Les sept piliers de la sagesse

Les sept piliers de la sagesse, recto Les sept piliers de la sagesse, verso

"Les sept piliers de la sagesse" a été publié par Thomas Edward Lawrence en 1936 sous le titre original « seven pillars of wisdom ».
Exemplaire de la réédition de 1992 aux éditions PAYOT, 106 Bd Saint Germain, Paris VIème. ISBN : 2-228-88544-4

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En 1926, Thomas Edward Lawrence publie Les sept piliers de la sagesse, autobiographie fascinante dans laquelle il mêle au récit de ses aventures en Arabie analyses politiques et réflexions philosophiques.
Envoyé en Arabie pour établir la liaison avec le chérif de La Mecque en révolte contre le pouvoir ottoman, c'est presque comme un croisé qu'il est engagé dans la Grande Guerre. Il participe au soulèvement anti-turc et continue son action jusqu'à la Conférence de la paix où ses propositions sont écartées, et dénoncées les promesses qu'il avait faites d'unifier l'Orient arabe sous la souveraineté hachémite. Le colonel Lawrence démissionne de ses fonctions mais se rengage aussitôt, sous des noms d'emprunt, comme simple soldat. Il meurt en 1935, peu après avoir quitté l'armée, dans un accident de motocyclette.

Lawrence a-t-il été, dans la révolte arabe, un chef de guerre, l'inventeur inspiré de la guérilla ? Ou bien un agent secret mythomane et doué pour les lettres ? Sa transformation en bédouin est-elle autre chose qu'un travestissement ? Qu'en est-il de son homosexualité ?

Le mythe de Lawrence tient à une existence et à une personnalité hors du commun. Mais il ne serait rien sans ce texte qui s'impose comme un grand moment de la prose anglaise du XXe siècle.

Design Pentagram
Illustration : affiche du film de David Lean, Lawrence d'Arabie
(Columbia Films), © Cat's.
92-IV
catégorie 6
ISBN 2-228-88544-4
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Nul Européen n'a mieux compris les Arabes que Thomas-Edward Lawrence - Lawrence d'Arabie. L'agent britannique qui en 1917 soutint la révolte du Hedjaz contre, les Turcs, a fait dans les premiers chapitres de ses « Sept Piliers de la Sagesse », écrits en 1921, une description étonnamment actuelle des autochtones de la péninsule Arabique. Nous en avons tiré les extraits suivants, où les vertus et les défaillances d'une race aux pulsions brutales s'éclairent au jour de l'histoire. Que ce portrait ait été tracé par un homme qui a très profondément aimé les Arabes n'en rend que plus inquiétante l'image qu'il donne d'un peuple « aveugle aux couleurs comme aux nuances »... (citation extraite du magazine non conformiste français « Le Crapouillot » consacré au « défi arabe : vers la dictature du pétrolariat » – Mars-avril 1975)

Extraits :
les passages [surlignés, en italique entre crochets,] sont des commentaires.

(p. 45) Les régions de langue arabe en Asie dessinent vaguement un parallélogramme. Le côté nord va d'Alexandrette sur la Méditerranée à travers la Mésopotamie à l'est, jusqu'au Tigre. Le côté sud suit le bord de l'océan Indien d'Aden à Mascate. La frontière ouest est marquée par la Méditerranée, le canal de Suez et la mer Rouge jusqu'à Aden; celle à l'est par le Tigre et le golfe Persique jusqu'à Mascate. Aucune race étrangère n'a pu prendre pied définitivement dans ce rectangle aussi vaste que l'Inde, quoique les Égyptiens, les Hittites, les Philistins, les Perses, les Grecs, les Romains, les Turcs et les Francs aient tour à tour essayé de le faire. Tous ont été brisés à la longue, leurs éléments dispersés, engloutis par les fortes caractéristiques de la race autochtone. Les Sémites, en revanche, ont quelquefois tenté de passer leurs frontières, mais se sont dissous à leur tour dans le monde extérieur.

