NOTICE BIOGRAPHIE SUR MAHOMET

kasimirski, 1840

Mohamed, ou Mohammed, suivant l'orthographe et la prononciation des Orientaux, naquit le 1er avril 579* de Jésus-Christ, à la Mecque, ville du Hedjaz, province de l'Arabie. Il eut pour père Abdallah, fils d'Abdallah Mottalib, et pour mère Amina, fille de Wahib. Il appartenait ainsi doublement à la tribu des Koreïchites, tribu nombreuse et puissante, qui s'était enrichie par le commerce et rendue importante par l'exercice de la souveraineté de la Mecque et la garde du temple de la Kaaba. Elle devait encore son importance à l'antiquité et à l'éclat de son origine. Israël, fils d'Abraham, ce représentant du culte unitaire dans la race sémitique, s'était établi à la Mecque, et devint le père d'une tribu qui, à une certaine époque, reçut le nom de Koreich. Les historiens musulmans admettent sans contestation la généalogie de Mahomet à travers vingt et une générations jusqu'à Adnan, descendant d'Ismaël ; à Adnan, la chaîne généalogique offre une lacune qu'on chercherait vainement à remplir. On ajoute que chacun des ancêtres de Mahomet avait empreinte sur sa figure la lumière prophétique, transmise en dernier lieu et éteinte dans la personne du fils d'Abdallah. Si nous n'ajoutons pas foi au récits des miracles qui ont dû accompagner la naissance de Mahomet ou entourer les jours de son enfance, nous ne trouvons rien d'extraordinaire dans sa vie jusqu'à l'époque de son apostolat. Il perdit son père quand il n'avait que deux mois, et sa mère à l'âge de six ans. Son éducation fut d'abord confiée à son grand-père, et ensuite à son oncle Abou Taleb. Ce dernier l'emmena avec lui dans son voyage à Bosra, en Syrie, et c'est là, dit-on, que Mahomet, âgé alors de treize ans, fit rencontre d'un moine nestorien nommé Bahira, qui déviant les destinées futures du jeune Koreïchite, aurait recommandé à son oncle de veiller sur lui, et surtout de le prémunir contre les artifices des juifs. A son retour en Arabie, Mahomet prit part à la guerre d'El Fidjar (violation du mois sacré), que sa tribu soutenait contre celle de Benou-Hawazin. Cette participation se réduisait cependant à bien peu de choses : bien jeune encore, Mahomet était chargé de ramasser les flèches lancées par les combattants. A l'âge de vingt-quatre ans, il alla deux fois dans l'Yémen, et fit, l'année suivant, un second voyage en Syrie avec un certain Meïssara, homme d'affaires d'une veuve nommée Khadidja. Cette fois encore, il eut occasion de s'aboucher avec quelque moines chrétiens, et ces entretiens pouvaient exercer une grande influence sur son esprit. Dans ce voyage, la conduite de Mahomet fut telle, que Khadidja, à son retour de Syrie, lui offrit sa main et sa fortune ; Mahomet, âgé de vingt-cinq ans, donna à son épouse, âgée de quarante ans, vingt jeunes chamelles à titre de don nuptial. Cinq ans après, les Koreïchites étaient occupés à reconstruire le temple de la Kaaba, dévoré par les flammes ; lorsqu'il fallut poser dans l'un des côtés du temple la pierre noire, objet d'une grande vénération, toutes les divisions de la tribu briguèrent cet honneur ; la contestation pouvait dégénérer en querelle : on résolut enfin de s'en remettre à la décision du premier citoyen qui entrerait par la porte du temple. Mahomet, qui travaillait, lui aussi, à la réédification du temple, et qui était absent depuis quelques heures, reparaît, est pris pour arbitre, fait mettre la pierre noire sur un manteau dont un membre de chaque tribu doit tenir un bout, et pose la pierre noire de ses propres mains. Mahomet, qui s'était déjà acquis la réputation d'un homme de bien et le surnom de Emin (loyal, fidèle), se concilia par cette décision l'approbation et l'estime générales ; car, tout en mettant d'accord les prétentions de quatre familles, il sut, sans les blesser, se ménager une part honorable dans une circonstance aussi solennelle pour les Koreïchites. A partir de cette époque, l'histoire de Mahomet ne nous enseigne rien sur sa vie jusqu'à la quarantième année de son âge, qui fut celle de sa mission. Dès sa plus tendre enfance, on lui avait toujours connu un goût marqué pour la solitude. Souvent, avec sa famille, il se retirait sur la montagne de Hara, voisine de la Mecque ; là, il passait des nuits entières dans la solitude et la méditation. Les souvenirs que lui laissaient ses voyages en Syrie, les entretiens avec les chrétiens et les juifs disséminés dans toute l'Arabie, le spectacle de leurs disputes religieuses, la dévotion des moines, la-vie bruyante et sauvage des Arabes, tout cela n'était sans doute pas étranger aux graves préoccupations de Mahomet. Bientôt sa mère s'exalta, il sentit couler dans ses veines le sang d'Ismaël, fils d'Abraham et conservateur du dogme de l'unité de Dieu : il se crut aussi appelé à briser, comme son aïeul, les idoles de sa nation.

