau message:

"Par le jour montant !

Et par la nuit quand elle couvre !

Ton Seigneur ne t'a pas abandonné, et Il ne t'a pas non plus détesté.

Et certes l'au-delà est meilleur, pour toi, que le présent.

Et certes ton Seigneur va t'accorder, puis tu seras content.

Quoi ! Ne t'a-t-Il pas trouvé orphelin ? Puis Il a donné asile !

Et ne t'a-t-Il pas trouvé égaré ? Puis Il a guidé !

Et ne t'a-t-Il pas trouvé à charge ? Puis Il a mis au large !

Quant à l'orphelin, donc, n'opprime pas.

Et quant au mendiant, ne repousse pas.

Et quant au bienfait de ton Seigneur, raconte'

"Et quant au bienfait de ton Seigneur, raconte", - ce fut le commandement divin pour prêcher la nouvelle religion, l'Islam, le bienfait suprême en faveur de l'homme.

La première révélation avait déclaré que Dieu seul est le Créateur de tous, qui a généreusement prévu tout ce qu'il faut pour tout le monde, surtout en donnant à l'homme la faculté d'apprendre, et de transmettre, par le moyen de la plume. C'était se séparer nettement de l'athéisme, du polythéisme, et du matérialisme. Dans le deuxième message , dont nous venons de donner le texte, en plus de la puissance exclusive de Dieu, sont enseignés aussi les sentiments de bonté et d'humanité, et le devoir d'aider les pauvres (aussi bien intellectuellement et spirituellement que matériellement). Dans les premiers messages qui suivirent, il est prescrit à tous les croyants d'avertir les hommes des conséquences graves auxquelles doivent s'attendre les mauvaises gens, de commander de n'adorer qu'un Dieu unique, de se purifier, dans le corps comme dans l'esprit, avant d'adorer Dieu, de fuir tout ce qui mettrait Dieu en colère, et de ne jamais croire avoir trop donné ; de propager ouvertement et clairement ce qui est ordonné par Dieu, et de se détourner des polythéistes ; non seulement d'avertir le clan le plus proche, mais aussi de l'assurer que c'était une révélation de la part du Seigneur des mondes, révélation toute distincte des oracles, des prétentions occultistes, et de toute chose diabolique, fantaisiste, ou invention poétique, en ajoutant que la venue de ce prophète a déjà été prédite dans les livres sacrés des anciens .Les commentateurs du Qur'an relèveront que les messages attribués à Zoroastre, à Buddha, à Moïse, à Jésus, laissent tous attendre la venue de quelqu'un pour achever ce qu'ils n'ont pas pu terminer ; il va de soi que ces commentateurs verront la prophétie se réaliser en leur prophète, Muhammad, qui non seulement n'a pas parlé, lui, de l'imminence ou même de la possibilité d'un autre prophète après lui, mais a dit clairement qu'il était le sceau, le dernier des messagers de Dieu.

Le Prophète ne pouvait commencer son activité réformatrice que par les habitants de sa propre ville natale, qui étaient des idolâtres, des païens. C'est ainsi que les premières révélations du Qur'an parlent surtout de deux problèmes : la croyance en un Dieu unique sans aucun associé, sans aucune limite de Sa puissance, transcendant et omniprésent, et la nécessité d'une vie menée sur un chemin droit, en n'oeuvrant que pour le bien. "Croyance et bonnes actions", c'est le thème quine cesse de se répéter dans le Qur'an ; et comme preuve, le Qur'an demande : Qui a créé l'univers y compris l'homme ? Sûrement pas l'homme, mais le Dieu éternel, le Créateur de tout, qui créa tout de rien, et qui est maître de la vie, de la mort, et par conséquent aussi de la résurrection. S'Il peut les créer de rien, ne peut-Il les créer après la mort ?, et les punir ou récompenser après une telle résurrection ? Puis le Qur'an assure que Dieu omniscient enregistre tout ce que nous fusons dans notre vie ici-bas, et qu'Il va en tenir compte le jour du dernier jugement.

Voilà comment l'Islam envisage de persuader à l'homme de ne dire que ce qui est bon et bien, et cela malgré la faculté que l'homme possède pour faire le mal. C'est la base de la moralité islamique, qui oblige l'homme à contrôler volontairement ses désirs, et à s'abstenir du vice malgré son attrait et ses tentations. Le mal parait comme un bien aux yeux de l'Ignorant, qui lie pense qu'à lui-même sans tenir compte des conséquences. C'est le Satanisme, comme le désigne le Qur'an : "le Diable leur eut enjolivé leurs oeuvres-' "leurs pires oeuvres leur ont été enjolivées", etc.

Croyance et pratique réunies, cela impliquait des conséquences d'une portée très lointaine. Il fallait s'attendre à des résistances acharnées.

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