(p. 51) Ce peuple [arabe] voit le monde sous des couleurs primaires ou, mieux encore, en contours découpés, noir sur blanc. Son esprit dogmatique méprise le doute, notre moderne couronne d'épines. Il n'entend rien à nos hésitations métaphysiques, à nos anxiétés introspectives. Il connaît simplement la vérité et la non-vérité, la croyance et la non-croyance, sans l'indécise continuité de nos nuances plus subtiles.
Ce noir et blanc de la vision arabe, nous le retrouvons dans l'esprit et l'ameublement. Du noir et blanc ce peuple aime la clarté, mais aussi le contraste. Sa pensée n'est à l'aise que dans les extrêmes. Par goût elle se loge dans les superlatifs. Parfois, à quelque articulation de la pensée, deux contradictions s'emparent des Arabes au même instant ; ils n'acceptent pas pour cela de compromis. Sans percevoir la moindre incongruité, ils poussent à l'absurde, avec logique, leurs opinions incompatibles. La tête froide, le jugement tranquille, dans une imperturbable inconscience dee leur oscillation, ils volent d'asymptote en asymptote.
Ce peuple à l'esprit étroitement limité peut laisser en friche son intelligence avec une résignation dépourvue de curiosité. Son imagination est vive; elle n'est pas créatrice. Il y a si peu d'art arabe en Asie qu'on peut presque le négliger; et ceependant les hommes rtiches y sont des patrons libéraux qui encouragent volontier en architecture, en céramique ou dans tout autre industrie, les talents de leurs voisins et dee leurs esclaves. La grande industrie leur est étrangère : il n'y a pas en Arabie d'organisations pour le corps ou pour l'esprit. Ils n'ont pas inventé non plus de systèmes philosophiques ou des mythologies complexes.

(p. 51) Peuple de convulsions, de soulèvements, d'illuminations mentales: race du génie individuel. Leurs mouvements subits confondent d'autant plus qu'ils s'opposent à une quiétude quotidienne; leurs grands hommes sont d'autant plus grgands qu'ils se détachent su la simple humanité d'une foule. L'instinct règle leurs convictions; l'intuition, leurs activités. La plus grande industrie des Arabes est la fabrication des croyances : ils ont presque le monopole des religions révélées.

(p. 51) L'existence est à leurs yeux un usufruit imposé à l'homme et qu'un destin hors de notre contrôle accorde ou reprend à son gré. Le suicide, dès lors, est inimaginable et la mort cesse d'être un mal. [En ce qui concerne le suicide, force est de constater que Lawrence s'est fourvoyé, ce que l'on peut d'ailleurs déjà déceler dans sa propre formule : si la mort n'est pas un mal, quel mal dès lors y-aurait-il au suicide ?]

(p. 52) Trois de ces élans se sont affermis chez eux [judaïsme, christianisme et islam], et deux sur trois ont supporté l'exportation (sous une forme modifiée) chez les peuples non sémitiques. Le christianisme, traduit en Grec, en Latin, en Teuton suivant l'esprit de ces langues diverses, à conqui l'Europe et l'Amérique. L'Islam, en différentes métamorphoses, soumet encore l'Afrique et quelques parties de l'Asie. Ce sont là les succès des Sémites. Ils gardent pour eux leurs échecs. La frange des déserts arabes est jonchée de croyances brisées.

(p. 54) Le bédouin ne saurait chercher Dieu à l'intérieur de lui-même : il est trop sûr d'être à l'intérieur de Dieu. Il ne peut même rien concevoir qui soit ou ne soit pas Lui. Cependant il trouve dans ce Dieu arabe, qui seul est grand [Allah], mais qui est aussi sa façon de manger, de se battre, de faire l'amour, sa pensée la plus familière, son appui et son compagnon, certaines qualité raciale, domestique, quotidienne, incompréhensible aux hommes toujours séparés de la Divinité qu'ils adornet par le désespoir d'uune indignité charnelle et le décorum d'un culte formel. Les Arabes ne jugent nullement indécent de faire descendre Dieu au sein de leur faiblesses ou de leurs désirs les moins honoables. Il est le plus familier de leurs mots.

(p. 55) Le désert est transformé en une sorte de glacière spirituelle où se conserve pour l'éternité, pure de tout contact mais aussi de toute amélioration, la vision de l'unité divine.

(p. 55) L'Arabe de la ville, du village, pour vivre, doit s'abandonner chaque jour au plaisir d'acquérir et d'accumuler; par un choc fatal en retour, il devient le plus grossier et le plus matériel des hommes. Le mépris éblouissant de l'existence qui conduisait les autres à une nudité ascétique, l'entraîne, lui, au désespoir. Il se dissipe comme un prodige, et pour en finir au plus tôt, jette à tous les vents son héritage charnel. (...) Le Sémite a toujours oscillé entre la luxure et la macération.