Il était âgé de quarante ans. Un jour, absorbé dans ses méditations, il crut entendre une voix qui lui criait : « Lis. - Et que lirai-je ? - Lis, au nom de Dieu qui a créé l'homme du sang coagulé, qui a enseigné aux hommes l'Écriture, qui leur a appris ce qu'ils ne connaissaient pas ». (Kor., chap. XCVI). Il fut au milieu de la montagne, et entendit une voix : « 0 Mohammed, tu es l'apôtre de Dieu, et moi je suis Gabriel ». Cette voix décide de sa mission prophétique ; il raconte sa vision à sa femme qui, à son tour, fait part de cet événement à Warka ben Naufel, son cousin, homme versé dans les Ecritures. Celui-ci admet la possibilité de la révélation, et voit dans Mahomet le Moïse des Arabes**. Khadidja embrasse la première la nouvelle foi. Après elle, Ali, fils d'Abou Thaleb, Zaïd, affranchi de Mahomet, et Abou Bekr, plus tard calife, sont regardés comme les premiers musulmans. Mais l'influence morale que Mahomet exerce sur ceux qui l'entourent ne peut encore franchir ce cercle restreint, et ce n'est qu'au bout de trois ans, après bien des entretiens et des initiatives secrètes, qu'il déclare ouvertement la guerre aux anciennes croyances de ses concitoyens. Les premières prédications de Mahomet lui attirent d'abord des railleries, puis la haine et l'envie qui le poursuivent jusque dans sa famille. Quoique ces mécomptes fussent largement compensés par l'accession de quelques hommes marquants, tels que hamza et Omar, un grand nombre de prosélytes furent obligés de quitter la Mecque et de fuir jusqu'en Abyssinie les persécutions des idolâtres. Les Koreïchites s'étaient même engagés par un pacte à ne point avoir de rapports avec les Benou-Hachem, qui, par les liens du sang, tenaient à Mahomet. Enfin forcé lui-même d'abandonner sa ville natale, il passa trois ans dans une gorge de montagne avec ses Prosélytes les plus zélés.

De là il se transporta à la ville de Taïef pour y chercher des alliés contre les Mecquois ; mais il y fut accueilli par des railleries et des insultes ; il retourna encore à la Mecque et trouva les idolâtres plus hostiles que jamais à la nouvelle foi. Après des démarches infructueuses auprès des différentes tribus arabes réunies à la Mecque à l'époque du pèlerinage, il quitta cette ville et passa à Iattrib, ville du Hedjaz, appelée depuis ce temps Médine (Médinet en'Nabi, ville du prophète), où l'appelaient des amis déjà nombreux et dévoués à sa cause. Cette retraite de la Mecque, opérée à la faveur d'une ruse par laquelle Mahomet échappa à une mort certaine, fut appelé depuis hégire (Hidjred, fuite), et commence l'ère des Mahométants. Mahomet se vit dès lors à la tête des Mohadgers (émigrés) sortis de la Mecque, et des Ansars (auxiliaires), citoyens d'Iatrib, qui étaient venus à la Mecque pour lui offrir leur assistance. Développant toujours sa doctrine par des additions successives aux versets déjà révélés du Koran, partout sur son passage, il fondait des oratoires, et s'occupait à organiser ses forces. Dans la seconde année de l'hégire, il ordonna que chaque musulman se choisit un ami et se liât à lui par une fraternité indissoluble ; et, pendant que cette institution touchante établissait des liens étroits au sein même du nouveau culte, diverses autres institutions, qui datent de la même année, tendaient à séparer extérieurement les musulmans des populations qui les entouraient. Un événement important signala cette année. Mahomet, sachant qu'une caravane de Koreïchites, forte de neuf cent cinquante hommes, s'approchait de Médine, sortit de la ville, attaqua (le 1er mars 624) les ennemis de Bedr, et les battit complètement. Ce premier avantage obtenu sur les idolâtres n'était pas sans doute capable de les désarmer, encore moins de les anéantir ; mais il inspira aux musulmans la confiance en leurs forces, et fit passer Mahomet des fonctions de simple apôtre à celles de chef