(p. 56) On peut lier les Arabes à une idée comme à une longe : la libre allégeance de leurs esprits en fait des serviteurs fidèles et soumis. Aucun d'eux n'essaie d'échapper avant le succès. Mais avec lui viennent les responsabilités, les devoirs, les engagements; l'idée meurt et l'oeuvre s'achève - en ruines. On entraînerait les Sémites, il est vrai, aux quatre coins du monde (mais non au ciel) sans croyance, rien qu'en leur montrant les richesses et les plaisirs de la terre. Mais qu'ils rencontrent sur leur route le prophète d'une idée, sans toit pour abriter sa tête et sans moyen de subsistance que la chasse ou la charité, et ils le suivront aussitôt en abandonnant leurs richesses. Leur esprit est étrange et sombre, riche en affaissements comme en exaltations, sans mesure, mais plus ardent et fertile en croyance que n'importe quel autre au monde. Peuple des beaux départs : entraîné le plus follement par le concept le plus abstrait, déployant dans la lutte un courage et une invention sans limites, et indifférent à la fin; peuple aussi instable que l'eau.
Mais, précisément, comme l'eau, assuré peut-être, à la fin, de la victoire... [C'est cette idée qui a inspiré le roman « Dune » de l'écrivain Frank Herbert]

(p. 57) La première grande invasion autour de la méditerranée avait montré au monde, le temps d'une flambée, la puissance physique de cette race [arabe]; l'enthousiasme éteint, son manque de persévérance et d'esprit organisateur apparut aussi clairement.
(...) Les civilisations arabes ont été de nature abstrtaite, intellectuelle et morale plutôt que pratique ; et l'absence d'esprit public de la race dominante y a bientôt rendu inutiles d'excellentes qualités privées. Le seul bonheur de la civilisation arabe fut son époque ; L'europe était tombée dans la barbarie et le souvenir de la culture gecque et latine s'effaçait peu à peu des esprits. Par contraste les copies des Arabes parurent cultivées, leur activité mentale fructueuse, et leur état politique prospère. Ils ont rendu un réel service à l'humanité en conservant, pour un futur moyenâgeux, quelque chose d'un passé classique.

(p. 58) Le premier devoir d'un musulman est d'étudier le Coran, livre sacré de l'Islam, et, incidemment, le plus grand monument littéraire arabe.

(p. 62) Le titre de chérif est accordé seulement aux descendants de Fatma et de Hassan, fille et fils aîné du prophète Mahomet. [Ici apparaît la méconnaissance de Lawrence en ce qui concerne la religion musulmane et la biographie de Mahomet : Hassan est mort enfant et Mahomet n'a eu qu'un seul enfant viable, sa fille, qui a par conséquent été la seule à lui assurer une descendance. On notera donc que Lawrence put être un leader Arabe sans connaitre l'islam, simplement en jouant sur les traits propres au peuple Arabe, traits qui correspondent point par point à ce que l'on trouve dans le coran et la biographie de Mahomet. On peut de cela en conclure que le coran est bien, à l'origine, un livre arabe créé par un arabe pour des arabes.].

(p. 64) « jehad », guerre sainte des musulmans contre les chrétiens. (...) La Guerre Sainte était doctrinalement incompatible avec une guerre d'agression. [Le simple fait, pour un non-musulman, de s'opposer à l'hégémonie musulmane, y compris si cette hégémonie se fait par des méthodes crapuleuses de harcèlement, de pression et d'intimidation, est suffisant pour que le musulman soit en position de défense de sa religion et, de ce fait, pleinement autorisé à recourir à la Guerre Sainte pour... se « défendre » contre ces chiens d'infidèles qui « agressent » l'islam !]

(p. 69) La race Turque est la plus lente de l'Asie occidentale, peu capable de s'adapter aux nouvelles formes de gouvernement et de vie.

(p. 108) Les jardins sont confiés à des esclaves comme ceux qui nous avaient servi le repas. Les membres épais de ces nègres, leurs corps assez gras et luisants paraissaient curieusement déplacés parmi ces Arabes-oiseaux. Ils sont, m'appris Khallaf, originaires d'Afrique, amenés là dans leur enfance par leurs pères putatifs Takruri et vendus pendant le pèlerinage de La Mecque. Adultes et vigoureux ils valent de cinquante à quatre-vingts livres pièce et reçoivent les soins que mérite leur prix.

(p. 122) Les Arabes sont convaincus d'être le sel de la terre.