militaire. Quand on considère qu'après douze années de prédication, Mahomet, dans ce premier conflit ne put opposer à l'ennemi que deux cavaliers et une infanterie de trois cent onze hommes, on doit comprendre combien d'obstacles s'opposaient à la propagation de la nouvelle doctrine, et de quelle importance était le moindre succès. La victoire de Bedr était un succès décisif et fécond ; l'année suivante nous trouvons Mahomet à la tête de mille hommes, dont sept cents engagèrent le combat contre trois mille Koréïchites. Cette bataille d'Ohad, d'abord à l'avantage de Mahomet, le mit à deux doigts de sa perte : les musulmans, emportés par une avidité aveugle, se jetèrent sur le butin à la première apparence de succès, et leur désordre leur enleva la victoire. Mahomet fut blessé en se mêlant avec courage aux rangs des combattants. Les expéditions des années suivantes, celle de Radji, du puits de Maouna, et celle contre la puissante tribu des Benou Mostalak, conduites toutes avec succès, réparèrent les pertes essuyées. La sixième année de l'hégire, Mahomet conclut avec les idolâtres une trêve pour dix ans, démarche qui eût pu lui aliéner les plus zélés de ses partisans, ceux qui prenaient trop à la lettre les paroles d'anathème lancées contre toute transaction avec les idolâtres. Mahomet profita de cet armistice pour aller assiéger la tribu juive de kaïbar. La prise de cette place, défendue avec opiniâtreté, livra entre ses mains un grand nombre de prisonnier et plusieurs places d'alentour, entre autres Fadak, qui devint propriété de sa famille. Rassuré, par ses dernières victoires, sur l'avenir de sa mission en Arabie, Mahomet jugea à propos d'en instruire les princes des pays voisins, et dépêcha vers le roi de Perse, l'empereur romain, le roi d'Abyssinie et quelques autres princes idolâtres ou chrétiens, des envoyés porteurs de lettres dans lesquelles il exhortait tous ces princes à embrasser l'islamisme.

Cet appel, reçu diversement et sans résultat immédiat, n'en contribua pas moins à étendre la renommée de l'apôtre des Arabes. Il fallait cependant frapper un coup décisif et se rendre maître de la Mecque. La paix conclue avec les Koréïchites semblait reculer ce moment, et les musulmans, admis, sur la foi de cette trêve de dix ans, dans l'enceinte sacrée de la Mecque pour s'acquitter des cérémonies du pèlerinage, n'osèrent et ne voulurent point être agresseurs. Il arriva cependant que les Koréïchites envoyèrent des secours à la tribu du Benou Bekr, leur alliée, contre celle des Benou Khozaa, alliée de Mahomet. Celui-ci envisageant cette assistance comme une violation du pacte juré, fit aussitôt les préparatifs nécessaires, et, malgré l'échec éprouvé récemment par les trois mille musulmans dans l'expédition de Moutah contre les Grecs, s'avança à la tête de dix mille hommes des murs de la Mecque. Les Koréïchites ne pouvant opposer aucune résistance sérieuse, la ville tomba au pouvoir des musulmans presque sans coup férir (12 janvier 630 de Jésus-Christ, 8 de l'hégire). Mahomet y entra monté sur une chamelle, et après avoir fait sept fois le tour de la Kaaba, entra dans le temple, où il abattit de sa main les idoles. Le même jour, à midi, un muezzin annonça l'heure de la prière du haut de la Kaaba. Mahomet, ravi d'un succès si éclatant obtenu sans aucun sacrifice, se montra généreux envers ces mêmes idolâtres qui l'avaient poursuivi de toute leur haine ; la proscription qu'il se croyait obligé de prononcer n'atteignit que six hommes et quatre femmes. Immédiatement après la crise de la Mecque, il envoya plusieurs détachements de cavalerie pour soumettre les tribus d'alentour, et fit, cette année même, une expédition contre trois tribus réunies à Honaïn. Le succès de ce combat, d'abord défavorable aux musulmans, qui s'y trouvaient cependant au nombre de douze mille, ne fut dû qu'à la présence d'esprit, de Mahomet, ou, comme ses historiens le prétendent, à un de ses miracles. Le siège de la ville de Taief illustra la fin de la huitième année de l'hégire ; mais ce n'est que l'année suivante que les tribus de cette ville se soumirent de leur gré et embrassèrent l'islamisme. La neuvième année fut marquée par la soumission de l'Yémen et de quelques princes du nord de l'Arabie, à la suite de l'expédition de Taboue, où Mahomet conduisit une armée de trente mille hommes, dont dix mille cavaliers. Il ne survécut pas longtemps à ses succès. Après le pèlerinage de la Mecque et la visite des lieux saints, appelés depuis visite d'adieu et accomplie dans la dixième année de l'hégire, il retourna à Médine et y passa le reste de l'année. Au commencement de la onzième, il se sentit malade, et se fit soigner dans la maison d'Aïechah, l'une de ses femmes s'occupant jusqu'aux derniers jours du projet d'une expédition contre le faux prophète Mocaïlamah, et s'acquittant dans la mosquée des fonctions du pontificat. Ce n'est que trois jours avant sa mort qu'il chargea Abou Bekr de faire la prière au peuple. Il mourut le 13 du Rabi el aouel de la onzième année de l'hégire (le 8 juin 632 de Jésus-Christ), âgé de soixante-trois ans, selon le calcul d'Aboulfeda, qui place le commencement de son apostolat à la quarantième année de son âge. Il fut inhumé à l'endroit même où il expira, et son tombeau, au-dessus duquel la piété musulmane éleva depuis une superbe mosquée, est resté jusqu'à nos jours un objet de vénération et le but de fréquents pèlerinages. Sa mort jeta la consternation dans le peuple ; les uns ne voulaient pas croire qu'il fût mort ; un grand nombre d'Arabes voulaient apostasier. L'autorité d'Abou Bekr et d'Omar parvient à les en détourner et à consolider l'œuvre de Mahomet. Le prophète arabe ne laissa aucun successeur mâle et ne fit aucune disposition testamentaire. Dans les derniers jours de sa maladie, il avait demandé une fois de l'encre et du papier pour y tracer ses dernières volontés, destinées, disait-il à empêcher les Arabes de jamais tomber dans l'erreur. On ne tint aucun compte de ces paroles, prononcées dans le délire de l'agonie ; peut-être Mahomet a-t-il mieux aimé abandonner le sort de sa nation au plus capable et au plus respecté d'entre ses compagnons. Les Chiites partisans d'Ali, gendre de Mahomet, prétendent que le prophète avait désigné bien avant sa mort Ali pour son successeur ; ils citent des passages du Koran, et un grand nombre de traditions qui établissent une liaison intime entre Mahomet et les enfant d'Ali, issus de Fatima, et qui doivent, selon eux, tenir lieu d'une désignation par testament. On s'explique, du reste, la haine implacable des Chiites contre Omar, quand on pense que ce fût lui surtout qui empêcha de recueillir les dernières volontés de Mahomet. Mahomet a eu quinze femmes légitimes et onze concubines ; tant que Khadidja vécut, il n'eut point d'autre femme. A l'exception d'un fils Ibrahim, qu'il eut de la Copte Marie, et qui mourut avant lui, tous ses enfants étaient de Khadidja : quatre garçons, Kacem, Taïeb, Taher et Abdallah ; et quatre filles, Fatima, Zeïnab, Rokaïa et Omm Koltoum. Parmi ces femmes, celles qui ont acquis quelques célébrités sont : Khadidja, Aiecha, Hafsa, Zeïnab et Omm Habiba. Ce nombre de femmes épousées en grande partie dans les dernières années de sa vie, est en contradiction avec les prescriptions du Koran, qui permet aux musulmans d'en épouser au plus quatre (Kor., chap. IV). Mahomet, loin de se conformer lui-même à ce précepte, épousa, entre autres femmes, Zeïnab, femme de Zaïd, son affranchi, après que celui-ci l'eut répudié pour ne pas déplaire au prophète ; et comme cet événement causa du scandale parmi les musulmans, Mahomet s'appuya de la révélation du ciel, qui lui permettait d'épouser les femmes selon son gré (Kor., chap. XXXIII)). Cette