(p. 122) [Une masse d'Arabes] n'était nullement formidable, car ils n'avaient ni esprit de corps, ni discipline, ni confiance réciproque. Ils n'agissaient efficacement qu'en petits groupes : plus l'unité considérée était faible, meilleurs étaient les résultats. (...) Napoléon avait fait la même remarque à propos des Mameluks.

(p. 258) C'est un peuple bizarre que celui des Bédouins. Leur compagnie constante exige d'un Anglais des abîmes de patience. Esclaves absolus de leur appétit, sans résistance spirituelle; buveurs incontinents de café, de lait ou d'eau; bâfreurs de viande bouillie; toujours à mendier un peu de tabac, ils rêvent pendant des semaines à de rares voluptés sexuelles et remplissent les intervalles en se chatouillant et en chatouillant leurs auditeurs d'histoires obscènes. Dans d'autres circonstances, l'occasion aidant, ils fussent devenus de bas sensualistes. Leur force provient seulement des conditions géographiques qui leur interdisent les tentations. La pauvreté de l'Arabie les rend simples, continents, endurants malgré eux. Jetés dans un pays civilisé, ils succomberaient comme toute race sauvage, minés par les maladies, l'abjection, la luxure, la cruauté, la fourberie et l'artifice qui les atteindraient plus que d'autres, faute de vaccination.