circonstance n'est pas la seule où Mahomet fit intervenir une révélation immédiate pour faire taire les propos malveillants de ses sectateurs. Le chapitre XXIV est venu mettre un terme au scandale d'une accusation d'adultère intentée contre Aïecha. Mais les musulmans, loin d'en tirer des conséquences défavorables à la mission divine de leur apôtre, loin de l'accuser des transgression des préceptes institués pour toute sa nation, soutiennent que le prophète et de pontife il jouissait de certaines prérogatives en dehors du droit commun. Ainsi, la qualité d'impeccabilité, indispensable à tout prophète, lui est acquise de plein droit. Les auteurs mahométans nous ont transmis une foule de détails relatifs à la personne et à la vie privée de Mahomet, tous puisés dans les traditions transmises par ses compagnons ; ces traditions servent en même temps à compléter le Koran et à le développer. Il est difficile de dire aujourd'hui si l'art d'écrire et de lire, répandu récemment en Arabie, était connu à Mahomet. Le nom de prophète ignorant illettré, qu'il se donne lui-même dans le Koran avec une sorte d'affectation, et comme pour mieux faire ressortir son caractère d'homme inspiré, signifiait peut-être qu'il n'avait pas étudié les Ecritures ; il donne cette même qualification aux Arabes en général, en tant qu'ils n'avaient pas de livre révélé, de code sacré. Le soin avec lequel les Arabes cultivaient la poésie et la grammaire ne permet pas de leur refuser toute culture intellectuelle, et l'on peut conclure de quelques passage du Koran que Mahomet lui-même avait quelque connaissance de l'art d'écrire. Il se servait cependant de secrétaires qui écrivaient sous sa dictée ; parmi eux Ali, Othman, Zaïd, fils de Haretha, Moawia, Obaï, sont les plus connus. Sans être riche, il avait de quoi subvenir à ses besoins et à ceux de sa maison, qui comptait tant de femmes ; à mesure que ses conquêtes s'étendaient, la cinquième partie du butin, revenant de droit au chef (Kor., chap. VIII), servait à agrandir sa fortune. Quand donc les biographes de Mahomet nous parlent de son extrême sobriété et de ses privations, quand ils nous racontent avec attendrissement que le prophète de Dieu était souvent obligé de se serrer le ventre pour faire taire la faim, ou qu'il se passait des mois sans qu'on fit du feu chez lui ; que la pain d'orge, le lait et les dattes étaient souvent sa seule nourriture, il faut y voir plutôt la manière habituelle de vitre chez les Arabes et les privations inséparables d'une vie active et aventurière, que d'indigence et le dénuement. Il cultivait son jardin de ses propres mains, il raccommodait ses habits ... ; mais il avait vingt-deux chevaux, cinq mules, dont la plus connue s'appelait Doldol ; deux ânes, Ofaïr et Lafour ; quatre chamelles qu'il montait, sans compter vingt autres à lait ; cent brebis et quelques chèvres. De neufs sabres qu'il avait, le plus connu, celui qui passa ensuite à Ali, est le Dhoul fikar, à deux lames divergentes vers la pointe ; en outre, trois lances, trois arcs, sept cuirasses, trois boucliers, un étendard blanc, une bannière noire, appelée Okab (aigle noire), et conservée jusqu'à nos jours à Constantinople. Son cachet en argent portait ces mots gravés : « Mohammed, apôtre de Dieu ». Quelques uns des objets qui lui appartenaient ; tels que son manteau (borda) et son bâton, furent longtemps conservés dans le garde meuble des califes abbassides. Un turban vert devin le signe distinctif de sa descendance issue de Fatima, comme la couleur noire celui de sa lignée collatérale. Quant à sa personne, Mahomet était de taille moyenne ; sa tête était forte, sa barbe épaisse, ses pieds et ses mains rudes, la charpente de son corps osseuse et pleine de vigueur ; il avait les yeux noirs, les cheveux plats, le nez aquilin, les joues unies et colorées, les dents un peu écartées.

Malgré son âge avancé, à peine quelques cheveux blancs se montraient-ils sur sa barge et sur sa tête ; il avait soin, du reste, de les teindre avec le henné. Sur le dos, entre les épaules, il avait une excroissance charnue, de la grosseur d'un œuf de pigeon, qui disait-on, était le signe de sa mission prophétique. Son extérieur avantageux était relevé d'ailleurs par une expression de bonté et de noblesse qui fascinait ; sa douceur et son affabilité lui conciliaient surtout les esprits de ces concitoyens. D'une humeur égale avec les hommes de toutes conditions, il ne quittait jamais le premier l'homme qui l'abordait, ni ne retirait sa main en saluant, avant que son interlocuteur n'eut retiré la sienne. Il s'adresse, dans le chapitre LXXX du Koran, un sévère reproche pour un mouvement d'impatience qui lui échappa devant un homme pauvre. Conduisant en personne plus de dix-sept expéditions, il donna souvent des preuves de bravoure ; doué d'une patience à toute épreuve et, d'une persévérance qui ne se démentit jamais, il était humain, et oubliant volontiers les outrages reçus, il pardonnait généreusement à ses ennemis les plus acharnés, dès qu'ils témoignaient le désir d'embrasser sa foi. Aussi rien n'égala sa douleur, quand il apprit qu'un de ses généraux avait, contre la foi jurée, massacré les idolâtres vaincus pour assouvir sa vengeance personnelle. Cette manière d'agir pouvait aussi avoir un motif politique. On raconte qu'après la prise de la Mecque, un de ses ennemis acharnés lui ayant été amené, Mahomet garda pendant longtemps le silence, et lui pardonna enfin ; puis se retournant vers ses compagnons il leur dit : « j'ai gardé le silence, attendant que quelqu'un se levât et ruât cet homme. - Nous attendions un signe de ta part. - II ne convient pas aux prophètes, reprit Mahomet, de faire avec les yeux des signes qui seraient une trahison ». C'était enseigner comment à l'avenir on devait entendre son silence : mais voilà ce que nous apprennent naïvement les auteurs mahométans.

Les résultats définitifs obtenus par Mahomet prouvent mieux que toute autre chose son génie et son habileté. Les mahométans les expliquent par les volontés de la Providence. Et voient la sanction du ciel dans les miracles qu'il a été accordé à Mahomet d'opérer. Mahomet proteste dans le Koran qu'il n'a reçu d'autre mission que d'annoncer et d'avertir, d'appeler les Arabes au culte du Dieu unique ; mais, si nous ne voyons aucune trace de cette prétention dans le Koran, nous ne pouvons non plus garantir que quelques propos équivoques de sa part, jetés au milieu des siens et propagés par ses zélés partisans, n'aient donné naissance aux récits absurdes de prodiges, tels que l'ascension au ciel, la lune fendue, la guérison d'un aveugle, et une foule d'autres que les musulmans comptent presque parmi leurs articles de foi. Les plus éclairés parmi les mahométans, ou les moins crédules, ceux qui ne se contentent pas de quelques allusions vagues et des interprétations forcées du Koran en faveur de la réalité des miracles, regardent le Koran comme le plus éclatant prodige qu'un prophète ait jamais opéré. Ce livre est composé de cent treize chapitres, dont les premiers sont longs de plus de cents versets, et dont les derniers n'ont que quelques lignes. Les matières n'y sont point rangées par ordre, et les récits des prophètes des Juifs et de ceux des autres peuples y sont mêlés aux préceptes généraux, aux dispositions passagers, en sorte qu'il est difficile de retrouver le fil chronologique des prédications que Mahomet faisait tantôt à la Mecque, tantôt à la Médine. Il arriva encore que quelques préceptes ou recommandations, amenés par les circonstances, se sont trouvés modifiés dans le cours des événements ; c'est ce qui a donné naissance à des passages abrogés et abrogeant ; pour les distinguer, il faut s'en rapporter au sentiment général qui a prévalu dans l'islamisme. Le tout est écrit en style concis, souvent obscur, qui serait inintelligible pour les Arabes eux-mêmes, sans le secours des commentaires ; ceux-ci s'appuient leur tour sur des ouvrages composés dans les premiers siècles après Mahomet. La rédaction actuelle du Koran n'est pas sans doute celle que lui avait donnée Mahomet. La réunion des versets écrits sur des feuilles, sur des tablettes ou sur des omoplates de brebis, est due à Zaïd, compilateur du Koran sous Abou Bekr ; mais cette circonstance ne saurait absoudre Mahomet d'avoir défiguré ou travesti l'histoire plutôt par ignorance sans doute qu'à dessein. Les copies du Koran répandues sous le califat d'Abou Bekr et d'Omar qu'on doit la suppression de tous le exemplaires qui ne s'accordaient pas avec celui conservé chez Hafsa, veuve de Mahomet. Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans l'appréciation du Koran comme code sacré, comme répertoire des lois morales, civiles et politiques des Arabes. Ce livre a été jusqu'ici mal jugé. Une animosité excessive, s'armant de tout pour le condamner, provoqua des opinions erronées en sens contraire. En voyant les peuples musulmans en décadence, dans l'abaissement dont il leur sera impossible de se relever, on a attribué cet état à l'influence du Koran. On est peut-être allé trop loin, on s'est peut-être exagéré, en théorie, l'influence qu'une religion quelconque peut exercer sur la transformation du caractère de certaines races, et l'on a attribué au Koran les résultats qu'il a été seulement incapable de détourner. Dans le Koran, les emprunts faits à la morale de l'Evangile, ou, pour mieux dire, à la morale générale de l'humanité, les dispositions et les préceptes en partie nouveaux et en partie conservés de l'ancienne société arabe, sont dominés par l'idée capitale de l'unité de Dieu, et des rapports que l'homme doit chercher à établir entre lui et Dieu au moyen de la prière ; et il n'est pas juste d'accuser la religion de Mahomet de sensualisme, uniquement parce que les récompenses réservées aux élus s'y présentent sous les attraits des jouissances matérielles. Comme code religieux, moral, civil et politique (car chez les musulmans il est la source de toute loi et de toute science), le Koran pèche par l'insuffisance et l'obscurité ; comme monument intellectuel du peuple qui l'adopta et du siècle qui le produisit, il est de médiocre valeur, et ne saurait soutenir la comparaison avec aucun des livres sacrés que nous a légués l'antiquité : le seul mérite que les non-musulmans puissent lui accorder, est celui de la langue, et, sous ce rapport, nous ne sommes pas sans doute en état de lui rendre toute justice ; car, indépendamment de la profonde connaissance de la langue arabe et des mœurs de ce temps-là, connaissance qui nous ferait saisir toute la portée d'un mot, toute la valeur d'une parabole, toutes les finesses du langage, il faudrait se placer au point de vue d'un peuple si différent par son caractère des peuples d'Occident. Cependant quelques récits instructifs et touchants de l'histoire sacrée, le tableau de la majesté et de la bonté de Dieu, les préceptes pleins d'onction sur la bienfaisance et l'humanité, sont d'une beauté remarquable, et l'on conçoit que le tableau des châtiments réservés aux infidèles, de la solennité du jour de la résurrection, a pu entraîner et émouvoir les esprits. Les musulmans croient qu'il n'est pas donné à l'homme de créer une œuvre à la fois si parfaite et si sublime que le Koran. Il y eut, la vérité, au sein de l'islamisme des sectes qui soutenaient que le Koran pouvait être regardée comme une hérésie : elle se trouve condamnée d'avance par le Koran (chap. II, 21). Mais ce n'est pas à cause de ces beauté de langage, de ces mérites pour ainsi dire extérieurs, que le Koran enchaîne la foi de ses sectateurs ; le Koran est un livre révélé ; il est la parole de Dieu, par laquelle il a voulu compléter les lois antérieures et les clore ; et quand, dès les premiers siècles de l'islamisme, on se mit à raisonner sur la nature de la parole de Dieu, on alla jusqu'à affirmer que le Koran était incréé et coéternel. Celui qui en était le dépositaire, Mahomet, reçu le titre de médiateur du genre humaine, de prince des apôtres, de sceau des prophètes, d'élu, de glorieux, de glorifié ; c'est la plus noble et la plus parfaite des œuvre de la création ; c'est l'être en vue duquel la création de l'univers a eu lieu, et qui, admis dans la familiarité de Dieu, contemple à la distance de quelques pas la majesté divine. Le Koran n'enseigne rien de pareil sur son auteur ; mais cette glorification de Mahomet est depuis des siècles la base de la théologie musulmane.