(p. 260) Fayçal s'était levé précipitamment; Aouda lui prit la main et la baisa. Puis tous deux s'écartèrent en se considérant - couple superbe unissant ce que l'Arabie avait de plus haut : Fayçal le Prophète et Aouda le Guerrier, - chacun d'eux parfait dans son genre, aimant et comprenant l'autre.
[Mahomet, tout à la fois Prophète et Guerrier AU SENS ARABE DE CES DEUX MOTS fut donc une synthèse parfaite de ce que l'Arabie pouvait produire de plus plaisant aux Arabes. C'est en affirmant de plus être l'Envoyé de Dieu qu'il eut son succès considérable. Attention, le sens arabe du mot « Prophète » ne recouvre pas le sens occidental de ce mot. Au sens Arabe, un Prophète n'est pas forcément un envoyé de Dieu. On trouve la description des qualités qui font de Fayçal un Prophète, au sens arabe, en page 209 :] Fayçal prit aussi l'habitude de les placer [les chefs des différentes tribus arabes] sans retard en présence de leurs ennemis mortels afin d'arbitrer leurs querelles. Un compte de profits et pertes était dressé entre les deux parties : l'émir intercédait, nuançait et payait maintes fois sur ses propres fonds tout ou partie de la somme contestée pour hâter la conclusion de l'accord. Pendant deux ans, Fayçal a travaillé ainsi, chaque jour, ajustant dans leur ordre naturel les innombrables pièces de la société arabe et les composant pour un seul dessein : la guerre de libération contre les Turcs. [C'est exactement ce que fit le prophète Mahomet dans la région de Médine, son seul dessein d'alors était la guerre contre les Mecquois qui l'avaient chassé, lassés de ses prétentions à vouloir tout diriger sur la base de ses révélations soi-disant divines.] Son passage dans un district a toujours effacé les vendetta ; il était devenu la cour d'Appel, ultime et incontestée, de toute l'Arabie Occidentale; Il était digne de ce rôle et le montra. On ne le vit jamais rendre un jugement partial ou marqué d'une justice si impraticable qu'elle eût conduit au désordre. Aucun Arabe ne discuta ses arrêts ; nul ne mit en doute, dans ces disputes entre tribus, sa sagesse et sa compétence. Par une enquête patiente sur les droits et les torts, son tact et une prodigieuse mémoire, il conquit son autorité sur les nomades de Médine à Damas et plus loin encore. Tous reconnurent en lui une force qui transcendait la tribu, surpassait les chefs de clan, dominait les jalousies. [C'est exactement ce que fut Mahomet en son temps : un Fayçal. Mais il fut aussi un Guerrier au sens Arabe, un Aouda. Et là, le personnage devient soudainement beaucoup moins sympathique... Lawrence donne la description du Guerrier Aouda, où l'on constate de nombreux points communs avec Mahomet, en page 261-262 :] Il pouvait avoir plus de 50 ans. (...) [Comme Mahomet à son arrivé à Médine] Il était encore (...) aussi actif qu'un jeune homme [Comme Mahomet, qui fut à ce point jeune d'esprit qu'il en devint pédophile]. Son visage avait un profil et des modelés magnifiques. On y lisait le drame de son existence : la mort (...) de son fils favori Annad. Ainsi avait fini son rêve de transmettre aux générations futures la grandeur du nom d'Abou Tayi. [Comme Mahomet] (...) Seuls les insatiables ne ressentaient pas quelque gêne de son hospitalité sans limites. Aussi restait-il pauvre, malgré cent raids heureux [Comme Mahomet]. Il avait contracté ving-huit mariages [Comme Mahomet, c'était un obsédé sexuel, ou un homme très viril, selon le point de vue que l'on adopte.]; reçu treize blessures ; vu blessé tous ses hommes sans exception [Comme Mahomet] et mourir la plupart de ses parents [Comme Mahomet]. Lui-même avait tué de ses mains [Comme Mahomet] soixante quinze Arabes au cours de combats ; (...) Les Tohoueias, sous son commandement, étaient devenus les premiers guerriers du désert, avec une tradition de courage fou, un sentiment de supériorité qui ne les quittait pas tant qu'ils sentaient en eux de la vie (...) [Comme les médinois avec Mahomet] Aouda faisait des raids aussi souvent et aussi loin que possible (...) [Comme Mahomet] Dans son style de bandit, il avait la tête aussi positive que chaude : un lucide calcul des chances le guidait à travers ses exploits les plus fous. [Comme Mahomet. Le reste du portait correspond aussi largement :] Sa patience, au cours d'un combat, était extrème : il recevait et ignorait les avis, les critiques et les injures avec un sourire d'une constance vraiment ravissante. Dans la colère son visage se contractait irrésistiblement : tremblant d'une rage que le meurtre seul pouvait apaiser, il devenait alors une bête féroce que les hommes fuyaient. Rien au monde, persuasion ou ordre, n'était capable de lui faire faire la moindre chose contre son gré et, sa décision prise, le sentiment d'autrui ne comptait plus. Il voyait la vie comme une saga. Le moindre évènement y prenait un sens; le moindre personnage en contact avec lui devenait héroïque. Son esprit était tout meublé de poèmes célébrant des raids anciens et de récits épiques qu'il déversait sur le premier auditeur venu [Comme Mahomet à ses débuts à La Mecque, ce qui lui valu de se faire virer par les Mecquois excédés]. En l'absence d'auditeur il se les chantait sans doute à lui-même de sa voix formidable, profonde, résonnante et haute [Comme Mahomet si l'on en croit la sourate 72 ]. Incapable de surveiller ses paroles, il nuisait à son propre crédit [Comme Mahomet qui a truffé son coran d'incohérences.] et blessait ses amis continuellement; Il parlait de lui à la troisième personne [Comme Mahomet dans son coran.], si assuré de sa gloire qu'il se plaisait à déclamer des histoires défavorables sur son compte; Il semblait parfois saisi par le démon du mal et racontait en public, sous la foi du serment, d'épouvantables histoires (inventées de toute pièces) sur la vie privée de son hôte ou de ses invités. Avec tout cela, c'était un homme modeste, simple comme un enfant, franc, honnête, généreux, et profondément aimé même par ceux qu'il gênait le plus - ses amis.
[On trouve aussi en page 261 une admirable démonstration de ce que peut-être la « logique » d'un tel parfait guerrier arabe :] Nous formions une joyeuse table (...) Soudain Aouda se dressa d'un bond : « Dieu me pardonne », dit-il, et il sortit de la tente. Tous les convives se regardèrent interdits. Un grand martèlement me fit sortir à mon tour. Aouda, penché sur un roc, écrasait son dentier à coups de pierre. « J'avais oublié, m'expliqua-t-il, que ce fût un cadeau de Djemal Pacha; malheureux qui mangeais le pain de mon Seigneur avec des dents turques ! » Mais ses propres dents étaient rares. Il eut depuis ce jour toutes les peines du monde à manger de la viande qu'il adorait, et se nourrit fort mal jusqu'à la prise d'Akaba. Si Reginald Wingate lui envoya alors un dentiste d'Egypte pour lui faire un appareil allié.

(p. 278) Saad, alors, me raconta en riant l'histoire du couple; C'était un exemple, entre jeunes gens orientaux, de ces affections que l'absence de femmes rend inévitables. Ces amitiés d'adolescents conduisent souvent à des amours viriles d'une profondeur et d'une force qui dépassent de loin nos vaniteuses obsessions charnelles. Dans la période d'innocence, elles sont chaleureuses et sans honte. Si la sexualité entre en jeu, elles deviennent un commerce hors du spirituel, un échange de bons offices, comme le mariage.