Le Koran, comme livre sacré et source de toute science pour les musulmans, à donné naissance à une littérature très étendue, ainsi qu'à des commentaires dont les principaux sont ceux de Zamakschari, de Djelaleddiri, de Beïdhaani, d'iahia, de Feïzi. Il n'a commencé à être connu en Europe que vers la moitié du seizième siècle, par une traduction de Bibliander, traduction qui mérité à peine ce nom, tant elle s'écarte du texte arabe. La première bonne traduction, celle qui a servi jusqu'ici de base à toutes les autres, est celle de Maracci. Hinckelmann a donné le texte arabe en 1696, in-4°. Une belle édition du Koran a été donnée à Saint-Pétersbourg, par ordre de l'impératrice Catherine ; mais elle est très rare. Depuis on a publié à Casan deux éditions, une in-8° et une in-4°. M. Fluegel a donné, en 1834, à Leipsick, une édition stéréotypée du Koran. On a en outre des traductions en français, en anglais et en allemand. La première traduction française du Koran a été donné par Du Ryer, à Amsterdam, 1770, en 2 vol. in-8°. Savary, auteur d'un voyage en Egypte, en a fait une évidemment sur la traduction latine de Maracci. Elle a été reproduite avec un résumé des préceptes de l'islamisme, par M. Garcin de Tassy ; M. Gunther Wahl, orientaliste allemand, a donné sa traduction en 1820, in-8°. M. Uhleman publie dans ce moment-ci une nouvelle traduction du Koran en allemand, avec des notes. George Sale a publié, en 1734, int-4°, une traduction du Koran en anglais, qui a été réimprimée en 2 vol. int-8°, à Londres, 1836, avec les versets numérotés. La traduction de Sale est, sans contredit, la meilleure, la plus judicieuse et la plus utile à cause des notes puisées dans les commentateurs arabes. Quant aux ouvrages qui traitent de la vie de Mahomet, outre les notices mises en tête de presque toutes les traductions , on connaît la vie de Mahomet par Prideaux, 1697, in-8°, en anglais ; la Vie de Mahomet, tirée d'Aboul-Feda, et traduite en latin par Gagnier, Oxford, 1723, in-f° ; la Vie de Mahomet, compilation des auteurs mahométans, par Gagnier, Amsterdam, 1732, 2 vol. in-8° : l'auteur y entre dans tous les détails relatifs à la vie de Mahomet ; la Vie de Mahomet par Boulainvilliers, Londres, 1730, et Amsterdam, 1831 : Gagnier critique avec beaucoup d'amertume et avec raison cet ouvrage, en tête de sa vie de Mahomet ; l'Histoire de la vie de Mahomet par Turpin, 1773, 3 vol. int-12 ; la Vie de Mahomet, par Aboul-Feda, se trouve au commencement des annales moslemici de cet auteur, traduites par Reislle. C'est cette partie du grand ouvrage d'Aboul-Feda que M. Noël Desverges a donnée en 1837, in-8°, à Paris, sous le titre : Vie de Mohammed, texte, traduction et notes. C'est en même temps la meilleure et la plus correcte des toutes.

kasimirski, 1840

* On n'est pas d'accord sur le jour et l'année de la naissance de Mahomet. Les chiffres varient de 569 à 571 de Jésus-Christ. Ceux qui optent pour l'année 569 se fondent sur l'opinion qui donnait à Mahomet 63 ans à l'époque de sa mort, arrivée en 632. On cite l'année de l'Eléphant, ainsi appelée de l'expédition d'Abraha contre la Mecque (voy. Chap. CV du Koran) comme celle de la naissance du prophète : mais la date réelle de cet événement se laisse difficilement entrevoir.

** Parmi les personnages qu'on voit autour de Mahomet au commencement de sa carrière, il en est un qui mérite surtout de fixer l'attention, c 'est Warka ben Naufel, cousin de Khadidja, qui devait être un homme très versé dans la connaissance des Ecritures. M. de Hammer, dans son ouvrage publié en 1839 sous le titre de Gemaldesaal (Portraits des principaux personnages de l'islamisme), s'étonne que les biographes européens de Mahomet aient si peu remarqué un homme qui, comme chrétien, comme moine, et qui plus est, comme premier traducteur de la Bible en arabe, devait avoir une grande part dans l'instruction de Mahomet, et par conséquent dans la création du Koran. Nous ne savons pas sur quelles autorités s'appuis M. de Hammer en donnant ce Warka ben Naufel, qui était koreïchite, pour moine et traducteur de la Bible ; mais il suffit de comparer les récits du Koran sur l'histoire des Juifs et de leurs prophètes avec ceux de la Bible, pour se convaincre qu'ils ne viennent pas directement d'un homme versés dans les Ecritures, et que ce ne sont que les réminiscences dans lesquelles le faux et l'apocryphe sont presque toujours à côté du vrai et de l'authentique.

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